Photo d’illustration AESH

Académie de Lyon : les AESH, accompagnants d'élèves handicapés sont à bout, décryptage

Grande précarité, manque de reconnaissance, de personnel et de soutien de la hiérarchie... Les AESH s'apprêtent à manifester mardi 19 octobre, pour dénoncer leurs conditions de travail et demander des recrutements.

Elles aiment se surnommer les « invisibles » de l’école. "Elles", ce sont les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), une profession majoritairement composée de femmes. Mardi 19 octobre, elles vont manifester pour témoigner du malaise qui s’affirme un peu plus chaque année au sein de leur profession. À Lyon, le rendez-vous est donné par les syndicats à 15 heures devant le rectorat. Il s'agit de la quatrième mobilisation depuis le début de l'année.

Leurs revendications sont locales et nationales. Du recrutement d'abord, car les syndicats estiment que plusieurs dizaines d'AESH de plus seraient nécessaires dans l'académie de Lyon. Les accompagnants protestent aussi contre les dysfonctionnements nationaux dans l'organisation de leur travail, qui se répercutent sur l'accueil des élèves.

Une demande de recrutement massif

Les établissements du primaire et du secondaire font face à une nouvelle année de disette en matière d’AESH. À l’échelle de l’académie lyonnaise, les AESH sont 6 733. À écouter les syndicats, il faudrait 40 à 50 professionnels en plus sur l’académie de Lyon, qui regroupe l'Ain, la Loire et le Rhône. Ces accompagnants aident au sein même des classes un ou plusieurs élèves handicapés, parfois sur plusieurs établissements. Problème : le métier ne séduit plus. "On a appris que 160 personnes avaient démissionné. Le métier est de moins en moins attractif ", détaille Luc Lignan, AESH dans un Lycée à Rillieux-la-Pape.

Bien que la capacité de recrutement soit conditionnée par la dotation ministérielle accordée, l’académie dit avoir recruté massivement depuis la rentrée pour pallier les départs. "Près de 500 nouveaux AESH ont été recrutés depuis le 1er septembre 2021 pour remplacer les agents ne souhaitant pas renouveler leur contrat ou les démissionnaires", affirme l’académie. Pour autant, cette dernière doit également composer avec "des difficultés de recrutement pour pourvoir les postes d'AESH notamment dans le Rhône. C'est un problème de vivier et non pas de moyens".


"Près de 500 nouveaux AESH ont été recrutés depuis le 1er septembre 2021 pour remplacer les agents ne souhaitant pas renouveler leur contrat ou les démissionnaires", affirme l’académie de Lyon.


En poste au Lycée professionnel Marc Seguin à Vénissieux comme professeur, le délégué CGT éduc’ Action Samuel Delor fait aussi le constat que des élèves qui auraient besoin d'accompagnement n'en ont pas. "Dans mes classes, il y a actuellement deux élèves qui ne bénéficient pas d’aide humaine. L’administration considère de plus en plus les élèves en situation de handicap comme étant des jeunes autonomes et ce, dès leur arrivée au secondaire".

S’agissant des élèves qui ont la chance d’avoir un accompagnant, Samuel ne peut cacher ses inquiétudes. "La plupart du temps, ils ont des AESH mutualisés, ce qui équivaut à 4 ou 5 heures d’accompagnement dans la semaine. Ces jeunes-là, ils vont se retrouver en grande difficulté, car personne ne leur vient en aide ", soupire-t-il.

Les Pôles inclusifs d'accompagnements localisés : un dispositif vivement contesté

Tous les accompagnants interrogés par Lyon Capitale sont unanimes : les PIALs nuisent à leur profession. Ces "pôles inclusifs d’accompagnements localisés" irritent les professionnels depuis leur mise en place en 2019. Pourtant, explique la mandatée syndicale de SUD éducation Rhône, Camille De Chalendar : ce dispositif voulait favoriser une flexibilité du travail et répondre plus rapidement aux demandes d’accompagnement. La réalité est tout autre. Selon elle, sa mise en place s’avère laborieuse et ne peut en aucun cas "être compatible avec des enfants fragiles".

Les PIALs correspondent à une forme d’organisation favorisant la mutualisation des AESH. Concrètement, cela signifie qu'ils accompagnent des élèves dans plusieurs établissements d’un même secteur. Une stratégie contestée par la majeure partie des accompagnants. "Plus aucun enfant n’est accompagné sur de longues périodes, car les AESH sont sans cesse dans l’obligation de se déplacer en cours d’année. Ça n’a aucune logique. À chaque affectation, tout le travail réalisé avec l’enfant est à refaire", déplore Camille De Chalendar.


"Le fait d’être trimballé d’établissement en établissement remet en cause le savoir-faire qui est le nôtre"Luc Lignan, AESH à Rillieux-la-Pape.


