Dans le domaine des droits des hommes et des lois, tout commença en France en 1789, par la déclaration de la révolution française des Droits de l’homme et du citoyen. Laquelle déclaration en inspira de nombreuses autres depuis. Jean-Louis Servan-Schreiber nous présente la dernière en date, la Déclaration universelle des droits de l’humanité, écrite en 2015 à Paris, dont le texte (illustré) paraît le 2 novembre aux éditions du Chêne.
En 1789, pour la première fois en Occident, le peuple d’un pays revendiquait officiellement ses droits et les conditions de leur mise en œuvre en exigeant la fraternité, l’égalité et la liberté pour tous. La valeur constitutionnelle de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, ce texte fondateur de l’égalité des droits entre les êtres humains, ne fut pourtant reconnue par le Conseil constitutionnel français qu’en 1971, soit deux siècles environ après sa proclamation. Ce qui n’empêcha en rien qu’entretemps de nombreuses personnes s’en inspirèrent dans le monde. C’est ainsi que fleurirent successivement la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et celle des droits de l’enfant rédigée par les Nations unies, en 1959.
Ces prescriptions et devoirs, destinés à protéger les humains contre toute forme de violence exercée par d’autres humains sur eux, ont parfois atteint leurs objectifs mais pas toujours. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe notamment en Syrie, avec les réfugiés ou bien encore à propos du statut des femmes dans certains pays. Aussi, comment ne pas vouloir se mobiliser pour faire connaître et faire nôtre cette ultime déclaration, la Déclaration universelle des droits de l’humanité, écrite en 2015 à Paris. Elle vient de paraître sous la forme d’un livret illustré, aux éditions du Chêne. Peut-être une manière de prendre les problèmes à bras-le-corps en éduquant aussi les enfants pour qu’ils adoptent un autre rapport au monde et aux êtres.
Lyon Capitale : Vous présentez avec Corinne Lepage une “Déclaration universelle des droits de l’humanité” illustrée. À qui s’adresse-t-elle ? Surtout aux enfants ou à tout public ?
JLSS : Cette déclaration s’adresse à tous puisque l’ensemble de l’humanité est concernée. Au départ, elle n’a pas été pensée pour devenir un livre, c’était un projet politique. C’est le président François Hollande qui en a eu l’idée. En juin 2015, il a demandé à Corinne Lepage de travailler à “une déclaration juridique des droits de l’humanité”, qui intégrerait les notions de devoirs envers la planète et ses écosystèmes. Sa volonté était de présenter ce projet innovant aux États membres de l’Onu en marge de la COP 21, à Paris.
Cette démarche inédite ne met pas seulement en avant les droits et devoirs des personnes, des citoyens d’un pays, d’un groupe, d’une communauté, comme dans les déclarations passées, mais précise quels sont les devoirs et droits de l’humanité en lien avec la planète qui la porte. Cette prise en compte des évolutions irréversibles qui touchent l’humanité depuis le début de l’ère industrielle oblige à poser plusieurs constats. Les hommes constituent une seule entité : l’humanité. Ils sont en lien, reliés, interdépendants. Et ils ont une maison commune : la Terre. C’est donc ensemble qu’ils doivent tout faire pour la protéger pour les générations à venir.
Cette déclaration met de plus l’accent sur une notion essentielle qui n’est pas encore connue de tous : préserver l’environnement et ses ressources a un impact sur le développement économique et social, l’accès à l’eau potable, la disparition de la faim dans le monde et la diminution des conflits.
Faire connaître ces différents points du grand public est fondamental. C’est le rôle de ce livret illustré. Les illustrations aident à assimiler les données juridiques de la déclaration de l’humanité. Face aux urgences mentionnées dans ce texte, il paraissait important de faire connaître à grande échelle ce texte afin de favoriser sans attendre des comportements plus écologiques et la mise en place d’une éthique solidaire. Chaque acte compte en matière d’environnement. En avoir conscience et agir en conséquence est l’un des grands défis de ce siècle.
Quels sont les grands principes de cette déclaration ?
Cette déclaration universelle, “en responsabilités”, met en avant, en 16 articles, des principes majeurs : la solidarité, l’équité intergénérationnelle et intragénérationnelle ; la dignité et la continuité de l’existence de l’humanité, la protection de l’atmosphère et des équilibres climatiques et la fin de la construction des armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques (à cause notamment de leurs effets sanitaires et/ou environnementaux à court, moyen et long terme).
Ces principes sont pour certains symboliques, car qui sait aujourd’hui quel tribunal international sera habilité à les faire respecter et comment il sera possible de demander “réparation” aux générations passées et disparues ? Mais d’autres sont très concrets, puisqu’ils dressent les urgences environnementales, économiques, sociétales…, planétaires qui doivent être prises en compte dès à présent pour que le futur soit possible, dans de bonnes conditions.
Cette énième déclaration ne signe-t-elle pas, indirectement, l’échec de toutes les déclarations passées ?
