Une étude internationale inédite, pilotée par un laboratoire lyonnais, est actuellement menée sur le Tor des Géants, l’ultra-trail le plus difficile du monde, dans la vallée d’Aoste (Italie).
On la surnomme "la course de tous les superlatifs". D'une part, pour les efforts physiques extrêmes qu'elle présente, d'autre part pour son tracé qui dépasse l'entendement. 350 km, 24 000 m de dénivelé positif (3 fois l'Everest) et 25 cols à plus de 2 000 m d'altitude. Les participants ont 150 h pour finir. Aucun arrêt obligatoire : le vainqueur est celui qui termine la course en gérant le mieux possible son sommeil et ses ravitaillements.
De Courmayeur à Courmayeur, au cœur de la vallée d'Aoste, le Tor des Géants est une course suspendue entre ciel et terre qui serpente le long des fameux 4 000 des Alpes : mont Blanc, Grand Paradis, mont Rose et mont Cervin, les monstres sacrés.
Troubles neurologiques, dysfonctionnements de certains organes
Lorsqu'ils bouclent le Tor des Géants, les ultra-trailers arrivent littéralement épuisés. "On peut difficilement imaginer plus dure épreuve. Le corps est poussé à ses limites", explique Grégoire Millet, chercheur à l'Institut des sciences du sport de l'université de Lausanne (Suisse), arrivé 2e de l'édition 2012.
Pour les scientifiques, le Tor des Géants est donc un terrain d'expérimentation fantastique. "D'un point de vue éthique, ce serait assez mal vu de tester ces phénomènes en laboratoire. On a ici un modèle expérimental humain sans équivalent", renchérit Pierre Croisille, professeur de radiologie à Lyon et Saint-Étienne et directeur adjoint du laboratoire Creatis (CNRS/Inserm), spécialisé en imagerie médicale.
Les deux chercheurs font partie, avec six autres scientifiques, du projet MUST, piloté par Pierre Croisille. L'objectif : comprendre l'effet de l'ultra-endurance sur l'organisme et son impact au niveau musculaire et cardiaque dans des conditions de stress extrême pour l'organisme.
Pourquoi l'ultra-trail du Tor des Géants ? "On s'est aperçu, en discutant avec des physiologistes de l'effort, que les ultra-trailers autodéveloppaient en fin de course un état similaire à celui de patients en réanimation", explique Pierre Croisille. Concrètement, les coureurs présentent des troubles neurologiques et des dysfonctionnements de plusieurs organes (les reins sont un peu fragilisés et épurent moins bien le sang, le système digestif est perturbé), ils prennent entre 5 et 10 kilos (contrairement aux idées reçues selon lesquelles la course fait perdre du poids) et montrent des pathologies inflammatoires sévères.
Courir plus longtemps fatigue moins
47 des 738 coureurs qui ont pris le départ cette année du Tor des Géants se sont portés volontaires pour participer à une batterie de tests avant et après la course.
Et, à course exceptionnelle, moyens exceptionnels. Un laboratoire biologique ambulatoire complet avec IRM (cœur et cerveau), installé dans un camion de 25 tonnes, a été conçu pour l'occasion, avec à bord des échographes dernier cri (permettant de réaliser des images des muscles, des tendons, des ligaments et des articulations, et de visualiser la dureté des tissus et les transformations tissulaires).
Ce sera la première fois que l'on étudiera "dans le feu de l'action" la réaction inflammatoire et les modifications musculaires et cardiaques dans ces conditions de stress extrême pour l'organisme.
Ce projet est complémentaire à l'étude biomécanique, menée il y a trois ans sur ce même ultra-trail. Publiée dans la revue Plos One et dirigée par Grégoire Millet, l'étude avait démontré que les coureurs finishers du Tor des Géants étaient moins fatigués que ceux qui avaient fini les 168 km de l'UTMB (ultra-trail du mont Blanc). Et que l'UTMB (deux fois moins long) engendrait davantage de lésions musculaires et de réactions inflammatoires. Selon eux, les athlètes adoptent pour la première moitié de la course un rythme plus lent en prévision des efforts à venir. Dans la seconde moitié, c'est le manque de sommeil qui les ralentit. Les deux phénomènes conjugués protègent les coureurs des blessures et optimisent leurs performances. "La gestion de la vitesse est donc de la plus haute importance" explique l'étude.
Applications de santé publique
Pour le projet en cours, les réactions inflammatoires et musculaires étudiées sont encore méconnues, mais sont très proches de celles rencontrées dans des situations d’agressions extrêmes comme l’infarctus du myocarde (120 000/an en France) ou chez les patients en réanimation (plus de 50 % d’entre eux auront des dommages musculaires). Au-delà d'une meilleure connaissance des répercussions physiologiques de l’ultra-endurance, les résultats de ce modèle expérimental humain unique aideront à mieux prendre en charge les patients. Et à valider de nouvelles approches thérapeutiques.
Le projet MUST répond à une préoccupation très actuelle : favoriser les interactions science-société. Mieux qu'une journée portes ouvertes, MUST est l'occasion d'amener la science et les chercheurs dans un milieu où on ne les attend pas : le site même d’un ultra-trail en montagne.