A Lyon, les biotechs virent les prostituées

EXCLUSIF - Et de six. La Ville de Lyon vient de prendre un sixième arrêté anti-prostitution depuis 2002. En cause, cette fois-ci, la gêne occasionnée par les camionnettes aux entreprises de la nouvelle zone d’activité de Gerland. Parmi lesquelles le géant américain des biotechnologies, Genzyme.

Pour prendre ce sixième arrêté anti-camionnettes, la municipalité ne s’est pas cachée derrière une demande du préfet (lire l’article sur le cinquième arrêté). A ce prétexte près, l’histoire se répète. Et les mêmes causes produisent les mêmes effets. Pour échapper aux mises en fourrière et aux procès verbaux, disent-elles, les personnes prostituées installent leur camionnette à l’extérieur du périmètre anti-prostitution, dans des zones en friche ou faiblement habitées. Les doléances des riverains et des entreprises arrivent sur le bureau du maire qui prend un arrêté excluant encore un peu plus les prostituées.

Camionnettes dans la "Biotech Alley"

Au début du mois de mars, lorsque les voiries de la nouvelle zone d’activité du “Bipôle” de Gerland sont ouvertes à la circulation, des prostituées installent leur camionnettes sur les parkings. Dans l’immense zone d’activité qui ressemble encore à une friche, une seule entreprise fonctionne depuis peu. Mais pas des moindres. Il s’agit de Genzyme, l’un des "dix géants" des biotechnologies, qui est réputé avoir une "ligne directe" avec Gérard Collomb.

Quand les dirigeants de l’entreprise de biotech, mais aussi les autres investisseurs voient les camionnettes s’installer "sous leurs fenêtres", ils prennent immédiatement le téléphone. Ils ne sont pas les seules à se plaindre, les autres investisseurs (Adapei et Lazard) saisissent également la SAS Ampère, la société d’aménagement, filiale de Gaz de France et de la SERL (la société d’économie mixte du Grand Lyon pour les grands aménagements urbains). “Ce sont des personnes qui ont mis beaucoup d’argent. Quand les investisseurs font visiter leurs locaux, ça fait un peu désordre”, explique Nicolas Canivet, le chargé de projet.

Zone privée mais voirie accessible au public

La SAS Ampère dégaine la première, en tant que propriétaire de la zone d’activité. L’aménageur n’a en effet pas encore rétrocédé la voirie à la collectivité car “il faut reprendre certains ouvrages”, explique-t-on à la Ville de Lyon. Mi-avril, le propriétaire envoie des vigiles pour empêcher les clients de rentrer dans la “propriété privée”. "Il y avait une quarantaine de camionnettes, justifie le chargé du projet Porte Ampère, on m’a demandé d’accélérer le processus". Les filles ont protesté. Soutenues par Cabiria, association d'aide aux personnes prostituées, elles ont pu faire accepter leur présence jusqu'au procès visant leur expulsion.

Procès reporté et arrêté pris le même jour

Parallèlement, la SAS Ampère saisit la justice en vue d’une expulsion des camionnettes squatteuses. Le 15 avril un huissier passe et constate la présence de 22 camionnettes. Le 17 mai, jour de l’audience, l’avocate des prostituées, Isabelle Nabucet, demande et obtient le report du procès. Elle explique que ses clientes étaient persuadées d’être dans le domaine public puisqu’il y a même un bus qui circule. Un supplément d’information lui semble nécessaire. Le même jour, la Ville de Lyon prend un sixième arrêté excluant les prostituées de la rue Saint-Jean-de-Dieu. "Je ne crois pas une seule minute à une coïncidence", réagit l’avocate Isabelle Nabucet. La Ville de Lyon dément et parle de "deux procédures parallèles". "Du moment que la voirie est ouverte à la circulation, les pouvoirs de police du maire s’appliquent", précise un technicien en charge du dossier.

Mises en fourrière et désarroi des prostituées

Deux jours après la signature, l’arrêté a été appliqué. La fourrière est passée à deux reprises, les 19 et 20 mai. Ni les associations, ni les prostituées elles-mêmes n’ont été informées. Résultat, une dizaine de mises en fourrière (selon les prostituées) à 136 euros et le double de procès verbaux à 35 euros. "On nous a dit que c’était privé. Maintenant on nous dit que c’est public. On ne comprend rien", explique Evelyne, une prostituée rencontrée le 20 mai. "En plus, il y a un procès. Et il nous avait promis de nous laisser tranquille jusque là". Elle montre, 500 mètres derrière, les bâtiments où il y a inscrit un mystérieux "LYG1". Il s’agit du laboratoire de biotechnologie Genzyme, où travaille une centaine de personnes. "Eux disent que ce n’est pas bon pour leur image. Mais nous gênons de partout. Nous sommes des pestiférées. Qu’ils nous laissent sur un terrain !”

Extension de la zone d’exclusion au nord

La municipalité en a profité pour étendre la zone d’exclusion au nord de Gerland, là où le périmètre avait été grandement élargi en décembre dernier. Les camionnettes sont désormais interdites jusqu’à la rue Bollier. A la Ville de Lyon, on se défend toujours de faire “une chasse aux sorcières” : “si on voulait zéro camionnettes, on pourrait le faire. Notre volonté est de stabiliser le nombre”. Dans le périmètre de l’arrêté, il resterait, selon la mairie une cinquantaine de camionnettes.

L’association Cabiria dénonce une nouvelle fois cette politique municipale : “Le maire de Lyon et son adjoint ne prennent plus la peine de se cacher derrière les récriminations des riverains pour chasser les personnes prostituées, déclare Florence Garcia, la directrice de l'association. Il est très clair que ce sont des intérêts économiques et financiers qui sont privilégiés, au détriment de la situation de ces femmes que l'on pousse dans une précarité alarmante”. A l’heure où nous postons cet article, il ne reste plus qu'une camionnette dans la “Biotech Alley”.

Photo : Deux camionnettes de prostituées dans la "Biotech Alley" photographiées le jeudi 20 mai. Au fond, l'entreprise Genzyme.

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