JUSTICE – Le jeune avocat risque une suspension de quatre mois renouvelable après sa mise en examen dans l’affaire Neyret. La décision sera connue le 10 avril prochain.
C’est une audience inédite, jamais vu dans l’histoire judiciaire lyonnaise. Mis en examen dans l’affaire Neyret, David Metaxas a joué une grande partie de son avenir professionnel durant un peu plus de deux heures lors d’un "procès" devant ses pairs. Car tout, dans le rituel, signifiait la tenue d’une sorte de procès lorsque le conseil de l’Ordre des avocats s’est réuni hier, jeudi 5 avril peu après 18h, pour examiner la demande d’interdiction professionnelle qui pèse sur l’avocat star du barreau de Lyon : les réquisitions de l’avocat général ; la plaidoirie énergique de Me Alain Jakubowicz, défenseur de Me Metaxas ; des membres du conseil de l’Ordre réunis en robe et restés silencieux tout au long de cette audience. Un procès qui ne sera pas assorti d’un jugement mais d’une décision qui pèsera lourd sur l’avenir de David Metaxas. L’avocat général a requis quatre mois de suspension renouvelable. "Le risque d’une suspension, c’en est fini de sa vie professionnelle et de sa carrière d’avocat" a plaidé Me Jakubowicz.
Contrepartie
C’est à la demande des juges parisiens Patrick Gachon et Hervé Robert qui instruisent la tentaculaire affaire Neyret que cette audience a eu lieu. Après avoir mis David Metaxas en examen pour "recel de violation de secret professionnel" au terme de 48h de garde à vue, ils estiment nécessaire de lui interdire d’exercer son métier d’avocat. Les magistrats esquissent en effet d’autres soupçons vis-à-vis de David Metaxas. Me Jakubowicz l’a rappelé lui-même. Il y a plusieurs motifs qui président à la demande de suspension du jeune pénaliste par les juges parisiens. Pèse, selon eux, un risque de subordination de témoins et de disparition d’indices. Ils ont, de plus, besoin de préciser les relations entre David Metaxas et Michel Neyret. Mais surtout, il y a la nécessité de déterminer s'il y a eu, oui ou non, des contreparties éventuelles offertes à Michel Neyret par Me Metaxas. Alain Jakubowicz n’a pas hésité lors de sa plaidoirie à tancer vertement Lyon Capitale pour avoir évoquer, dans un article, l’hypothèse de ces contreparties qu’il qualifie de "rumeurs" et qui sont pourtant sur la table de travail des enquêteurs de l’IGS. C’est bien la recherche de contreparties qu’ont à l’esprit les magistrats parisiens.
Urgence
Leurs investigations doivent se poursuivre et aller vite. Écarter David Metaxas relève de l'urgence selon les termes de l’article de loi sur lequel se fondent les juges Gachon et Robert pour réclamer la suspension de David Metaxas (voir plus bas). Plusieurs requêtes en nullité ont été plaidées jeudi matin devant la chambre de l’instruction à Paris pour faire annuler l’ensemble de l’instruction relative à l’affaire Neyret. Les avocats d’un des policiers mis en examen dans le dossier estiment que plusieurs écoutes téléphoniques auraient été effectuées alors que les juges n’étaient pas légalement saisies de l’instruction concernant l’affaire Neyret. La décision sur ces requêtes sera connue le 22 mai.
Mea culpa
Mais David Metaxas conteste les faits pour lesquels il a été mis en examen. Au début de l’audience, il a tenu à faire une déclaration en forme de mea culpa : "J’ai toujours essayé de respecter les termes du serment d’avocat que j’ai fait il y a maintenant dix ans. J’ai toujours essayé de porter haut la robe. J’ai conscience que dans mes rapports aux confrères, j’ai fait preuve d’excès (…)" a-t-il asséné (voir le verbatim complet plus bas). Le moment résonne comme l’aveu public de ses propres turpitudes, la prise de conscience de ses écarts répétés que l’avocat général va se charger de rappeler opportunément.
Menaces
Lors de ses réquisitions, Jacqueline Dufournet va détailler une série d’écarts de conduite signalée à maintes reprises par le parquet général aux bâtonniers successifs qui n’ont jamais rien fait. L’avocat du banditisme en rira. Il sera repris à la volée par un sermon de l'avocat général. Mais c’est en appuyant ailleurs que la représentante du parquet a mis le doigt là où ça fait mal : "Certes sa vie professionnelle est en danger, mais je crois surtout que c’est sa vie personnelle qui l’est. Et il le sait Me Metaxas". Ses liens suspects avec Michel Neyret font en effet désormais peser sur lui de graves menaces et des inquiétudes sur sa sécurité.
