Turquie: “C’est la réaction d’un peuple uni” (Sevim Sevimli)

Depuis six jours, des milliers de Turcs manifestent contre la politique autoritaire du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. De la place Taksim d’Istanbul aux rues de la capitale, Ankara, la colère se propage à toutes les grandes villes. Entretien avec Sevil Sevimli, l’étudiante franco-turque de Lyon II accusée de “complicité de terrorisme” par la justice turque.

“Je m’attendais un peu à une révolte, mais pas de cette manière, et pas d’une telle ampleur en tout cas.” Sevil Sevimli est revenue en France sous le flash des médias en février dernier. En Turquie, l’étudiante de Lyon-II a écopé de 5 ans de prison ferme pour “complicité de terrorisme”. “Coupable” d’avoir assisté à un concert de rock contestataire et milité pour l’enseignement gratuit, pendant son année d’Erasmus. En attendant son jugement en appel, elle a retrouvé sa famille à Belleville-sur-Saône. Et suit ses amis turcs sur Facebook, qui courent les manifestations en Turquie pour crier leur soif de liberté. Elle décrit pour Lyon Capitale la situation sur place.

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Lyon Capitale : Le week-end dernier, la place Taksim d’Istanbul s’est embrasée. Depuis, des milliers de personnes manifestent contre la politique autoritaire du Premier ministre Erdogan. Que pensez-vous des événements qui se déroulent actuellement en Turquie ?

Sevil Sevimli : La contestation a commencé au parc Gazi, près de la place Taksim à Istanbul, avec une manifestation écologique. Mais c’était symbolique. Ensuite, des milliers de Turcs de toutes opinions se sont réunis : des Kurdes, des communistes, des socialistes, des kémalistes, des nationalistes…, toutes ces personnes qui normalement ne peuvent même pas se parler. Aujourd’hui, c’est la réaction d’un peuple uni, mécontent sur tous les sujets. Ils sont là pour une seule cause : leur colère contre le Gouvernement.

De nationalité franco-turque, vous avez encore beaucoup d’amis en Turquie. Pouvez-vous décrire la situation sur place ?

J’ai des amis militants qui manifestent. Mais le plus étonnant, c’est de voir des amis non politisés dans la rue. Ils racontent que la police tire des gaz lacrymogènes. Dans les rues, ça sent le gaz, ça brûle partout, ça pique les yeux. C’est horrible : la police est partout et violente. Mais il reste un vrai esprit de solidarité. On distribue de l’eau et du citron contre les gaz. Les adultes aident les jeunes. Des amis ont vu une grand-mère accueillir chez elle des manifestants pourchassés par la police.

Il y a encore quelques mois, vous étiez en Erasmus à Eskisehir, ville anatolienne parmi les plus étudiantes de Turquie. Pouviez-vous déjà sentir une colère chez des jeunes privés de liberté d’expression ? Cette fronde du peuple était-elle prévisible ?

Non, c’est surprenant. En Turquie, le peuple a l’habitude de s’autocensurer. Les gens n’aiment pas se poser des questions. Quand il y a une manifestation, les Turcs regardent avec indifférence. À la fac, il y avait du mécontentement, mais les étudiants avaient peur de parler. Ils s’exprimaient autour d’une table mais, en dehors des militants, ils n’allaient pas plus loin. Mais quand Erdogan veut limiter la consommation d’alcool, comme dans ses récentes déclarations, ça touche directement aux libertés individuelles. Et la Turquie est une société très individualiste. D’un autre côté, l’appel des syndicats à la grève témoigne d’une vraie solidarité.

Les médias occidentaux parlent de “printemps turc”. Etes-vous d’accord avec cette expression ?

Cette expression me fait un peu peur, car les mouvements dans les pays arabes ne se sont pas terminés comme les peuples le voulaient. Le Premier ministre Erdogan est parti en “voyage” à l’étranger, ce n’est pas innocent. On ne sait pas comment peut réagir Erdogan. On peut s’attendre à tout avec lui, car il a un ego énorme. J’espère que la situation sur les libertés va évoluer. Les Turcs comprennent enfin que le Gouvernement n’a pas tous les pouvoirs. C’est un espoir.

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