Arrivés à Lyon en mai 2024, Fatou et son fils Akim dormaient alors dehors depuis plusieurs jours avant que le collectif Jamais Sans Toit ne se mobilise et ne les accueille à l’école maternelle Audrey Hepburn (9e arr.). Après avoir dormi dans des hôtels cet été, la famille est de retour à l’école, sans aucune solution de la part des services de l’État.
Il est 16h30 ce vendredi 6 décembre devant l’école maternelle Audrey Hepburn, dans le 9e arrondissement de Lyon, alors que les enfants sortent de l’école. Les cris accompagnent l’excitation du week-end qui commence. Devant le portail, plusieurs enseignantes s’activent derrière un tréteau sur lequel reposent plusieurs gâteaux, boissons et lumignons. Au centre trône une maison miniature faite de carton dans laquelle les parents déposent des pièces de monnaie alors qu’ils quittent l’école avec une part de gâteau pour leurs enfants.
Ce goûter solidaire organisé par le collectif Jamais Sans Toit et les enseignants de l’établissement n’est pas le premier, bien au contraire. Ce vendredi, les fonds récoltés doivent permettre de venir en aide à Fatou, son mari et leur fils Akim, qui aura quatre ans le 26 décembre, hébergés dans l’école depuis le mois de mai.
Lire aussi : Près de Lyon, deux familles mises à l'abri dans une école vont se retrouver à la rue
Un long parcours migratoire et le silence de la préfecture du Rhône
Enceinte de sept mois, Fatou est assise dans la cour de récréation et regarde son fils jouer avec les derniers camarades encore présents. Lorsqu’elle évoque son parcours de vie, les yeux de cette maman deviennent tristes. "Je suis originaire du Congo, j’ai fui mon pays et je suis allée à Mayotte où j’ai obtenu des papiers. J’ai vécu dix ans là-bas, mais il y a de gros problèmes de délinquance, il n’y a pas d’école, ce n’était pas bon donc je me suis dit que j’allais venir en France", confie Fatou. La jeune maman arrive finalement en France métropolitaine en 2019, puis rejoint Lyon avec son mari et son fils le 7 mai 2024.
Mais leur arrivée dans la capitale de Gaules est loin d’être simple. "Au départ, on dormait sur des cartons à côté de la station essence alors que mon fils était scolarisé dans cette école", ajoute Fatou. Rapidement pris en charge par le collectif Jamais Sans Toit, la famille a pu être hébergée la semaine au sein de l’école, puis à l’hôtel durant les week-ends. "Ce n’est pas du tout facile. Je suis enceinte et je dois accoucher en janvier. Je n’ai aucune solution pour mon bébé parce que je ne peux pas accoucher dans l’école." Considérée comme prioritaire, la famille a effectué bon nombre de demandes, notamment un recours Dalo (droit au logement opposable), resté jusqu’alors sans réponse. Cet été, la famille a par ailleurs été prise en charge par la Ville de Lyon en lui offrant des nuits d’hôtel. Mais faute de moyens, la municipalité a dû arrêter son aide à la rentrée scolaire, laissant la famille sans solution et l’obligeant à revenir loger à l’école.
"Je n’arrive pas à envisager le futur, mais il faut que je sois forte pour mon fils et mon bébé."
Fatou, maman hébergée à l'école Audrey Hepburn
Depuis, Fatou et sa famille dorment dans le gymnase de l’école et se rendent à l’hôtel grâce au collectif Jamais Sans Toit les week-ends. Pour l’heure, son mari est encore dans l’attente de l’autorisation des services de l’État pour travailler et Fatou attend d’accoucher pour trouver du travail. Une situation qui semble sans fin pour cette jeune mère de famille. "Je n’ai encore rien acheté pour le bébé, ça me fait peur. J’ai très peur", avoue-t-elle avec émotion, avant d’ajouter, "je n’arrive pas à envisager le futur, c’est stressant, mais il faut que je sois forte pour mon fils et mon bébé."
Lire aussi : 150 mineurs isolés expulsés d’un gymnase de Villeurbanne
La famille aurait dû être mise à l'abri le 6 novembre
Alors que le trottoir devant l’école se vide en cette fin d’après-midi, plusieurs enseignantes et membres du collectif Jamais Sans Toit confient leur fatigue. "Fatou et sa famille ont une autorisation d’être sur le territoire jusqu’en 2030. Ils sont là tout à fait légalement", précise une membre de Jamais Sans Toit. Elle indique par ailleurs qu’un courrier de la mission départementale daté du 6 août enjoignait la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, à leur trouver une solution de mise à l’abri avant le 6 novembre. "Vous vous doutez bien que le 6 novembre il ne s’est rien passé. On n’a eu aucune réponse." Et d’ajouter : "Avec le collectif, on s’épuise un peu parce que l’on est déjà à plus de 1 000 euros de nuits d’hôtel pour les week-ends depuis le mois de septembre."
"Avec le collectif, on s’épuise un peu parce que l’on est déjà à plus de 1 000 euros de nuits d’hôtel."
Membre du collectif Jamais Sans Toit
Un recours en injonction a été déposé par la famille dans la foulée du 6 novembre pour que la préfecture du Rhône lui trouve une solution de mise à l’abri. Là aussi, la demande est restée sans réponse. Démunie, Fatou devrait bientôt déposer un recours en indemnisation pour qu’elle soit aidée financièrement et qu’elle se mette elle-même à l’abri. "Ce qui écœure le collectif aujourd’hui, c’est qu’avant, lorsqu’on lançait une occupation d’école, cela alertait suffisamment les pouvoirs publics pour que les situations se décantent, notamment celles qui s’inscrivent dans un cadre légal défini, avec des papiers, des injonctions et des recours. Là, on a l’impression qu’on est devenu une association d’hébergement et que c’est normal que l’on héberge des familles dans des écoles", déplore une autre membre du collectif. Et de conclure : "On demande simplement que le droit s’exerce. À partir du moment où la loi dit que cette famille à le droit à cela, il faut que l’État réalise ses obligations."
Sur le trottoir d’en face, alors que la nuit tombe sur Lyon, l’école élémentaire Audrey Hepburn accueille, elle aussi, quatre familles à la rue, dont une maman qui devrait accoucher dans les prochains jours. Au mois de novembre, le collectif Jamais Sans Toit recensait 165 familles, dont 361 enfants à la rue dans la Métropole de Lyon.
Lire aussi : Lyon : après l’expulsion du site Neyret, la gauche appelle l’État à "prendre ses responsabilité"