Le nouveau marché de Grandclément, déplacé par la mairie de Villeurbanne, sème la colère chez les commerçants exclus et divise les habitants du quartier.
La colère gronde chez les commerçants de Villeurbanne. En raison des travaux relatifs au prolongement de la ligne de tramway T6, reliant les Hôpitaux-Est à la Doua, les professionnels du marché de Grandclément ont du quitter le 31 décembre leur espace de travail initialement situé sur l'avenue Général Leclerc.
Problème, les 204 marchands n'ont pas tous pu intégrer le nouveau marché installé sur le boulevard Eugène-Réguillon. En tout, 147 personnes ont "été mises sur le carreau", une situation intolérable pour le collectif Marché Grandclément. Depuis le 1er janvier, les membres de l'association se mobilisent trois fois par semaine devant l'entrée du marché, ainsi que sous les fenêtres de la mairie pour demander leur réintégration.
"J'ai perdu 80 % de mon chiffre d'affaires"
Mustapha Berrahou, porte-parole du collectif, explique avoir "perdu 80 %" de son chiffre d'affaires. Il dénonce notamment une "décision cruelle du maire qui a décidé de supprimer le marché populaire datant de 1892 sur l'avenue Général Leclerc". À ses yeux, la mairie a fait "une sélection illégale des commerçants" sur le nouveau marché. "La sélection a été faite selon la tête du client", s'emporte ce forain.
Contactée par Lyon Capitale, la mairie de Villeurbanne assure avoir eu recours à un appel à candidature réglementaire, en s'appuyant sur des critères de sélection, dont "celui de l'expérience professionnelle dans la zone de chalandise concernée". Selon les services de la mairie, "l'objectif était de créer un marché qui réponde le mieux aux attentes des habitants en termes de prix, de qualité et de diversité", tout en restant au cœur du quartier.
Sur les 204 commerçants initialement installés sur le marché, 79 exerçaient une activité alimentaire et 126 vendaient des produits manufacturés. Au total, seuls 58 marchands ont été repris, dont 34 au niveau de l'offre alimentaire et 24 des produits manufacturés. Des commerçants "choisis sur des critères pas logiques", martèle le collectif, qui entend désormais poursuivre la mairie devant la justice. "Ils ont pris la liste dans le désordre. Situés en haut de la liste, les plus anciens du marché n'ont pas été retenus ", proteste Mustapha. Avant d'ajouter, "Nous ne sommes absolument pas contre le projet des travaux de la ligne T6 [...] par contre on exige la création d'un site qui puisse tous nous accueillir sans exception, que l'on propose des produits alimentaires ou manufacturés".
Des solutions contestées
Le collectif regrette que les différentes solutions proposées à la mairie n'aient pas été prises en compte. "On a fait des propositions dans l'intérêt de tout le monde, avec une installation sur la rue Léon Blum, la rue du 1er Mars 1943, la place Jules Grandclément, ou encore la rue Pierre-Louis Bernaix, une rue large et vide. Mais la mairie trouve toujours des excuses et des obstacles, alors que de la place il y en a", s'agace Mustapha. Ce à quoi les services de la municipalité socialiste rétorquent que, par exemple, la rue Pierre-Louis Bernaix n'a pas été retenue parce qu'il "s’agit d’un axe nord-sud à double sens. La fermer à la circulation aurait totalement engorgé le secteur et cela aurait été problématique pour le passage des services de secours et d’urgence, notamment pour l’accès au lycée Marie-Curie".
Quant aux alternatives, la mairie de Villeurbanne assure en avoir proposé lors de cinq permanences organisées pour trouver des solutions pour celles et ceux laissés sur le carreau. Ces rendez-vous auraient notamment donné lieu à plusieurs propositions d'installation sur d'autres marchés villeurbannais : "place de la Paix, aux Buers, sur les marchés Réguillon et Frappaz". "À ce jour, les forains ne se sont pas saisis de ces propositions", indique la mairie.
La Ville de Villeurbanne évoque toutefois la création d'un nouveau marché alimentaire et manufacturé "sur l'esplanade de la gare à l'issue des travaux de la ZAC Grandclément, à horizon 2028-2030". Des années d'attente qui ne satisfont pas les manifestants, qui peinent déjà à boucler les fins de mois. Sans droit au chômage, Mustapha confie avoir été contraint de supprimer certaines activités de ses enfants.
Un nouveau marché qui divise les habitants
Deux mois après l'installation du nouveau marché entre des prix plus élevés, la réduction de l'offre, mais un trottoir plus large qui laisse plus d'espace, les avis des habitués sont également mitigés. "Je suis très satisfaite de ce nouveau marché, j'ai retrouvé mes commerçants. C'est plus aéré et plus propre que celui d'avant. Je pense que les gens ont du mal avec le changement", confie une habituée du marché depuis "40 ans". Un constat partagé par une autre habitante du quartier, qui se réjouit des "allées beaucoup plus larges et plus accessibles. C'est l'avis de beaucoup de monde", assure-t-elle.
"Le marché est devenu trop cher pour une retraitée comme moi"
Bojanov Rose, habitante du quartier
Pourtant, ce marché n'est pas du goût de tous. "Je préférais l'ancien, il y avait plus de produits et surtout plus de vêtements. Même s'il y a plus d'espace, le marché est devenu trop cher pour une retraitée comme moi", déplore Bojanov Rose, une habitante du quartier. Sans concurrence, certains commerçants ont ainsi profité de la baisse de l'offre pour augmenter leurs prix.
Du côté de ces derniers, l'humeur est donc plutôt à la joie, même si ceux que nous avons pu interroger comprennent le combat de leurs confrères. "On retrouve notre clientèle d'avant, il y a plus de place. On est content d'avoir été sélectionné. Mais c'est dommage qu'il n'y ait pas de place pour tout le monde", souligne Pascal, désormais le seul poissonnier du marché.
Les produits manufacturés délaissés
Quelques mètres plus loin, du côté de la rue du Docteur Frappaz, adjacente au boulevard Eugène-Réguillon, l'ambiance est tout autre. C'est dans cette rue descendante et étroite que les commerçants de produits manufacturés tentent de vendre leurs produits textiles. "Je n'aime pas du tout cet endroit. Dans une pente pareille on a du mal à vendre et personne ne passe devant nos stands", s'irrite Elise Senor. Même son de cloche chez son voisin, Auguste : "ce n'est pas un marché. On est dans une pente à laquelle les personnes âgées ne peuvent même pas accéder, c'est étroit et dès qu'il y a trois personnes sur un stand ça crée un bouchon".