Ukraine Novoazovsk août 2014
Novoazovsk

Occupation russe en Ukraine : An 0 de l’humanité

Dans cette nouvelle tribune, Mykola Cuzin, président du comité Ukraine 33 et du Comité pour la défense de la démocratie en Ukraine, commente le récent cessez-le-feu en Ukraine.

Le fragile cessez-le-feu négocié il y a quelques jours à Minsk, à défaut de constituer les prémices d'une solution de sortie de crise, a eu au moins le mérite de dessiller les yeux des derniers aveugles volontaires : Vladimir Poutine a une maîtrise totale des activités des terroristes et des soldats russes qui agissent au grand jour en Ukraine depuis plusieurs mois.

Fin août, constatant l'avance inexorable des troupes ukrainiennes et la défaite inéluctable de ses hommes dans les régions de Donetsk et Louhansk, il a franchi le pas en déclenchant l'entrée massive de troupes régulières russes (5 000 hommes environ) pour inverser le sort des armes, tant les “Républiques populaires” manquaient drastiquement de soutien parmi les autochtones. Avec pour effet, notamment, une percée fulgurante au sud-est, vers la ville de Novoazovsk (1).

L’arrêt très provisoire des combats vient donc de figer de nouvelles positions, au grand bénéfice du Kremlin qui va pouvoir en toute tranquillité renforcer sa présence matérielle et humaine dans la région. Et surtout instaurer “sa” loi.

Dès l'entrée des troupes russes à Novoazovsk, les affiches placardées un peu partout étaient sans équivoque : elles interdisaient formellement toute activité culturelle et surtout la pratique de la langue ukrainienne (2). Elles enjoignaient également aux habitants de dénoncer leurs concitoyens trop attachés à l’unité du pays et fidèles au gouvernement de Kiev, issu de la révolte du Maïdan.

Cela fait plusieurs mois que nous dénonçons les risques d’ethnocide dans les régions contrôlées par les terroristes, en voilà les premiers jalons posés. Avant que le pire n’advienne... la semaine dernière, A. Douguine, l’un des conseillers de Poutine, a appelé officiellement à procéder au génocide de “ces bâtards d’Ukrainiens”.

Au lieu de tergiverser sur les noms des personnalités russes à interdire d’entrée sur le territoire de l’Union européenne, l’Europe ferait mieux de s’interroger d’urgence sur les intentions réelles d’un despote qui tolère – et encourage en secret ? – ce genre de discours insupportable. Le pire semble avoir déjà commencé à Louhansk où des résidents sont régulièrement enlevés contre rançon : voitures et maisons pour les plus riches, maigres pensions ou salaires pour les plus pauvres. En cas de non-paiement, une balle dans la tête au fond d’une cave.

Tous les rescapés de cet enfer sur terre que constituent les “Républiques populaires” de Donetsk et Louhansk font état d’actes de torture, d’exécutions, de vols des biens des personnes réfugiées en Russie ou en Ukraine occidentale. Comment voir encore une quelconque légitimité à la mainmise de Poutine en Ukraine orientale (3) ?

Il semble qu’un sérieux problème de sémantique contribue pour l’instant à brouiller les informations données par les médias. Ainsi continue-t-on à lire régulièrement qu’il y a en Ukraine orientale des “séparatistes” et des “pro-Russes”. Or, le séparatisme désigne la tendance fondamentale des habitants d’un territoire à se séparer de l’État dont ils font partie, ce qui n’a jamais été le cas dans ces régions, même parmi les mineurs, leaders locaux naturels, et malgré la propagande féroce déversée par les chaînes à la solde du Kremlin.

Désignons les choses telles qu’elles sont en réalité : lorsqu’on provoque le chaos, qu’on pille et détruit, qu’on place la violence et l’inféodation à une puissance étrangère au-dessus de toutes les lois, cela s’appelle le terrorisme. Quant à être “pro-Russes”, il est indéniable que les mercenaires et les soldats réguliers de l’armée russe le sont ! Seulement, ils imposent leur vision de la Russie, impériale et conquérante, une vision qui est très éloignée de la vision que pouvaient avoir Sakharov ou la regrettée Valeria Nodvorskaïa et qui se trouve à l’opposé exact de ce que le comité russe des mères de soldats attend d’un président digne de ce nom : l’utilisation de leurs enfants comme de la chair à canon, dans le cadre d’une entreprise crypto-génocidaire dont le but ultime est l’hégémonie mondiale.

Décidément, le pire semble attirer le pire : après les Jeunes Identitaires français se vantant sur les réseaux sociaux de leur présence dans les rangs de la DPR (4), c’est le sinistre Dieudonné qui vient de trouver refuge sur le réseau Rutube (équivalent russe de Youtube) suite à ses nombreux dérapages. Par cet effet d’agglomération du mal, le tyran Poutine va très bientôt menacer bien plus que la seule Ukraine.

