ENTRETIEN - La magistrate Virginie Duval a été juge des enfants au tribunal de grande instance de Caen. Élue par ses pairs secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (USM), principale organisation professionnelle, qui fédère plus de 2 000 magistrats, elle répond sans détour aux questions liées à l’irritation de nombreux juges. Cette interview montre que l’exécutif fait régulièrement pression sur la justice, sans respecter son indépendance.
Interview publiée dans le mensuel Lyon Capitale de novembre 2011 (numéro 705).
Lyon Capitale : Est-ce que le ministre Michel Mercier ou son cabinet interviennent auprès des magistrats sur différents dossiers ?
Virginie Duval : En fait, les textes prévoient que les instructions pour classer sont interdites. Subsistent les instructions pour poursuivre. Un coup de fil, c’est très vite donné et ça n’apparaît nulle part en procédure… Il y a un climat, c’est évident. S’il n’y a pas de coup de fil, certains magistrats devancent un peu le désir, et il n’y a pas de trace !
Que pensez-vous de la prochaine nomination de François Molins, le directeur de cabinet de Michel Mercier, au poste stratégique de procureur de Paris ?
Si on nomme ses proches aux postes clés, il n’y a pas besoin d’interventions téléphoniques ! C’est un verrouillage. On est toujours dans des nominations éminemment politiques. Là, c’est évident. Dès lors, même si François Molins était considéré comme un très bon procureur à Bobigny, des suspicions existent, fondées ou pas, sur d’éventuelles pressions dans la gestion des affaires sensibles…
Il y aurait plus de transparence et moins de problèmes d’intervention si le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) gérait la carrière des magistrats. Il faut aussi savoir que six membres du CSM sont nommés par le pouvoir. Si l’on n’était pas déjà membre du Conseil de l’Europe et qu’on voulait l’intégrer aujourd’hui, on ne pourrait pas, car on ne répond pas aux critères d’indépendance de la justice ! Il est totalement inadmissible que le ministre de la Justice et le gouvernement désignent les magistrats du parquet sans intervention réelle du Conseil supérieur de la magistrature. Pour le procureur Courroye, le CSM a émis un avis défavorable. Mais il a quand même été nommé par le ministre ! Nous revendiquons depuis des années une réforme. Il s’agit de l’alignement du statut du parquet sur celui des magistrats du siège.
Le président de l’USM, Christophe Régnard, dénonce les comportements du procureur Courroye dans l’affaire Bettencourt. Est-ce qu’il y a eu de si graves dysfonctionnements ?
Le procureur Philippe Courroye aurait enfreint une règle précise qui veut que le parquet fasse un rapport au parquet général et non directement à l’Élysée, ainsi qu’il l’aurait fait. Au-delà du contournement de cette règle, ce procédé permettait de tenir directement informée une personne mise en cause, en l’espèce le président de la République, ami du procureur Courroye. Dans l’affaire Bettencourt, on peut penser que le procureur de Nanterre a tout fait pour mettre des bâtons dans les roues des juges.
On apprend aussi les modifications faites dans le procès-verbal de police au fur et à mesure de l’audition, sur instructions du parquet de Nanterre. Elles ne sont pas acceptables. C’est la démonstration qu’à plusieurs reprises le pouvoir exécutif n’aurait pas laissé la justice faire son travail, et nous ne pouvons pas supporter cela. Aujourd’hui, on apprend également que, de la même façon, une pression a été exercée sur les témoins. Des journalistes auraient vu leurs appels téléphoniques épluchés en raison des contacts qu’ils ont eus avec les personnes liées à l’affaire. Nous ne pouvons pas cautionner cette atteinte à la justice et à la démocratie. La violation de la loi sur le secret des sources est inquiétante, alors que cette loi avait été votée six mois avant les faits évoqués.
J’ajoute que l’USM soutient totalement la juge Prévost-Desprez. Les propos qu’on lui impute [sur de présumées remises d’espèces à Nicolas Sarkozy, ndlr] ont été sortis de leur contexte par les médias. Ces propos révèlent les pressions qui ont été faites sur les témoins et montrent des pressions faites sur le système judiciaire.
Le ministre de la Justice indique avoir créé 515 emplois, dont 315 au titre des nouvelles réformes engagées. Cela vous rassure-t-il ?
Les annonces de Michel Mercier sont en partie vraies. Mais il y a eu les transferts de charges, les départs à la retraite, l’alourdissement des charges avec les gardes à vue, les jurys populaires. Du coup, on arrête la diminution. Du côté des magistrats, si on gagne 84 postes en 2012, on en avait perdu 79 en 2011. On revient à la situation de 2010. C’est la même chose dans tous les domaines. Ainsi, au niveau de la Protection judiciaire de la jeunesse, on perd 106 postes… En ce qui concerne les mineurs délinquants, c’est la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui est en charge du jeune. Et il faut bien constater que son budget est en baisse. Et si, pour 2012, il augmente un peu, c’est uniquement pour développer les centres éducatifs fermés. Nous avons ainsi perdu 632 éducateurs entre 2008 et 2012… Avec Michel Mercier, les services les plus difficiles, comme les juges aux affaires familiales, ça passe après, et les délais devant ces juridictions deviennent hallucinants. Il faut désormais près d’un an pour statuer sur une garde d’enfants. Au niveau de l’administration pénitentiaire, les services récupèrent bien 100 personnes. Mais l’administration pénitentiaire a récupéré la charge de l’extraction* des détenus, assurée avant par 1 200 policiers et gendarmes. Le compte n’y est pas. L’extraction des détenus prend énormément de temps. On aurait pu y réfléchir avant, pour se donner les moyens !
Votre conclusion ?
Il n’y a pas de vision à long terme de la part du ministère de la Justice, sauf pour supprimer des postes !
* Accompagnement des détenus de leur cellule jusqu’au tribunal.