Cachés au milieu des barres d’immeuble du quartier d’affaires lyonnais, 45 000 bulbes ont pris racine depuis quelques semaines sur les toits du centre commercial de la Part-Dieu. D’ici la fin du mois de novembre, le premier safran Lyonnais sera prêt à être commercialisé aux professionnels de la restauration locale et au public de la Part-Dieu.
Considéré comme l’une des épices les plus chères au monde, le safran est cultivé depuis quelques semaines sur les toits du centre commercial de la Part-Dieu. En plein coeur du quartier des affaires Lyonnais, caché derrière une porte du 5e étage de l’édifice, loin du bruit de la rue, poussent paisiblement des milliers de bulbes de crocus. Depuis quelques semaines, ces derniers donnent naissance à de petites fleurs violettes, qui apparaissent chaque matin au compte-gouttes sur les deux terrasses de 980m2, de la Part-Dieu, sur lesquels 45 000 bulbes ont été plantés à la main par Amélie de François.
Cultiver l’or rouge en ville, une évidence
Chaque jour, la jeune femme prend la direction de son bureau en plein air, à la vue imprenable sur le Crayon et Fourvière. Pendant près de deux heures, elle ramasse avec minutie les petites fleurs violettes à l’odeur de miel, qui doivent être récoltées dès qu’elles fleurissent sous peine de perdre la récolte, à l’image de la vanille. Vient ensuite l’émondage, à l’aide de ciseaux de couture, pour récupérer les pistils. Un passage délicat, car si les trois petits brins rouges de safrans, qui sont cachés à l’intérieur des feuilles violettes sont séparés, le produit perd en valeur : "c’est un gage de qualité, qui montre que le safran n’est pas contrefait", explique Amela du Bessey, la fondatrice de la Maison d’agriculture urbaine Bien Elevées, qui cultive ce safran lyonnais.
"Le kilo de safran en vrac se commercialise entre 35 000 et 45 000 euros selon sa qualité." Amélie de François, de la société Bien Élevées
Ce n’est pas pour rien que cette épice, principalement cultivée en Iran, est aussi appelée l’or rouge. En moyenne, "le kilo de safran en vrac se commercialise entre 35 000 et 45 000 euros selon sa qualité", souligne Amélie. Avec ces chiffres en tête, l’idée de cultiver un produit aussi raffiné sur des toits en plein centre d’une ville en proie à la pollution urbaine peut sembler saugrenue. Pourtant, pour Amela il n’y a rien de plus logique "c’est une plante qui n’a pas besoin d’être arrosée et je ne connais pas d’autre culture productive en toiture où l’on peut se permettre de ne pas irriguer, c’est incroyable. On cultive sans perturber la ville on a simplement posé ces fleurs ici et elles poussent et sont heureuses ici" confie en souriant l’entrepreneuse.
Un safran propre
Reste que la présence de métaux lourds et d’hydrocarbures dans l’air interroge. Une inquiétude que comprend Amélie, mais "l’agricultrice" se veut rassurante sur la question : "ces polluants se concentrent près du sol, au 1er étage, ils ne montent pas et ici nous sommes aux 5e et 6e étages". Néanmoins, afin de ne prendre aucun risque, le safran est testé une fois par an "pour vérifier qu’il n’y ait pas de contaminations et l’on est très en dessous des normes", précise la directrice la société. Avant d’ajouter : "c’est triste, mais on le voit avec d’autres produits, par exemple le miel qui est produit en ville est parfois plus propre que celui qui est fabriqué à la campagne".
"On le voit avec d’autres produits, par exemple le miel qui est produit en ville est parfois plus propre que celui qui est fabriqué à la campagne." Amela du Bessey, fondatrice de la Maison d’agriculture urbaine Bien Elevées
Non seulement propre, le safran produit par Bien Elevées jouit aujourd’hui d’une certaine réputation de par sa qualité et son intensité. Car si la première production lyonnaise ne sera prête que fin novembre, une fois que les pistils auront été séchés puis conservés dans des bocaux, leur permettant de développer leur arôme, Amela n’en est pas à son coup d’essai. Avec ses trois soeurs, l’entrepreneuse possède 7 autres safranières urbaines sur les toits de Paris.
Cibler la haute gastronomie et les particuliers
Depuis 2018, des chefs cuisiniers et pâtissiers parisiens utilisent donc le safran produit à l’Institut du Monde Arabe ou encore à l’opéra Bastille pour faire des desserts notamment, l’épice cultivée par Bien Elevée se prêtant bien aux plats sucrés du fait de son caractère "très floral". Pas seulement réservé aux grandes tables parisiennes, et bientôt lyonnaises, l’épice produite par la petite société est aussi vendue au grand public par boîte de 0,1g, au prix de 6,50€, "largement de quoi assaisonner un risotto pour 6 à 8 personnes", selon Amélie de François. À Lyon, il est même possible de venir récolter et émonder soit même son safran lors d’ateliers au moment de la floraison.
Pour cette première récolte 100% made in Lyon, Amélie espère récolter "au maximum 300 grammes", afin de démarcher des clients dans la Capitale des Gaules. Vendu en moyenne 45 euros le gramme aux professionnels, le safran de Bien Elevée trouve souvent vite preneur. À titre d’exemple, en 2020 la maison "La Durée nous en a acheté 200 grammes pour une édition de macarons", confie Amela. Alors, qui sait, peut-être que la prochaine fois que vous dégusterez un dessert ou une sucrerie de chez Bouillet, celle-ci sera relevée d’une touche du safran des toits de la Part-Dieu.