Yves Fournel, ancien adjoint à l’éducation du maire de Lyon et aujourd’hui conseiller du 1er arrondissement, propose une autre option pour les rythmes scolaires que celles proposées par la Ville. Son "troisième scénario" suggère un maintien de la semaine de quatre jours et demi en vigueur, avec des temps scolaires répartis régulièrement et une part de périscolaire gratuit. Interrogé par Lyon Capitale le 25 janvier, l’élu déplore notamment que les maternelles n’aient pas été prises en compte dans les scénarios proposés par la Ville et demande "plus de transparence sur les bilans financiers".
Lyon Capitale : Vous suggérez un troisième scénario des rythmes scolaires, en plus des deux autres proposés par la ville de Lyon. Quels en sont les points clés ?
Yves Fournel : L’adaptation aux maternelles, la régularité pour les enfants, le respect des temps de concentration et de ceux où il faut "foutre la paix" aux enfants. J’ai remarqué que tous ceux qui sont favorables à une option la jugent moins fatigante que l’autre, et inversement. Alors je demande une réelle enquête sur la journée des enfants du lever à leur coucher. On pourra voir les différences entre ceux qui ont trop d’activités, ceux qui n’en ont pas… Au moins, on verra ce que font nos gamins dans notre ville ! Je veux la vérité des chiffres, et je suis prêt à en discuter. Je connais tous les chiffres antérieurs par coeur, je suis un homme d’archive. On ne viendra pas me raconter d’histoires ! (rires)
"On ne pose jamais la question des inégalités"
Sur quels éléments vous êtes-vous basé pour élaborer votre troisième scénario ?
Déjà sur le droit commun national, qui préconise une semaine de quatre jours et demi avec un allégement du temps scolaire. Ensuite, sur les exemples de toutes les villes dans lesquelles je suis passé au travers de mon expérience professionnelle et des résultats de la consultation. L’allongement d’un quart d’heure de la pause méridienne, si ça peut faire consensus, allons-y ! C’est plutôt une bonne chose. J’ai déjà pris ces éléments-là. J’aurais pu demander les deux heures de périscolaires du soir gratuites, mais j’essaye aussi de prendre en compte les réalités budgétaires. On ne veut pas non plus que les enfants soient 12 ou 13h par jour à l’école, mais on veut que ce soit possible pour les parents qui travaillent et qui ont besoin d’une solution d’accueil de qualité. Je ne veux pas faire de la démagogie sur la gratuité. Par contre, les aberrations, c’est non. Si on veut un vrai choix, il faut d’autres scénarios.
L’égalité est une composante majeure de votre proposition…
On ne pose jamais la question des inégalités. Or, aujourd’hui, sur cette question, la ville pilote en aveugle. Il faudrait avoir des données sur les inégalités géographiques, les différences d’âge, les différences de genre, les inégalités sociales, les enfants qui ont un handicap… Il faut voir la réponse à leurs besoins et produire une analyse fondée sur les inégalités, alors qu’à l’heure actuelle, on n’a que peu d’informations là-dessus. La question de l’égalité est au centre des rythmes scolaires. Il n’y a pas assez transparence. Si on ne met pas ces données dans le débat collectif, soit ça devient une discussion du café du commerce, soit les intérêts particuliers de chacun prennent le dessus.
"On a mis Lyon au même niveau qu’un petit village d’Ariège"
Quelles différences voyez-vous, lorsque vous comparez les méthodes employées en 2014 et celles d’aujourd’hui ?
En 2014 comme maintenant, ce qui prévaut, ce n’est pas l’intérêt de l’enfant et ses objectifs éducatifs, mais celui de l’adulte et les questions financières. Cela ne veut pas dire que dans le détail tout est à rejeter. Il y a des éléments qui seraient intéressants dans les scénarios de la ville de Lyon. Je pense par exemple que la déclaration en accueil de loisir du périscolaire du soir et son allongement à 18h30. Par contre, l’un des plus grands problèmes, c’est que la ville décide de tout faire payer. Ce qui relève du soutien et de la réussite scolaire doit être gratuit. Sinon des parents vont aller embouteiller les soutiens scolaires en prenant parfois la place de ceux qui en ont le plus besoin, pour ne pas payer le périscolaire. Il y a même des contradictions internes dans les propositions. Le décret Hamon, qui a rendu possible le regroupement des heures sur une demi-journée, était à la base destiné au rural, qui ne pouvait pas recruter et qui avait des difficultés d’organisation. On a mis Lyon au même niveau qu’un petit village d’Ariège ou de Corrèze. Bonjour l’ambition internationale !
Que pensez-vous de "l’argument du budget", pris en compte lors de l’élaboration des scénarios par la ville de Lyon ?
Gérard Collomb qui avait hurlé sur le coup de la réforme, se garde bien de dire la même chose aujourd’hui, car la ville a bénéficié de recettes qu’elle avait largement sous-estimées et n’a pas dépensé autant qu’elle veut bien le dire. Donc l’argument financier n’est pas un véritable argument. Aujourd’hui, le fonds de soutien vient d’être pérennisé pour trois ans. Il est proposé aux villes qui proposent une organisation sur neuf demi-journées. Donc les deux scénarios proposés par la ville se privent volontairement de l’aide de l’État, en proposant 8 demi-journées. C’est une aberration, ça n’a aucun sens sur le fond comme sur le plan financier. La ville n’a d’ailleurs jamais publié de bilan financier sérieux et réel de l’ensemble de l’offre périscolaire et extra-scolaire.
"Le plus souvent, ce n’est pas l’intérêt de l’enfant qui est pris en compte"
Le mode de décision via les conseils d’école est-il représentatif ?
Ces conseils sont dominés par les enseignants. Aujourd’hui, le conseil d’école ne peut pas être le seul moyen de consultation et de vote pour avoir l’avis de tous les intéressés sur le sujet. Car le plus souvent, ce n’est pas l’intérêt de l’enfant qui est pris en compte. Pour tous les acteurs de la ville, le projet éducatif est aussi important que les horaires. Or, on ne parle jamais du projet éducatif. L’argument de mettre un quart d’heure de plus à midi, c’est pour pouvoir faire trois services de restauration scolaire. Cela permet alors d’absorber la hausse de la demande sans embauche, et sans créer de locaux supplémentaires.
Alors d'après vous, qui devrait prendre ses responsabilités aujourd'hui ?
Tout ministre digne de ce nom devrait rappeler à l’ordre le maire de Lyon pour qu’il propose au moins le droit commun. Et j’en donne la responsabilité au ministre parce que ça se passe directement entre le maire de Lyon et le ministère. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée la réforme en 2013 n’étaient pas propices à un choix éclairé. On avait dit qu’au point de vue financier rien n’était possible, alors que c’est faux. D’ailleurs les autres grandes villes l’ont prouvé : ce n’est pas un gouffre financier. Il faut mettre tous les éléments sur la table pour qu’il y ait un vrai choix démocratique. En tous cas, le minimum, c’est qu’on propose le scénario prévu par la loi. Le ministre aurait dû, s’il avait été si républicain, dire au maire de Lyon : "Vous proposez tous les scénarios que vous voulez, mais au moins le droit commun !"