Le groupe Suez espère s’approprier l’or du Rhône

La gouvernance de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) est remise à plat pour cinq ans. La CNR est une pépite qui génère plus d’un milliard de chiffre d’affaires et plus de 150 millions d’euros de résultat, offrant à ses actionnaires des dividendes qui se calculent en dizaines de millions. Une machine à cash, à capitaux majoritairement publics mais que GDF-Suez rêve de contrôler totalement.

La privatisation de la Compagnie Nationale du Rhône est une angoisse permanente pour les élus locaux. Il faut dire que la trésorerie constituée grâce à la production des barrages hydroélectriques du Rhône est convoitée. Pour certaines collectivités locales actionnaires de la CNR, l’argent coule à flots. Les dividendes de la CNR représentent en effet près de 0,5 % de la fiscalité du conseil général de l’Ardèche quand le département des Bouches-du-Rhône a touché plus de 34 millions d’euros de dividendes entre 2005 et 2010. Chaque changement de gouvernance à la tête de la compagnie est donc accompagné par un vent d’inquiétude, d’autant plus fort aujourd’hui que les velléités hégémoniques du groupe GDF-Suez se font sentir en interne.

L’or du Rhône”

“Après plusieurs échecs consécutifs depuis plus de dix ans, le PDG de GDF-Suez va-t-il une nouvelle fois tenter de mettre la main sur l’or du Rhône ?” s’interroge un communiqué de la CGT, syndicat majoritaire au sein de la compagnie. Actionnaire avec 49,97 % du capital, Suez est contraint de composer avec un actionnariat à majorité publique. La Caisse des dépôts et consignations, bras financier de l’État, possède 33,20 % de la CNR, et les collectivités locales en détiennent 16,83 %. Pourtant, c’est GDF-Suez qui place ses hommes au sein de la société, ce qui conduit à crisper ses relations, notamment avec la Caisse des dépôts. D’ailleurs, un conseil de surveillance s'est tenu aujourd’hui, mercredi 15 mai, à Lyon, dont l’objet était le renouvellement des instances dirigeantes de la CNR. La présidence et les membres du directoire doivent être modifiés.

Composé de 18 membres tels que le président du conseil régional Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, ou Jean-Noël Guérini, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, ce conseil de surveillance doit approuver à la majorité qualifiée des deux tiers le nouveau pdg de la société. Yves de Gaulle, petit-fils du général et actuel pdg, n'a pas été reconduit dans ses fonctions à la tête de la Compagnie nationale du Rhône. De Gaulle n’aura donc servi qu’à faire l’intérim depuis la démission, en 2011, de Michel Margnes, l’ancien pdg.

Docile

Les actionnaires principaux de la CNR, le groupe GDF-Suez et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), se seraient mis d’accord sur le nom d’une femme pour lui succéder. C’est Élisabeth Ayrault qui devrait prendre la succession d’Yves de Gaulle. Pur produit Suez, Mme Ayrault est directrice régionale pour l’Ile-de-France de Sita, filiale de Suez spécialisée dans le traitement des déchets.

Selon un cadre haut placé dans la société, qui s’exprime sous couvert d’anonymat, de Gaulle “paye son manque de docilité vis-à-vis de Suez”, ce que confirme Robert Textoris, de la CGT : “De Gaulle a pris fait et cause pour la compagnie. Il n’a pas cassé la boîte et ne l’a pas offerte sur un plateau à Mestrallet [pdg de GDF-Suez, NdlR]. Si de Gaulle n’est pas reconduit, c’est précisément parce que GDF-Suez considère qu’il n’a pas rempli la mission qui lui était fixée. De Gaulle était venu pour dézinguer la CNR et convaincre les collectivités locales d’abandonner leur part du capital. Il n’y est pas arrivé. Au contraire, il a constaté qu’il s’agissait d’un superbe outil et a senti l’opposition sociale au sein de la compagnie au projet de Mestrallet qui veut récupérer la CNR pour s’accaparer sa trésorerie. C’est un secret de polichinelle !”

Privatisation

Élisabeth Ayrault symbolise cette tentation hégémonique de Suez. “Elle arrive à la CNR avec l’identification que c’est une rupture qu’on veut nous imposer avec le passé. L’énergie, elle ne connaît pas. Elle a travaillé dans les déchets. On s’interroge. Quelle marge de manœuvre elle aura pour garantir l’indépendance et l’autonomie de la compagnie vis-à-vis du groupe Suez, où elle a fait toute sa carrière ?” interroge Robert Textoris. La nomination de Mme Ayrault ne sera officielle qu’à l’issue d’un long parcours. Le conseil de surveillance la propose à deux commissions parlementaires ad hoc au Sénat et à l’Assemblée nationale, qui doivent l’auditionner sur ses projets pour la CNR. Sa candidature au poste doit être entérinée par un vote lors duquel elle doit obtenir les deux tiers des voix. C’est le président de la République, par décret, qui officialise sa nomination à la tête de la compagnie qui a son siège à Lyon.

Lors de son audition devant ces commissions parlementaires, Yves de Gaulle avait eu droit à la question de François Brottes, député de l’Isère, sur le risque d’une privatisation de la compagnie au profit de GDF-Suez. “Votre mandat est-il la privatisation de la CNR ?” avait interrogé le député. Il avait répondu que “si la composition du capital devait changer, il faut un acte législatif et un acte règlementaire. Ni la CNR ni le groupe GDF-Suez n’ont de pouvoir sur ces deux actions. La privatisation de la CNR, si un jour elle se fait, ce sera vous [les parlementaires], ce sera le Gouvernement qui le fera puisqu’il faudra un acte réglementaire pour mettre en application l’éventuelle loi de privatisation”.

Machine à cash

L’ouverture du capital relève donc d’une décision politique. Mais Suez veut profiter de la machine à cash et de la formidable trésorerie de la CNR et pourrait contourner la décision politique pour mettre la main sur la pépite du Rhône. Un cadre s’inquiète par exemple pour la salle des marchés de la compagnie, qui vend elle-même l’électricité qu’elle produit sur le marché : “Si la salle des marchés est intégrée dans la branche Énergie Europe du groupe Suez, alors c’est le groupe Suez qui fera la marge financière, ce qui risque d’affaiblir la CNR.” Pour supprimer une salle des marchés, nul besoin d'acte législatif. Un dirigeant plus docile suffit.

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