PEDIATRIE - Deux ans après son ouverture, l’Hôpital Femme-Mère-Enfant est le site unique de la pédiatrie publique à Lyon. Dans l’imaginaire collectif, un oasis pour maman et bébé, dans la réalité, une hyperstructure imposante quasi neuve, mais déjà dépassée.
En février 2008, l’Hôpital Femme-Mère-Enfant (HFME) de Lyon ouvrait ses portes au sein du groupement Est des Hospices Civils de Lyon (HCL). Un hôpital de spécialité regroupant l’ensemble de la pédiatrie publique lyonnaise et les activités gynécologiques et obstétriques de l’hôpital Édouard Herriot, de l’Hôtel-Dieu et de Debrousse. Un hôpital Femme Mère Enfant. Le nom évoque forcément l’image d’Épinal d’un univers fusionnel pour maman et son bambin. Mais dans les faits, l’HFME se définit plutôt comme une superstructure de la pédiatrie et de la gynécologie-obstétrique, qui vise les 4 000 naissances en 2010.
Dans les kilomètres de couloirs de l’établissement, des mères perdues tirant leur enfant par le bras, déboussolées, comme écrasées par l’énorme structure de l’hôpital. Des femmes au ventre rond égarées, attendant les unes à côté des autres. Mais derrière cette image d’usine à bébés aux engrenages bien huilés, qu’en est-il réellement ? Quel bilan peut-on dresser des deux années écoulées ? Quels sont les avantages avérés de la centralisation et ses limites pressenties ?
Intérêt de la centralisation
Pour Corinne Krencker, directrice du Groupement Est au sein des HCL, la naissance d’un tel hôpital pédiatrique est indiscutablement un avantage : “Au niveau de la pédiatrie, il a permis le regroupement des forces vives et la création d’un plateau technique complet, source d’une prise en charge complémentaire.” Explications. Avant la naissance de l’HFME, les services de pédiatrie étaient éclatés sur les sites de HEH et Debrousse, chacun pouvant avoir des compétences que l’autre n’avait pas. Pour les petits patients et leurs familles, pouvait alors commencer le jeu des allers-retours entre les deux établissements. Aujourd’hui, la très grande majorité des spécialités médicales liées à l’enfance sont regroupées sur un même site. La proximité géographique avec l’hôpital neurologique et cardiologique a également permis une meilleure prise en charge des enfants dans ces domaines, selon Mme Krencker.
“Tout n’est pas calé”
La mutualisation des outils, et la concentration des savoir-faire ont permis à l’HFME d’abriter aujourd’hui une vingtaine de centres de références ou de compétences pour les maladies rares, comme par exemple pour le spina-bifida ou la mucoviscidose. Agathe*, maman d’une enfant atteinte de mucoviscidose, a connu Debrousse et l’HFME. Cette maladie oblige à une visite trimestrielle au Centre de Ressource et de Compétence de la Mucoviscidose (CRCM). Elle témoigne : “On a vu que du positif. Tout se passe toujours très bien. Nous avons juste été surpris la première fois par l’accueil du CRCM qui est dans le couloir. L’attente se fait sur des chaises devant les chariots et les brancards qui passent”.
Au-delà de la région lyonnaise, l’HFME a donc pris une dimension régionale et même nationale notamment dans le domaine de la recherche. Une fierté pour le professeur Cochat, responsable du pôle pédiatrique de l’HFME : “le déménagement a permis à des structures qui existaient déjà à HEH de totalement déployer leurs ailes”. Le développement de certains services, une réalité que Geneviève Beaumont, cadre sage-femme a également pu observer, au niveau notamment du service de reproduction, qui ambitionne les 1 500 fécondations in vitro en 2010.
Mais derrière la naissance de cette super structure, il y a des réalités de terrain. Des équipes qui ont dû fusionner et apprendre à travailler ensemble. “Une période délicate, qui a nécessité un temps d’accompagnement” d’après Corinne Krencker. “Il a fallu retrouver une culture commune”, précise-t-elle. Pour Geneviève Beaumont, “tout n’est pas encore calé, notamment avec le personnel de l’hôtel Dieu qui a rejoint les équipes en mai 2009, et qui n’est pas forcément venu par choix.” De leur côté, les urgences pédiatriques sont très vite devenues le centre névralgique de l’hôpital. Mais elles saturent déjà. Exemple avec une jeune femme paniquée, les larmes aux bords des yeux, devant le service d’urgences de l’hôpital. Elle tient d’une main son enfant et de l’autre son téléphone. “On m’a dit qu’il y avait des heures d’attente. Mon fils a de la fièvre. Qu’est-ce que je dois faire maintenant ?”.