Elle vient en complément des grands textes à vocation universaliste existants. Elle marque une évolution radicale de l’ensemble de l’humanité et la prise de conscience des dangers auxquels elle doit faire face, globalement. Les précédentes déclarations étaient adaptées à leur époque et tenaient compte de l’état du monde dans lequel elles étaient écrites. Celle-ci tient également compte de son époque et de l’état du monde actuel.
Aujourd’hui, au XXIe siècle, la notion d’humanité s’impose à nous puisque nous sommes collectivement menacés par les mêmes périls : écologiques, surarmement, évolution de l’intelligence artificielle, démographie explosive… Pour la première fois de notre histoire, nous prenons conscience que nous sommes tous en lien, dépendants les uns des autres. Cela est devenu visible, patent. Cette réalité ne peut plus être niée. Nous n’avons d’autre choix que d’acter ces liens.
Ce qui nous oblige à nous questionner : que veut-on préserver ? Et quel rôle jouons-nous vis-à-vis de chacun et inversement ? Choisir de préserver notre patrimoine commun qui est la planète, et par voie de conséquence la paix, amène à clarifier nos positions vis-à-vis de la Terre et des autres. À tout moment, nous participons en effet, soit à la dégradation, soit à la préservation de la planète et de notre famille humaine. Tout faire pour sauvegarder cet ensemble par solidarité et par devoir pour les droits de ceux qui ne sont pas nés nous incombe, dès à présent. C’est un changement de paradigme.
Les déclarations passées mettaient l’accent sur le fait que c’était l’individu qui devait être protégé d’autres individus, dans une société donnée. Aujourd’hui, cela ne suffit plus. Nous avons changé d’échelle. C’est l’humanité, unie, qui est concernée. Le vivre-ensemble sur une planète en bonne santé doit devenir l’objectif prioritaire. Chaque homme doit se donner les moyens de se protéger et de protéger l’autre. C’est un passage à la maturité, à la responsabilité ; la fin de systèmes basés sur l’assistanat ; la prise de conscience que personne ne peut s’exonérer du destin collectif. Il n’y a pas d’alternative. Nous sommes inter-responsables les uns des autres. D’où ce texte innovant qui dit en substance que sauvegarder l’humain, la planète, les plantes, le climat, c’est la même démarche.
Vous êtes engagé dans la défense des Droits de l’homme depuis toujours, que ce soit en tant que patron de presse, qu’essayiste ou, depuis 2006, comme président du comité de soutien de l’organisation Human Rights Watch France. Quels sont les points les plus importants, pour vous, aujourd’hui, dans cette déclaration ?
Tout d’abord, la prise de conscience que nous sommes, chacun, une composante de l’humanité. Ensuite que la pérennité de cet ensemble n’est plus assurée. Et enfin que nous sommes responsables du sort de chaque autre être humain sur cette planète. Le comprendre, le savoir, l’accepter crée un choc psychologique radical quant à la façon d’envisager sa vie.
Les experts internationaux s’accordent à dire que ce qui se passe en Syrie est le plus grand génocide ayant existé depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes au XXIe siècle, la conscience humaine ne semble pas beaucoup évoluer…
Pour répondre rapidement, comparée à nos pays où la science a permis des évolutions et des progrès considérables, ce qui se passe au Moyen-Orient montre que, dans ces zones, l’histoire est en retard. Nous sommes là devant une poche de Moyen Âge, dans un legs du passé qui n’a pas conscience de ce destin commun dont parle la déclaration.
Un mot de conclusion, un message d’espoir malgré tout ?
Nous devons comprendre à travers cette déclaration juridique et éthique que nous avons changé d’époque, de manière radicale puisque les humains ont triplé en nombre, en l’espace de deux générations. L’humanité s’est mise à proliférer comme un cancer. Et la situation est devenue difficilement maîtrisable. Cette explosion démographique est la source de tous nos problèmes. Elle a obligé à industrialiser tous les moyens de production. Nous en sommes victimes. C’est un fait. Le seul moyen d’enrayer cette évolution est de transformer notre manière de penser et de nous comporter. C’est ce que dit la Déclaration universelle des droits de l’humanité. Elle incite à prendre conscience de ce qui se passe, à être dans le mouvement, à se montrer plus ouvert. Cette connaissance, changer nos comportements, passe par l’éducation. Éduquer est LA clef pour agir. Car, comme le disent les sagesses asiatiques, “si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même”.
Excellente initiative! Toutefois, balayer d'un revers de main le problème du Moyen-Orient est un peu court, des forces sont à l'œuvre sur toute une partie de la planète qui se moquent de la préservation de l'équilibre écologique, au sens large. Et rappeler que la démographie est le principal problème est juste mais il faut là aussi souligner que les religions catholique et musulmane incitent leurs ouailles à faire de nombreux enfants et s'opposent à toute régulation des comportements sexuels... C'est ainsi que l'Afrique (et le Moyen-Orient), sur ces bons conseils religieux, face au trop-plein et faute de subsistance, arrivent en Europe... L'Education, laïque, est en effet ce qui nous sauvera...
Comprendre en un coup d'œil, avec le sourire, la nouvelle déclaration des Droits de l'Humanité ? Lire l'ebook avec la préface de Corinne Lepage : https://fr.calameo.com/read/0029305587bbd0a134503