hopital psychaitrique
Le Château-Perret, siège de l’hôpital psychiatrique de Saint-Cyr, dans les monts d’Or @Antoine Merlet

A Lyon, coup de tonnerre dans le milieu de la santé

En 2022, l'hôpital psychiatrique de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or
était placé sous administration provisoire, son directeur mis à pied. Le tribunal administratif vient d'annuler ces deux décisions. Un jugement exceptionnel.

C'est un jugement rare qu'a rendu, vendredi 12 juillet, le tribunal administratif de Lyon en annulant deux arrêtés, l'un de mise sous tutelle du centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, l'autre de révocation de son directeur. C'est la première fois qu'une juridiction à ministre active annule une mise sous administration provisoire.

En toile de fond, un "témoin gênant" qu'il aurait fallu écarté et un signalement pour prise illégale d'intérêts porté devant le parquet national financier.

Le jugement de la 9e chambre pourrait également avoir de nombreux effets puisque l'administration provisoire de l'hôpital a pris certaines décisions, concernant des personnels administratifs, soignant et non soignant, qui pourraient ainsi ne pas être légitimes et être remises en cause par ces derniers devant la justice.

Retour sur un dossier qui a défrayé la chronique dans le milieu hospitalier lyonnais et français.

Charge mentale

"Démence à l’hôpital psychiatrique de Saint-Cyr". C'est sous ce titre que Lyon Capitale avait publié, en février dernier, une enquête de six pages consacrées aux dysfonctionnement graves du centre hospitalier des monts d'Or. Depuis sa création en 1972, l'hôpital couvre le secteur ouest du département du Rhône et accueille tous les ans 12 000 patients en soins psychiatriques. 800 employés, dont 70 médecins y travaillent.

Turnover, burn-out, mise à pied, harcèlement moral, dénigrement et propos calomnieux, recours en justice dans tous les sens, insuffisance du dialogue social, dysfonctionnements managériaux et organisationnels, dégradation de la prise en charge médicale des patients, avec une série noire de suicides... dès le mois d'août 2022, l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes était informée de graves difficultés constatées dans le fonctionnement du centre hospitalier, spécialisé dans les troubles psychiatriques, de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or. Avec, pour conséquence, une détérioration de la prise en charge des patients.

Le 7 novembre 2022, le directeur régional de l'Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, Jean-Yves Grall, plaçait sous tutelle le centre hospitalier.  Motif : un "manquement grave portant atteinte à la sécurité des patients”, ponctué, selon l'arrêté de mise sous administration provisoire, de 96 événements indésirables graves (EIGS) – événements inattendus au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent.

"96 EIGS, le chiffre est arithmétiquement faux”, avait alors précisé à Lyon Capitale Jean-Charles Faivre-Pierret, publication de l’ARS à l'appui faisant état de 416 EIGS (en 2021) dans toute la région, dont 63 en psychiatrie. Selon des documents que Lyon Capitale s’est procurés, il aurait même été déclaré seulement 12 EIGS par le centre hospitalier Saint-Cyr cette la même année.

Dans la foulée de cet arrêté de mise sous tutelle, le directeur de l'époque de l'hôpital, Jean-Charles Faivre-Pierret était remercié par arrêté du 14 novembre signé de la directrice du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

"Argumentation particulièrement lacunaire"

Jean-Charles Faivre-Pierret avait alors porté un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif. L'audience s'était tenue le 28 juin dernier devant la 9e chambre qui, vendredi 12 juillet, a annulé les deux arrêtés litigieux.

Le tribunal a jugé que la décision de placer sous administration provisoire le centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or était entachée d'illégalité, jugeant l'argumentation du directeur de l'ARS "particulièrement lacunaire". Le tribunal évoque les EIGS (deux suicides, un décès et une tentative de suicide) rapportés par l'ARSà propos desquels "aucune précision n'a été apportée" et n'a procédé à "aucune analyse de l'évolution du nombre de ces actes, à aucune comparaison par rapport à d'autres établissements similaires et n'a diligenté aucune inspection ou enquête sur les conditions de fonctionnement de l'établissement et les facteurs pouvant expliquer la survenance d'événements graves indésirables".

Un plainte pour faux en écriture publique a d'ailleurs été déposée au sujet de ces fameux EIGS.

L'arrêté de mise sous administration provisoire de l'hôpital de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or entaché d'illégalité ayant été annulé, la décision de mise à pied du directeur était logiquement annulé.

Lire l'enquête de Lyon Capitale :  Démence à l’hôpital psychiatrique de Saint-Cyr

"Témoin gênant" et prise illégale d'intérêts

"Ce jugement est une réhabilitation morale de mon client, explique à Lyon capitale Etienne Tête, l'avocat de Jean-Charles Faivre-Pierret. Au-delà des 96 EIGS qu'on lui a mis sur le dos, on lui a attribué des choix politiques de santé alors que ce sont les médecins qui les font, c'est invraisemblable." Et de signaler la situation "doublement exceptionnelle" : "c'est la première fois qu'une agence régionale de santé motivait la mise sous administration provisoire sur la base d'événements médicaux qui sont de la seule responsabilité des médecins".

En estimant l'"argumentation lacunaire" du directeur de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes régionale de santé, Jean-Yves Grall, le tribunal administratif de Lyon a jugé que l'arrêté de mis sous tutelle de l'hôpital de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or avait été "pris à la légère", reformule Etienne Tête. "Grall devait prendre cet arrêté rapidement, avant qu'il ne soit plus patron de l'ARS. Selon mon interprétation, il voulait se débarrasser du directeur, Faivre-Pierret, qui avait compris les intérêts privés de Grall et de certains membres haut placés de l'ARS. Il fallait donc décrédibiliser ce témoin gênant'".

En effet, comme Lyon Capitale l'avait écrit, Jean-Charles Faivre-Pierret, alors directeur du centre hospitalier de Saint-Cyr-au-mont-d'Or avait remis au procureur de la République du parquet national financier (PNF) une note de dix-huit pages circonstanciées, dans laquelle il dénonçait de potentielles prises illégales d’intérêts à l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes. Celui-ci visait deux collaborateurs proches de Jean-Yves Grall, alors directeur de l’ARS, et subsidiairement Grall lui-même. On parle ici de délit de “pantouflage”, qui désigne l’infraction de prise illégale d’intérêts commise par une personne ayant exercé une fonction publique avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ses fonctions. 

Le signalement met en cause deux hauts cadres de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, Céline Vigné, directrice de l’offre des soins et Serge Morais, directeur général adjoint, qui auraient accordé des autorisations d’activité à des établissements privés à caractère psychiatrique dans lesquels ils sont allés travailler, comme dirigeant et salarié, dans les jours qui ont suivi. Serge Morais devient même, quelques semaines après, copropriétaire et actionnaire. “Il s’agit d’une prise illégale d’intérêts”, confirme Étienne Tête, l’avocat de Jean-Charles Faivre-Pierret. En bref, l’enquête du PNF permettra de déterminer si les deux hauts cadres de l’ARS, et subsidiairement son président Jean-Yves Grall, auraient enrichi des cliniques privées avec de l’argent public et se seraient enrichis à titre personnel en étant à la fois rémunérés et actionnaires des sociétés privées.

Pour cette dénonciation, Jean-Charles Faivre-Pierret a reçu, samedi 27 janvier à Paris, la Marianne du prix Ethique de lanceur d'alerte.

Lire aussi : Un lanceur d'alerte distingué dans le milieu médical lyonnais

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