Le professeur Cochat explique cette attente : “Nous avons quitté le service d’urgence du pavillon S de Edouard Herriot et avons rejoint l’HFME avec les mêmes moyens. Or, à HEH les urgences chirurgicales étaient prises en charge par un autre service. Aujourd’hui nous gérons les urgences chirurgicales et médicales sans plus de moyens humains.” L’HFME ne désemplit pas et est même victime de son succès. Avec ses nouvelles compétences, il accueille des patients de plus en plus lourds. “Quoi qu’on en dise, le volume de personnel et le nombre de lits a diminué, alors que l’attractivité de l’établissement augmente et que les patients pris en charge sont de plus en plus lourds”, affirme M. Cochat.
L’hôpital freiné par sa structure
Globalement, le retour est plutôt positif du point de vue de la démarche de centralisation des services. Pour les personnels soignants, la concentration des savoir-faire est bénéfique avant tout pour le patient. “Cet hôpital n’est pas super pour le personnel, mais il est parfait pour les patients”, blague M. Cochat. Car, au pays de bébé, tout n’est pas rose, et certains points restent source de discorde, à commencer par les bâtiments de l’hôpital. Avec une aile principale de 232 mètres de long sur 9 niveaux, et deux ailes annexes, l’HFME est un mastodonte à l’architecture moderne. Des couloirs bariolés et des couleurs acidulées aux murs qui sont une fierté pour le professeur Kohler, chef de service de la chirurgie orthopédique. Il estime qu’il s’agit ici de l’hôpital du 21ème siècle.
Pourtant, si l’esthétique du bâtiment n’est pas remise en cause, sa conception, elle, est souvent pointée du doigt. La distribution des espaces représente parfois un réel handicap. Le professeur Cochat cite un exemple : “Dans le service de réadaptation, un seul bureau de 7m2 abrite les kinés, les ergothérapeutes et les psychomotriciens”. Des dimensions ridiculement petites, d’autant plus quand on sait que les enfants dans ce service sont parfois lourdement appareillés. Pendant la visite de l’hôpital, l’exiguïté de certaines pièces ne se dément pas. Le secrétariat de chirurgie qui avoisine les 20 m2, abrite les bureaux de 5 secrétaires. Les dossiers empilés, débordent de partout.
Paradoxalement à la petitesse de certaines pièces, il y a l’impressionnante longueur des couloirs. Geneviève Beaumont regrette la perte d’humanité liée à cette nouvelle architecture : “les patientes sont parfois un peu isolées dans leur chambre. Il nous reste à recréer des lieux de rencontre.” Isabelle*, infirmière puéricultrice polyvalente ne comprend pas l’architecture des lieux : “si on a un gosse qui pleure au bout du couloir on ne peut pas l’entendre. Et la surveillance est plus difficile à faire. Parfois des enfants s’enfuient de leur chambre”. Sans compter pour le personnel les kilomètres parcourus. Comment expliquer cette enfilade de portes sur des centaines de mètres ? En réalité, si la réalisation de l’HFME est relativement récente, sa conception date de la première moitié des années 1990. Un laps de temps suffisant entre la date d’origine du projet et le moment de sa réalisation pour que les besoins de l’époque ne soient plus ceux d’aujourd’hui.
Le bâtiment, frein au développement ?
Pour le professeur Cochat, l’hôpital tout entier est sous dimensionné. “À la base du projet, il y avait une quatrième aile de prévue, mais finalement, elle n’a pas vu le jour, faute de financements. Aujourd’hui, on se marche dessus”. Et ce problème ne devrait pas se solutionner de sitôt. Si la plupart des spécialités sont représentées à l’HFME, certaines doivent encore rejoindre le navire, comme la chirurgie ORL ou plastique. Comment alors concilier l’arrivée de nouvelles spécialités dans un espace déjà saturé ? “Ce sera quelque chose de délicat” selon le professeur Cochat. “Le transfert de ces services ne se fera qu’une fois que nous aurons trouvé une solution viable”, précise le professeur Kohler. Une solution envisagée : l’externalisation des consultations. Pour Mme Krenker, garder les consultations au sein de l’HFME n’est “peut-être pas pertinent”. Histoire de gagner un peu de place, le self du personnel devrait être fermé et réaménagé. Pour y mettre quoi ? Personne ne le sait encore vraiment, mais l’important est de grignoter de la place. Le self fermé, les employés devront aller se restaurer à l’hôpital cardiologique non loin. Mais encore faut il que celui-ci ait subi les aménagements nécessaires pour recevoir ce surplus de personnel. Une cascade de travaux en perspective donc pour un établissement qui n’a pourtant que deux ans.