À ce titre, les réponses actuelles apportées la communauté internationale à cette agression demeurent largement insuffisantes, parce qu’elles restent techniques et économiques là où il faudrait urgemment apporter une aide matérielle à l’Ukraine et un soutien inconditionnel à la société civile russe. En guise de représailles, Medvedev a annoncé que la Russie allait interdire son espace aérien à toutes les compagnies aériennes occidentales. En cas de non-respect de cette interdiction, faut-il s’attendre à la destruction en plein vol d’avions civils, comme le 17 juillet dernier au-dessus du territoire contrôlé par les terroristes ? (5)

Ce qui attend l’Ukraine dans l’immédiat ? Une guerre larvée à l’est, savamment entretenue par son puissant voisin, et l’impossibilité avant bien longtemps de pouvoir espérer un quelconque développement économique. Poutine clame haut et fort qu’il refuse de voir l’Ukraine intégrer l’Otan. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, l’Otan et la Russie organisaient des manœuvres militaires conjointes à grande échelle et que, si l’Ukraine a demandé dernièrement son adhésion, c’est à cause de l’agression de Poutine, et non le contraire (6).

À Moscou, on est en train de rénover à grands frais un immense “parc des réalisations soviétiques” délaissé depuis l’écroulement de l’URSS. Voilà le projet de société que Poutine nourrit depuis toujours pour la Russie : le retour à la grandeur d’un passé mortifère (plusieurs dizaines de millions de morts !) dont les piliers inévitables sont la censure, l’asservissement et la violence extrême. La régression est telle que la réhabilitation de Béria (7) a déjà commencé, celle de Staline étant déjà effective. Le Monde n’a pas besoin d’un nouvel Attila !

1. Il faut rappeler à ce sujet que le budget de défense de la Russie a été en constante augmentation ces dernières années, alimenté principalement par les ressources en hydrocarbures du pays, et que les soldats ont eu tout loisir de “s’entraîner” en Tchétchénie et en Géorgie. En comparaison, saignée à blanc par l’appétit insatiable du vassal de Moscou (l’ancien président renégat Ianoukovitch), l’armée ukrainienne était au bord de l’inanition au moment de l’annexion de la Crimée. Les opérations antiterroristes ont été principalement assurées par la mobilisation de volontaires dans toutes les régions d’Ukraine, y compris et surtout des gens originaires de Donetsk et Louhansk.
2. Imaginerait-on un jour l’interdiction du français en Alsace ?
3. À l’instar d’Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française, qui renvoyait dos à dos Porochenko et Poutine dans un article récent du Figaro, au motif que le gouvernement de Iatseniouk aurait gravement menacé les droits des russophones, alors que de nombreuses personnalités russes résidant en Ukraine et des dissidents n’ont eu de cesse de rappeler que les droits des Russes vivant en Ukraine sont bien mieux respectés que les droits des Russes vivant… en Russie !
4. Il est utile de rappeler que le référendum de Crimée organisé en mars dernier n’a été supervisé que par les forces de l’extrême droite et de l’extrême gauche européennes.
5. Que doit-on penser des conclusions préliminaires du rapport d’enquête, publiées mardi 9 septembre, qui font apparaître que le vol MH17 “a été disloqué en plein vol après avoir été atteint par de très nombreux projectiles”, sans vouloir désigner de coupable, alors que, dès le lendemain de l’attaque, les spécialistes étrangers ont eu en main les enregistrements de conversations téléphoniques prouvant l’implication des terroristes de Donetsk ? L’un de leurs responsables s’est d’ailleurs furtivement vanté de cette attaque sur sa page Facebook avant de retirer à la hâte cette revendication quand il a appris que ce n’était pas un avion de l’armée ukrainienne qui venait d’être abattu. L’arme du crime (une paire de missiles BUK 11) est par ailleurs connue depuis le premier jour… Cette façon de nier l’évidence de peur de heurter sa majesté Poutine est effarante et laisse bien présager de l’absence totale de réaction qui pourrait prévaloir lors d’une prochaine agression russe contre l’un de ses voisins. Par ailleurs, la version française de La Voix de la Russie vient de publier un article qui prétend que l’avion abattu était rempli de corps plastinés provenant d’une usine de recyclage de cadavres en Allemagne. C’est inadmissible !
6. Le maître du Kremlin est un spécialiste de la confusion entre les processus de prolepse et d’analepse et beaucoup d’observateurs étrangers qui ne pratiquent pas l’analyse critique se laissent aisément berner.
7. Chef du NKVD de 1938 à 1953, véritable âme damnée de Staline.

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