Amenés à changer d’établissement en cours d’année, les AESH craignent une destruction de leur métier. " Je dois travailler avec 6 élèves par semaine, raconte Luc Lignan, AESH dans un Lycée à Rillieux-la-Pape. Pour un contrat de 26 heures, cela revient à passer à peine plus de 4 heures avec chacun de ces élèves. C’est largement insuffisant. Le fait d’être trimballé d’établissement en établissement remet en cause le savoir-faire qui est le nôtre." Cette gestion du suivi peut également avoir d’importantes répercussions sur les élèves et la suite de leur scolarité.

Un métier précaire

Réclamant plus de moyens pour exercer leur métier, les AESH se sentent délaissés par le ministère de l'Éducation Nationale et le rectorat. "Je me suis lancée là-dedans par passion il y a 15 ans. Aujourd’hui, j’en viens à me demander si j’aime encore mon métier ", confesse une AESH, qui souhaite rester anonyme. Le seul exercice de cette fonction ne lui permet plus de vivre correctement. Avec un salaire de 850 euros par mois, elle est contrainte de cumuler " des petits boulots " pour compléter ses fins de mois.


"Je me suis lancée là-dedans par passion il y a 15 ans. Aujourd’hui, j’en viens à me demander si j’aime encore mon métier ", une AESH anonyme.


 Une situation que partagent beaucoup de ses collègues qui, pour la plupart, ne sont plus en mesure d’avoir plusieurs jobs. " C’est la faute des PIALs, renchérit Luc Lignan, on nous a informés que toutes les 6 à 8 semaines nos emplois du temps pourraient être revus. Mais quand nos affectations changent, ce sont ces petits boulots qui sont en danger." À cette précarité liée au salaire, vient s’ajouter celle qui touche les contrats de travail. Les AESH sont recrutés pour des contrats d’une durée de trois ans, renouvelables une fois, et évoluant au-delà de six ans en contrat à durée indéterminée (CDI). Après 6 ans d'ancienneté et la signature d'un CDI, pour un temps de travail de 61%, les AESH sont payés 861 euros et 1 413 euros à temps plein. 


"Dans les écoles du premier degré et du second degré, le temps de classe est de 24 heures. Le rectorat prend ce prétexte pour limiter le contrat à 26 heures. C’est totalement méconnaître le travail d’AESH, car cette fonction ne s’arrête pas au temps d’accompagnement des jeunes", Camille de Chalendar, SUD Éducation Rhône


Seulement, même lorsqu’un AESH se retrouve auréolé d’un CDI, les termes du contrat restent les mêmes et l’écarte d’une évolution salariale intéressante. Beaucoup déplorent également un contrat incomplet, qui ne comprend pas la totalité des heures travaillées. "Dans les écoles du premier degré et du second degré, le temps de classe est de 24 heures. Le rectorat prend ce prétexte pour limiter le contrat à 26 heures. C’est totalement méconnaître le travail d’AESH, car cette fonction ne s’arrête pas au temps d’accompagnement des jeunes, rapporte Camille De Chalendar de SUD Education Rhône. Il y a tout un travail de suivi, de concertation, d’auto-formation pour s’adapter au mieux à l’élève que nous avons en face de nous." Jusqu’ici, l’administration reconnaît 3 heures " connexes " par semaine, alors que les AESH interrogés disent y consacrer, à minima, une douzaine.

Les professeurs et les parents d'élèves en soutien

Dans le cortège qui battra le pavé des rues lyonnaises mardi 19 octobre, les AESH pourront compter sur le soutien de professeurs et de parents d’élèves. "L’aide humaine qu’ils apportent, en terme de réussite scolaire, c’est primordial, indispensable, affirme un professeur. Ils donnent à ces gamins l’opportunité d’être mené vers une scolarité réellement inclusive ".

Un propos qu’étayent les parents d’élèves handicapés. Stéphanie est maman d’un petit garçon de 4 ans atteint d’une maladie rare, le rendant malvoyant profond et impliquant un suivi individualisé. Stéphanie le répète sans cesse, faire en sorte que son enfant accède à l’école est un véritable combat. Idéalement, son fils devrait être accompagné sur un temps complet comprenant les temps de cantine.

Impossible d’avoir autant d’heures”, explique la mère de deux enfants. “ L’année dernière il n’allait à l’école que le matin. Actuellement, il a 18 heures d’accompagnement individualisé, donc il passe les matins à l’école, plus une petite partie de l’après-midi. Pas de quoi se satisfaire rappelle Stéphanie, qui a porté réclamation auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), l’instance qui notifie le nombre d’heures que chaque enfant doit recevoir.


 "Les AESH doivent manifester, c’est légitime", Stéphanie, maman d'un jeune garçon malvoyant et membre d'un collectif en soutien aux AESH.


Stéphanie est également membre d’un collectif en soutien aux AESH et a encore du mal à concevoir le traitement infligé à ces professionnels. "Leur salaire est ridiculement bas, alors que leur travail est fondamental et permet à nos enfants d’avoir une scolarité sereine. Ils doivent manifester, c’est légitime”, tempête la jeune maman. Pour elle, ils font "respecter le droit de recevoir une éducation complète, en prenant en compte les moindres singularités.” Car pour une école vraiment "inclusive" des enfants en situation de handicap, les AESH en sont un rouage essentiel.

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