“Je râlais au début, maintenant je ne dis plus rien”
Lors de la visite des locaux, certaines aberrations sautent au visage. Au bout du couloir des urgences gynécologiques et obstétriques, juste avant d’entrer dans l’espace réservé aux blocs opératoires, pas de porte. À la place, un grand encadrement vide et, au-dessus, un panneau “ne pas entrer”. Autour du chambranle des gonds, tordus, et quelques mètres plus loin, adossées à un mur, les deux portes qui étaient censées fermer l’espace. Mme Beaumont confie : “elles sont tombées peu de temps après leur mise en place. Je râlais au début, maintenant je ne dis plus rien.”
Dans le secteur obstétrique, il y en a eu quelques erreurs : “des choses ratées” selon Mme Beaumont. Exemple : sur 8 salles d’accouchement, 5 sont borgnes. Il a donc fallu a posteriori installer des systèmes d’éclairage proches de la lumière du jour. Autre curiosité, pour éviter les chutes d’enfants dans les escaliers, ceux-ci ont quasiment tous été bouclés. Conséquence, pour se déplacer dans le bâtiment, il faut avoir l’extrême patience d’attendre un ascenseur, ce qui peut parfois être très long. Plus regrettable encore, faute de place, les lits d’accompagnants qui devraient être légion dans un hôpital consacré à l’enfant, sont “très largement sous-utilisés” selon le professeur Cochat. “On ne peut prendre les parents que lorsqu’on a de la place” ajoute-t-il. Or, le nombre de lits de pédiatrie à l’HFME est inférieur au cumul des places disponibles à Debrousse et HEH. Les lits vacants sont donc une rareté en pédiatrie. Un mal pour un bien ?
Finalement, le médecin ne le regrette pas trop, estimant que la présence continuelle des parents avec l’enfant n’est réellement bénéfique ni à l’un ni à l’autre. Toutefois, un fauteuil convertible peut parfois faire office de lit d’appoint. Mais pour les hospitalisations plus longues, les parents peuvent se tourner vers la Maison du petit monde. Cette structure gérée par une association, abrite 42 studios à la disposition des familles, sur une surface de 2 500m2. En 2009, la maison a accueilli 1575 familles, pour un séjour moyen de 5,9 jours. Le prix de la nuit est calculé suivant l’avis d’imposition. L’accès même à l’hôpital est problématique. Le site n’est desservi que par une seule ligne de bus, et s’y garer en journée relève du parcours du combattant. Profondément optimiste, Geneviève Beaumont relativise : “ce n’est pas l’hôpital dont on rêvait, mais il est bien”.
* Prénoms d’emprunt
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L’HFME en chiffres
2 200 : nombre de personnel de l’Hôpital
191 lits et places en gynécologie obstétrique
250 lits de pédiatrie
27 lits de réanimation pédiatrique
260 millions d’euros, c’est le budget de fonctionnement annuel du groupement Est (HFME, hôpital neurologique, hôpital cardiologique)
9 000 accueils aux urgences gynéco obstétriques en 2009.
67 000 consultations sur le pôle gynéco-obstétrique-médecine de la reproduction en 2009
9 blocs opératoires entièrement dédiés à la pédiatrie.
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Focus
La psychiatrie, au cœur de l’hôpital
L’HFME possède son propre service de psychiatrie, une spécialité qui a vite trouvé une place centrale au sein de l’établissement. Le professeur Fourneret, chef du service, souligne l’intérêt de cette discipline dans de nombreux domaines à l’HFME, notamment dans l’accompagnement des parents dans les suites de couche ou lors des annonces de diagnostic anténataux. Du coté de l’enfant, le service de pédopsychiatrie s’adresse à des patients de 7 à 16 ans en souffrance : “Près de la moitié des hospitalisations se fait à la suite de tentatives de suicide”, confie M. Fourneret. L’hospitalisation, de courte durée permet alors de désamorcer des situations tendues, le tout au sein d’un hôpital pédiatrique, moins stigmatisant pour le jeune patient qu’un hôpital psychiatrique.
Cancérologie : l’exception IHOP
L’Institut d’Hématologie et d’Oncologie Pédiatrique est le résultat d’un co-financement des Hospices Civils de Lyon et du centre Léon Bérard scellant une alliance public-privé. Si la démarche globale affichée de l’HFME est une centralisation des compétences, l’IHOP ne se trouve pas pour autant sur le site de Bron, mais dans un pavillon accolé au centre Bérard dans le 8e. Malgré tout, les consultations de cancérologie et la réanimation se font entre les murs de l’hôpital pédiatrique.