©Jérome Tanon

"A 5 880 mètres d'altitude, on n'a pas le droit à l'erreur"

Entretien avec le snowboarder professionnel Thomas Delfino, coréalisateur du film Zabardast, une aventure au fin fond du Pakistan et des montagnes vertigineuses du Karakoram, entre freeride et himalayisme, diffusé ce mercredi soir à Lyon dans le cadre du festival "Montagne en Scène".

©Jérome Tanon

Comment est née l'aventure de Zabardast ?
Tout est parti d'une après-midi où je me baladais dans une librairie. Je suis tombé sur le livre Les plus belles montagnes du monde. Une photo m'a sauté au visage : celle de la tour nord de Biacherahi, au Pakistan. Je me suis alors imaginé rider cette montagne complètement folle. C'est très esthétique et c'est ce que je recherche aujourd'hui dans le snow : de jolies lignes à rider. Raides et jolies.

La tour de Biacherahi est effectivement totalement vertigineuse...
Oui. J'ai d'ailleurs mis trois ans, après l'avoir vu en photo, à me dire qu'il était temps d'organiser une expé là-bas. La face en elle-même fait environ 600 mètres de déniv' pour une pente, en haut, de 50°. Après, ça descend pour finir à environ 45° en bas. De loin, ça a l'air très raide mais en réalité c'est faisable. Le problème, c'est qu'il y n'y a quasiment aucune photo de cette montagne et très peu de documentation. Donc je suis parti en me disant qu'on verra sur place. On avait des solutions de repli.

Est-ce que le fait que la montagne n'a jamais été ridé entre en ligne de compte dans votre choix ?
Oui, un peu. Mais le plus important pour moi c'est qu'il faut que ce soit très difficile d'accès. Peu importe, au final, que ça ait déjà été ridé. Pour moi, Zabardast est un film d'aventures qui raconte une histoire, plus qu'un film de ride pur.

Sur ce film, on est à la croisée entre freeride et himalayisme, on peut résumer comme ça ?
On va chercher des faces en haute altitude (5880 mètres, NdlR). Donc carrément, oui, on peut dire ça. On est parti avec les alpinistes Hélias Millerioux, ("Piolet d'Or"* 2018 , NdlR) et Yannick Grazaini.

* les "Piolets d'Or" récompensent les plus belles ascensions de l'année à travers le monde , selon des critères de style, de moyens d'ascension employés et de niveau d'engagement et d'autosuffisance. En 2018, le trio Frédéric Degoulet, Benjamin Guigonnet et Hélias Millerioux (Chamonix) a reçu le prestigieux prix pour avoir ouvert une voie dans l'immense face Sud du Nuptse, au Népal, du 14 au 21 octobre 2017.
La tour Nord Biacherahi, au Pakistan. Vertigineux.
©Jérome Tanon

Entre alpinistes et skieurs ou snowboarders, n'y-a-t-il pas des regards divergents sur une telle expédition ?
Différents, plus que divergents. D'ailleurs c'est hyper intéressant : on a une vision complémentaire de la montagne car on ne voit pas les mêmes choses. Ça permet de confronter nos points de vue.

La lecture du terrain est différente aussi ?
Oui. Par exemple, dans l’ascension de la face, les alpinistes vont chercher la glace car ça permet de s'assurer. C'est la sécurité. Nous, on préfère les itinéraires dans la neige mais c'est plus dangereux à cause des avalanches. Pour le coup, on les a suivis : je les ai engagés pour ça, pour qu'ils nous mettent en sécurité. C'est eux qui ont le savoir de cette montagne et de l'himalayisme. J'espère d'ailleurs faire d'autres choses dans ce style. Je bosse déjà avec Hélias sur de nouvelles expéditions dans le même genre.

Quel était la nature du terrain dans le Karakoram ?
On était dans un univers super sec au Pakistan. Après, on a eu une bonne tempête de quatre jours où il est tombé beaucoup de neige. C'était idéal pour nous : tu te reposes quatre jours dans ta tente et quand tu l'ouvres, tu as 1,50 mètre de pow (poudreuse, NdlR), c'est très cool !

Quels sont les risque là-haut, à 5 850 mètres (et des poussières) d'altitude ?
Il y en a plein. D'abord, c’est un endroit tellement isolé qu'on n'a pas le droit à l'erreur. Le premier village est à une semaine de marche. Après, il y a les secours mais ils sont tellement difficiles à organiser qu'on ne compte pas trop dessus. Il faut que tu acceptes d'élever ta jauge du risque. Si tu tombes, c'est vrai que c'est chaud. Il y a très peu de places pour l'erreur là-haut. Dans la montée, il m'est arrivé de me dire que c'était vraiment très chaud. Dans la descente, je maîtrise plus. On cherche des voies "moins exposées"... Je le mets entre guillemets car ça envoie quand même ! Sans te spoiler le film, il y a eu plusieurs signaux d'alarme qui m'ont fait prendre une décision. Je ne regrette rien.

Quel est votre appréhension du risque ?
Avant de partir, je me fixe une limite d'acceptation du risque à ne pas franchir car quand tu es dans l’action, ça devient très difficile de jauger ce risque. C'est à ce moment qu'il faut garder la tête froide et voir où tu en es de ta jauge. Il y a un moment, dans toute ascension, où ça commence à être chaud. Qu’il y ait des guides ou pas, ça ne change rien car ta décision t'appartient à toi seul et ça, les guides le savent. Mais tu as un tel niveau d'engagement que le moindre truc peut te tuer. C'est hyper important de garder ton jugement car c'est toi qui ressens les choses. Ce sont des émotions super intimes, ça vient des tripes.

Combien de temps a duré l'ascension et la descente en ski/snow ?
La montée a duré environ huit heures pour environ trois minutes de descente. Léo a lâché les chevaux et a mis près de quarante secondes. Quant à Zach, il a ridé plus tranquille, autour de quatre minutes.

Quelles ont été les sensations dans la descente en snow ?
C’est le kiff ultime. Mais c'est de la très grande concentration et beaucoup d'attention. L’explosion de joie vient vraiment à la fin avec un énorme rush d'adrénaline.

Lire aussi : A Lyon, la montagne fait son cinéma.

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