L’histoire de la chaîne de la TNT Numéro 23, de sa sélection par le CSA sous le nom de TVous la Télédiversité à sa revente à Alain Weill. En trois L : léchage, lâchage, lynchage.
Quand, il y a trois ans, nous* avions participé à l’appel à candidatures dans le but d’obtenir l’un des six derniers canaux de la TNT nationale, nous nous étions vite rendu compte que tout était faux, pipé, arrangé d’avance par le CSA fantoche de Michel Boyon, à la botte d’un pouvoir pour lequel il concoctait en secret et avec zèle des chaînes aux petits oignons.
* Fiducial Médias défendait le projet D-Facto, chaîne Documentaires et Débats.
Un canal gratuit avait ainsi été offert à TVous la Télédiversité, escroquerie intellectuelle que nous avions dénoncée avec vigueur à l’époque et qui prétendait “rendre leur dignité” aux Noirs, aux Arabes, aux Handicapés et même aux Homosexuels*. Le tout en majuscules sur le même canal et, excusez du peu, porté par un certain Pascal Houzelot – blanc, mais le teint toujours hâlé, fils de notaire issu de la bonne bourgeoisie bordelaise, en pleine possession de ses moyens physiques et dont le seul talent connu serait, de l’avis dominant, outre le fiasco Pink TV**, “d’avoir un entregent assez exceptionnel”, sans que l’on sache ce que cette expression répétée de façon mécanique et gênée aux entournures recouvre exactement.
* “Nous avons été utilisés”, déplore aujourd’hui dans Le Parisien l’humoriste Yassine Belattar, qui figurait dans le projet initial de Numéro 23, en 2012, et qui estime avoir servi d’alibi ethnique.
** Faute d’audience, Pink TV est devenue une chaîne porno gay à péage.
Nous en étions alors au stade du premier L : celui du léchage. Il fallait les voir, les Buisson, Boyon et autres Bygmalion boys s’extasier, bouche bée, devant l’apôtre de “toutes les diversités”, qui se surnommait lui-même et en public “le Petit Poucet de la TNT”, tout en jurant, outragé, qu’il ne revendrait pas son précieux canal, parce que, voyez-vous, il avait “pris des risques, en tant qu’entrepreneur”. Le Petit Poucet avait surtout, avec ses puissants amis, bien préparé son coup.
De promotion de la diversité il ne fut en pratique jamais question, et Houzelot convoqua une semaine plus tard les Noirs et les Arabes présents à son audition pour leur expliquer, la mine triste, qu’il n’avait pas le sou et que les programmes promis seraient abandonnés... avant même de démarrer. La chaîne fut simultanément débarrassée, par Michel Boyon, de ses obligations conventionnelles les plus contraignantes et, de “culturelle thématique”, elle passa au statut désirable de “mini-généraliste”, revendable au bout de deux ans et demi, avec pactole assuré.
Quant à la culture, ce n’est plus un chêne qu’on abat, mais un gland qu’on décore
Comme le hasard, n’est-ce pas, fait bien les choses, dans cette histoire pleine de gens délicieusement altruistes, voilà que la chaîne – sans audience ni programmes et avec quatre salariés en tout et pour tout –, opportunément rebaptisée Numéro 23, trouve aujourd’hui un acheteur en la personne d’Alain Weill (BFM, RMC) pour... 90 millions d’euros. Sympa, non ? C’est ce qui s’appelle avoir le nez creux !
Sauf qu’en cette période de disette et de crise audiovisuelle aiguë le cachet Numéro 23 ne passe décidément pas, ni dans le public ni dans le privé. Les patrons de TF1, M6 et Canal+ n’hésitent plus à s’unir et à parler de “fraude”. Ils ne sont pas les seuls. Le directeur de la SACD* explique quant à lui que “le CSA a surtout aidé des investisseurs financiers à utiliser le paysage audiovisuel pour faire fructifier leurs affaires” et que “le versement de sommes importantes de droits d’auteur est toujours en souffrance depuis le lancement de la chaîne”.
* Société des auteurs et compositeurs dramatiques.
“L’unique objectif des porteurs de ce projet était de planifier une belle opération financière, renchérit Rachid Arhab, ancien membre du CSA, qui avait voté contre le projet. La diversité n’a été qu’un prétexte pour obtenir la fréquence.” Bref, le scandale est en train de se répandre comme une traînée de poudre. Nous en sommes précisément au début du second L : celui du lâchage. Certains signes ne trompent pas : les langues se délient et parfois se délectent.
Suivra inéluctablement le troisième et dernier L, celui du lynchage, selon la vieille règle française dite “des trois L, léchage, lâchage, lynchage”. Nous verrons alors les plus médiatiques brûler sans aucuns états d’âme celui qu’ils ont adoré la veille. Comme le chantait Alain Souchon, “le monde est glauque et ça s’écrit G2LOQ, mon ami”. Mais si je dis ça... je casse son image ? Pas sûr ! Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, habituée des dîners parisiens de Pascal Houzelot, ne vient-elle pas de faire son hôte du quai Henri IV chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres ? Certes, Pellerin n’est pas Malraux. Quant à la culture, ce n’est plus un chêne qu’on abat, mais un gland qu’on décore. Avis aux acteurs, aux mateurs et amateurs : Acta fabula est, annus horribilis.