Défaite de l'exception culturelle ou victoire du bon sens ? Son ancien président, Jean-Noël Jeanneney, dénonce une " américanophilie exagérée ". La Bibliothèque de Lyon, elle, a déjà choisi. Son directeur explique pourquoi il a confié ses trésors du XVIe siècle à Google.
L'information a été révélée ce mardi par La Tribune. La Bibliothèque nationale de France (BNF) négocie un accord avec Google pour numériser ses réserves et, en contrepartie, les rendre accessibles en ligne sur Google Livres. Contactés, Google et la BNF se contentent de préciser que rien n'est signé.
Google accusé de siphonner le savoir mondial
D'un côté, un pilier de la culture française. De l'autre, un géant américain soupçonné de vouloir siphonner le savoir mondial pour en devenir la principale source d'accès. Voire la seule.
C'est la thèse défendue par Jean-Noël Jeanneney, historien, ancien ministre socialiste et président de la BNF jusqu'en 2007. Il lui a consacré un livre, " Quand Google défie l'Europe ", présenté comme un " plaidoyer pour un sursaut ".
Le sursaut, c'était le lancement de Gallica, la bibliothèque numérique en ligne de la BNF, et d'Europeana, un portail fédérant les " résistants " européens. Le gouvernement y a consacré 7,3 millions d'euros l'an dernier, via des subventions du Centre national du livre.
Aujourd'hui, la BNF propose 774 000 documents sur Gallica. Pas grand-chose par rapport à un stock total de 13 millions de livres et d'imprimés. Numériser demande du temps et, surtout, de l'argent.
Patrick Bazin a fait le calcul dès 2006. Le directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon voulait numériser près de 500 000 livres anciens, d'incunables du XVe siècle à des ouvrages du XIXe. Coût : plus de 50 millions d'euros.
" Une bibliothèque vivante "
Un appel d'offres est lancé. Seul candidat : Google. La numérisation débutera en septembre, dans un centre créé pour l'occasion dans l'agglomération lyonnaise.
Patrick Bazin résume les avantages de l'accord conclu entre la ville de Lyon et Google :
- Pour la bibliothèque : une numérisation et une mise en ligne gratuites
- Pour Google : plus de références et de contenus, donc plus de trafic et de recettes publicitaires
- Pour les lecteurs : des livres rares accessibles gratuitement sur Google et sur le site de la bibliothèque
Pour le directeur de la bibliothèque lyonnaise, c'est l'occasion de développer un nouveau mode d'accès au savoir. Patrick Bazin mise beaucoup sur le développement de son site :
" Une bibliothèque numérique n'a d'intérêt que si elle est vivante, en permettant de faire des commentaires et de construire des réseaux sociaux avec les chercheurs et les usagers.
Aujourd'hui, l'évolution du savoir se fait par hybridation : le modèle "top-down" ["de haut en bas", ndlr], c'est fini. Et il ne faut pas qu'une seule bibliothèque numérique, mais plusieurs, y compris avec les mêmes livres, pour multiplier les focus. "
" Tout monopole est un péril "
Joint par Eco89, Jean-Noël Jeanneney estime qu'un accord avec Google serait " un renoncement " et " une idée assez saugrenue ". L'ancien président de la BNF explique :
" Tout monopole dans le domaine de la culture est un péril. Je n'ai rien
contre Google en tant que tel, mais laisser un monopole à une seule
firme commerciale anglo-saxonne est dangereux. "
L'argument économique, lui, serait " vraiment dérisoire " :
" J'avais obtenu 10 millions d'euros pour numériser 100 000 ouvrages par an. Il serait étonnant que la France ne soit plus capable de débloquer des fonds pour le rayonnement de la culture française et européenne. Il y a peut-être un climat d'américanophilie exagérée... "
Les éditeurs, eux non plus, ne sont pas rassurés par les projets de la BNF. En numérisant en masse les réserves de bibliothèques étrangères, Google a rendu accessibles des livres protégés par le droit d'auteur. Un procès l'opposant au groupe La Martinière doit d'ailleurs se tenir en décembre.
On trouve d'ailleurs sur Google Livres une partie de l'édition américaine du plaidoyer anti-Google de Jean-Noël Jeanneney. Un simple " aperçu ", nuance le site. Mais qui offre quand même gratuitement un tiers de l'ouvrage.
Mis à jour le 18/08/2008 à 20h après une interview de Jean-Noël Jeanneney
Photo : projection stéréographique d'une vue du bouquiniste " La caverne des livres ", à Auvers-sur-Oise (Gadl/Flickr)
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