L'exposition, programmée jusqu'au 26 mars 2023 au Pôle Pixel de Villeurbanne, croise les sensibilités du célèbre photographe français et de l'écrivain franco-algérien, à travers des clichés capturés en 1961 puis en 2019 par Raymond Depardon, accompagnées de textes de Kamel Daoud.
"Ce que je trouve formidable, c'est que c'est une exposition où il n'y a pas de violence, où il n'y a pas de cadavres" commente Raymond Depardon en déambulant dans le studio 24 du Pôle Pixel de Villeurbanne, où vient d'être installée l'exposition qu'il co-signe avec Kamel Daoud, "Son oeil dans ma main, Algérie 1961-2019".
Née d'un livre conçu à quatre mains puis créée en partenariat avec l'Institut du Monde Arabe à l'occasion des 60 ans des accords d'Evian, cette "discussion intime entre deux monuments des arts", comme l'a saluée la directrice du lieu Géraldine Farage lors du vernissage ce mardi 18 octobre, revient en clichés sur l'Algérie de 1961 – année au cours de laquelle Raymond Depardon, alors âgé de 19 ans, est envoyé dans le pays par l'agence Delmas pour y capturer cette période charnière – puis les met en regard avec une autre série de photos, prises en 2019 à la demande de Kamel Daoud à Alger et à Oran, où les deux artistes se sont rendus ensemble, avec Claudine Nougaret, l'épouse et la complice artistique du photographe.
L'écrivain les accompagne de cinq textes pensés comme "très différents presque disjoints des photos", "des méditations ou de rêveries sauvages", qui expriment ce qu'il ressent à la vue des photos sans pour autant les commenter.
Photos de rue et textes méditatifs
Parmi les 78 clichés exposés, pas de violence en effet : des photos de rue, essentiellement, posées ou non, prises dans différentes villes du pays. Mais aussi des images inédites prises à Evian et à Bois d'Avault, toujours en 1961, au cours des négociations entre le FLN et la France pour l'indépendance. A la demande de Depardon, toutes les photos sont exposées dans des cadres en métal. "Je ne voulais pas qu'elles paraissent nostalgiques dans des cadres en bois", précise l'artiste.
Les textes de Kamel Daoud, qui n'a pas pu être présent au vernissage à Villeurbanne, sont encadrés de la même façon, pour qu'ils revêtent la même importance. Au sujet de ses photos et en particulier celles de 2019, Depardon estime modestement qu'"elles n'ont rien d'extraordinaire", mais qu'il aime "leur certaine simplicité", en contemplant un cliché d'une bande de jeunes Algériens marchant en souriant en 2019. "Comme j'ai fait moi-même sur la rue de la République à Villefranche-sur-Saône", ville où il a grandi.
Interrogé sur les contrastes perçus entre les deux époques, Raymond Depardon explique n'avoir pas voulu porter un "regard critique" sur le pays, mais a exprimé avoir ressenti une "frustration" à voir la "jeunesse aussi présente dans la rue, toute la journée".
Libérer le regard
Par ce "cocktail franco-algérien", les deux artistes offrent "une amulette contre le mauvais oeil du ressentiment et des haines recuites, pour se promettre que les souffrances passées ont enfin cicatrisé et nous permettent désormais de bâtir ensemble un meilleur avenir", pour le maire de Villeurbanne Cédric Van Styvandael.
A travers cette collaboration, les deux artistes parviennent en effet à échapper aux rancoeurs et aux batailles de mémoire, avec l'ambition de libérer le regard et de laisser chacun ressentir ce que lui inspirent les photos, loin de l'histoire, de la culture et des préjugés.
Dans un entretien filmé par Claudine Nougaret entre les deux hommes et diffusé dans l'exposition, Kamel Daoud se réjouit en effet d'avoir vu "des gens, dans la rue, sourire au photographe". "C'est très rare. On ne sourit pas à un Français qui prend des photos". "Souvent, on nous demandait à Claudine et à moi si nous étions des nostalgiques de l'Algérie française, ajoute Depardon. Lorsque nous disions que non, on nous répondait « soyez les bienvenus »."
"En ayant Kamel Daoud à mes côtés, je me suis senti libéré, je ne me suis plus du tout senti Français, je me suis senti un homme de l'universel qui fait des photos, il n'y a plus d'histoire, de douleur, de relations compliquées entre nos deux pays", poursuit le photographe. "On dit que les relations entre la France et l'Algérie sont compliquées. Mais c'est parce que l'on ne se connaît pas. Moi, j'appelle Kamel, tout est très simple."
L'exposition est accessible du mercredi au dimanche de 10h à 18h jusqu'au 26 mars 2023 au pôle Pixel de Villeurbanne, à 10€ plein tarif.