Kalachnikov à Marseille
Les enquêteurs planchent sur une écoute dans laquelle Gilles Bénichou dit à David Metaxas qu’il doit lui remettre des documents provenant de Michel Neyret. À l’époque, le jeune avocat défendait Gilles Bénichou. "Ce type d’écoutes, entre un avocat et son client, est prohibé à moins qu’une suspicion pèse sur l’avocat" a dénoncé Me Jakubowicz avant d’ajouter que ce document n’a jamais été retrouvé. Une autre écoute intéresse de près les enquêteurs. Il s’agit d’une conversation entre Neyret et Metaxas au sujet d’un rapport balistique sur le mitraillage d’une boîte de nuit par un gros bonnet du banditisme lyonnais défendu par Me Metaxas.
Mais comme nous l’indiquions dans notre édition papier du mois d’avril et d’après les informations de plusieurs sources proche de ce dossier, cet individu aurait dénoncé au juge Lévy une sorte d’entente entre Me Metaxas et l’ancien commissaire. Enfin, et c’est sans doute le plus problématique.
Les juges s’interrogent sur l’utilisation d’une note confidentielle liée à l’assassinat à la kalachnikov de deux Lyonnais dans une rue de Marseille le 11 mai 2011. Nous faisions déjà état de cette information en novembre 2011. À l'époque, nous avions sollicité Me Metaxas sur cet élément précis qui intéressait déjà les enquêteurs de l’IGS dès les premiers mois de l’affaire Neyret. Le jeune avocat qui est partie civile dans cette affaire avait refusé de répondre à nos sollicitations. On s’étonnera seulement que les enquêteurs aient attendu aussi longtemps pour utiliser cette partie du dossier. De nouveaux éléments pourraient cependant émerger. Car si la qualification pénale de sa mise en examen est "dérisoire" comme le martèle Me Jakubowicz, le contenu des écoutes téléphoniques est distillé au compte-goutte par les juges parisiens. D’autres griefs pourraient dès lors remonter à la surface.
Solidaire et responsable
Une source parisienne proche de l’enquête et qui a bien suivi le cas Metaxas fait état de suspicions et d’investigations sur les flux financiers de l'avocat. Les policiers de l’IGS s’intéresseraient notamment à son compte CARPA, compte bancaire que détient tout avocat afin d’opérer les transactions financières dans le cadre des dossiers qu’il suit pour ses clients. Pour Alain Jakubowicz, "s’il y avait ne serait-ce qu’un élément de plus dans le dossier, je vois mal Gachon nous en faire cadeau !". Dans sa plaidoirie, il a usé d’un procédé particulièrement subtil : "David a besoin de se retrouver et de retrouver sa famille. Et nous sommes sa famille. (…) La confraternité, c’est de ne pas jeter l’anathème sur un confrère même si c’est un petit con. Le moment pour nous, c’est de tendre la main à David Metaxas". C’est l’appel du cœur, de la solidarité. "L’instruction, il y en a pour trois ans. Est-ce qu'il va revenir dans trois ans si vous le suspendez ? Et quand il sera relaxé au bout de trois ans, qu’est-ce que vous allez penser de vous si vous deviez prendre une telle décision ?" C’est l’appel de la raison, de la responsabilité. Alain Jakubowicz demande donc au conseil de l'Ordre de faire un pari quasi pascalien: le pari de son innocence. Décision, le 10 avril.
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Article 24 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
"Lorsque l'urgence ou la protection du public l'exigent, le conseil de l'ordre peut, à la demande du procureur général ou du bâtonnier, suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui en relève lorsque ce dernier fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Cette mesure ne peut excéder une durée de quatre mois, renouvelable."
Verbatim : la déclaration de David Metaxas
"J’ai toujours essayé de respecter les termes du serment d’avocat que j’ai fait il y a maintenant dix ans. J’ai toujours essayé de porter haut la robe. J’ai conscience que dans mes rapports aux confrères, j’ai fait preuve d’excès (…) Les choses ont basculé quand j’ai été incarcéré la veille au soir alors qu’on m’avait fait entendre que je serais présenté rapidement. Il y a une incompatibilité entre le fait d’avoir vécu cela (la garde à vue, la mise en examen, etc., Ndlr) et le fait de porter la robe. Aujourd’hui, je le sais. (…) pour moi commence un long processus de remise en question sur mes rapports avec mes confrères, mes clients, avec la profession. C’est long et douloureux de dresser ce constat-là. Quelle que soit la décision que vous prendrez, ce sera la bonne."