Ce jeune et surdoué chercheur du Laboratoire de spectométrie ionique et moléculaire (Lasim) de l'Université Lyon 1/CNRS est persuadé d'y arriver, à défaut de pouvoir régner sur le Ciel. Lui et une quinzaine de "cracks" franco-suisses-allemands - 35 ans de moyenne d'âge - travaillent d'arrache-pied pour mettre au point le laser le plus puissant de la planète, d'une puissance de 30 térawatts (30 000 milliards de watts, l'équivalent de l'énergie de 6 000 centrales électriques) capable de provoquer la foudre.
Flashback en 2004. Sur le parking de La Doua, planqués dans un conteneur de 6 mètres sur 2, ceux qui ressemblent à de jeunes étudiants à peine sortis des bancs de la fac, fignolent les réglages de leur dernière perle : le Téramobile, un laser de dix centimètres d'épaisseur, "observable par un spationaute en orbite". Pendant l'été, alors que tout le monde part bronzer au soleil, l'équipe se rend à 3 200 m d'altitude, dans les Montagnes Rocheuses, au laboratoire Langmuir du New Mexico Tech, une station d'étude de la foudre. Objectif : tester le laser. L'expérience s'avère infructueuse. Ou presque. A défaut d'avoir provoquer des éclairs, le laser lyonnais a déclenché des "précurseurs d'éclairs", préamorçage de décharges électriques aux effluves bleutés souvent observées par temps d'orage à l'extrémité des piolets des alpinistes ou des mâts des bateaux.
"Faire tomber la foudre sur demande"
Ces résultats viennent d'être publiés sur la revue Optics Express : le laser produit des flashes extrêmement puissants pendant un très bref instant, de l'ordre de 100 femtosecondes, soit un dix-millième de milliardième de seconde. Avec une telle puissance, le laser ionise l'air*, qui devient conducteur, pendant une micro-seconde, sur une distance de plus de cent mètres (bien plus longue qu'un paratonnerre classique). "Pour dépasser le stade de la simple décharge, il faut qu'on allonge la durée d'ionisation créée par le laser" explique Jérôme Kasparian. D'où les études actuelles sur la version 2 du Téramobile, un laser dix fois plus puissant que son cadet. Le projet prévoit d'utiliser cette puissance phénoménale en rafales (dizaine de flashes rapprochés), de manière à créer un "chemin" pour conduire l'électricité plus longtemps. Et ainsi véritablement provoquer la foudre. "D'ici 5 à 8 ans, nous serons en mesure de faire tomber la foudre sur demande".
OK, les Lyonnais jouent dans l'Olympe. Mais, au fait, à quoi tout cela sert ? Aujourd'hui, un industriel qui souhaite tester grandeur nature son nouveau modèle de paratonnerre ne dispose que de fusées pour déclencher la foudre : sauf que l'opération marche une fois sur deux et qu'il est difficile de guider l'éclair où on veut. Surtout, en maîtrisant la foudre, on pourra protéger des sites sensibles susceptibles d'être détruits par elle (lignes haute tension, centrales électriques, etc.). Et de limiter les smogs électromagnétiques : quand la foudre s'abat, elle provoque une perturbation magnétique capable de détruire les circuits électroniques. On imagine les effets sur un hôpital ou sur la tableau de bord d'un avion de ligne (raison pour laquelle les aéroports ferment en temps d'orage). Zeus n'a plus qu'à se rendormir.
* Le laser "arrache" les électrons aux molécules d'air : les éléctrons libres peuvent alors conduire l'électricité.
Peut-on stocker la foudre ?
D'aucuns s'est déjà posé la question. La réponse des spécialistes lyonnais est nette : "ça relève de la science-fiction". Du point de vue du concept, récupérer l'énergie phénoménale d'un éclair est envisageable : il faudrait fabriquer des condensateurs qui supportent le mégavolt contenu dans un éclair. Les coûts seraient faramineux. D'autre part, il faudrait installer ces condensateurs un peu partout sur le territoire car, si le Téramobile guide la foudre, il ne pourra pas être précis au point de toucher un point déterminé. Enfin, cela servirait à quoi, étant donné que "l'énergie d'un éclair permet d'éclairer une ampoule pendant un an".
Repères
1 million de volts (1 mégavolt), c'est l'énergie d'un éclair.
Le Téramobile 2 développera une puissance de 30 térawatts, soit 30 000 milliards de watts, l'équivalent de 6 000 centrales électriques.