Le compromis de libre-échange entre l’UE et les quatre pays du Mercosur (Brésil, Paraguay, Uruguay et Argentine), signé le 28 juin, a été vivement critiqué. S’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ce traité soit vraiment adopté, Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie les Verts, n’hésite pas à dépeindre une situation "scandaleuse".
"J’ai très mal réagi, j’ai trouvé qu’on s’était fait empapaouter par la Commission", se souvient Michèle Rivasi, à l’annonce du compromis de traité de libre-échange reliant l’Union Européenne et quatre pays du Mercosur (Brésil, Paraguay, Uruguay et l’Argentine). Ce traité, en négociations depuis une vingtaine d’années, semble être en bonne voie pour être adopté et ce même si le contexte citoyen est plutôt à l’éveil écologique. Mais alors qu’est ce qui pose à ce point problème pour que plusieurs parlementaires de différents partis (verts, socialistes, libéraux, extrême droite) souhaitent former une levée de bouclier contre ce texte ?
Aucune mesure dissuasive en cas de non-respect environnemental
Il est clair que le traité d'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur présente de nombreux avantages économiques. 91% des droits de douane imposés sur les produits européens par le Mercosur devraient disparaitre avec l'accord et, de son côté, l'UE supprimera 92% des taxes sur les produits sud-américains qu'elle importe. En tout logique, la suppression des taxes douanières favorisera l'échange de marchandises entre les deux continents et le déplacement sera en augmentation. Le bilan carbone d'une telle opération préoccupent les écologistes qui "sont pour des circuits-courts".
A cela viennent se greffer d'autres inquiétudes, comme la hausse de la déforestation. "C’est un texte non contraignant. Le chapitre sur le développement durable existe: un comité d’experts doit déterminer si la forêt amazonienne sera plus facilement détruite (ou non) mais aucune contrainte ou d’arrêts d’accords commerciaux n’a été mis en place si les pays ne respectaient pas les normes environnementales", explique Michèle Rivasi. Les défenseurs de l'accord de libre-échange ont souvent mis en évidence l'importance de le signer pour obliger le Brésil à rester dans l'accord sur le climat de la COP21. Une bien maigre consolation en l'absence de mesures dissuasives dans l’accord.
"Toutes ces négociations n’ont jamais été faites avec les ONG, les parlementaires, ce sont vraiment des négociations opaques. C’est comme-ci toutes les manifestations dans la rue, toute la crainte et l’anxiété des populations et des jeunes n’avait aucune influence", remarque Michèle Rivasi.
Des consommateurs maintenus dans l’ignorance jusqu’au délai imparti
Cet accord de libre-échange qui concerne 800 millions de consommateurs pourrait avoir quelques effets pervers. L’eurodéputée d’Europe écologie les Verts s’inquiète de la qualité des produits importés. "Comment va-t-on contrôler l’importation des élevages ? Ces pays utilisent énormément d’antibiotiques et de pesticides. Cela voudrait dire qu’il faudrait faire des prélèvements et pas seulement un échantillonnage sur des milliers de tonnes". La liste des pesticides autorisés au Brésil n’a cessé de s’allonger ces derniers mois, portant à 2149 le nombre de produits autorisés sur son marché national. Un nombre supérieur à ce qui est autorisé sur le territoire européen.
L’appréhension peut s’avérer légitime : les produits importés n’auront aucune obligation d’être étiquetés sur leur provenance. "Il y aura seulement écrit hors UE et même si le consommateur se procure de la viande locale, rien ne dit que celle-ci n’ait été nourrie avec du soja en provenance du Brésil, par exemple", souligne Michèle Rivasi. À savoir que l’importation du soja du Brésil ou de l’Argentine pour nourrir les bovins est déjà pratiquée en France.
Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de Relations Nationales et Stratégiques (IRIS), tempère : "les quatre pays du Mercosur ont un délai de 10 à 15 ans pour adopter les normes européennes. La traçabilité et l’étiquetage obligatoire sont compris dans ces normes. Si à terme ils ne les respectent pas, des clauses de sauvegarde pourraient être actionnées et les produits ne seraient plus importés. Mais tout cela reste encore prématuré".
Un accord plus avantageux pour les européens ?
L’accord de libre-échange fait polémique en France, avec les agriculteurs et écologistes en tête. Il fait aussi causer dans les pays du Mercosur où l’accord est clairement accusé de privilégier davantage les européens : "il y a toujours des équilibres et des déséquilibres dans ce type de traité. Celui-là permet aux européens d’augmenter leur pénétration sur les marchés sud-américains pour toutes leurs productions industrielles. De plus, les européens ont aussi réussi à négocier une sorte d’exemption massive sur les appellations d’origine contrôlée. Les sud-américains s’engagent à ne pas imiter plus de 350 produits comme les fromages, les vins, les produits de luxe, … Le seul vrai avantage du côté Amérique latine c’est d’augmenter les quotas sur les ressources premières et agricoles (viande, agrumes, etc).", explique Christophe Ventura. "Ce n’est pas étonnant que l’accord passe mal en Amérique latine, excepté pour le lobby d’agro-business largement au pouvoir au Brésil et en Argentine. La critique vient aussi que cet accord empêche concrètement de développer les industries nationales sud-américaines", ajoute-t-il.
Le poids du Parlement européen
Plusieurs étapes restent à franchir pour que le traité de libre-échange soit totalement validé. Il devra d’abord être ratifié à l’unanimité au Parlement européen, dans les parlements des états-membres de l’Union Européenne et également dans les quatre pays du Mercosur. Le Parlement européen a encore quelques cartes à abattre : s’il venait à refuser l’accord de libre-échange tout serait stoppé net.
"La détermination du groupe vert pour convaincre les autres partis va être déterminante. On ne peut plus nier le décalage entre le marché, les multinationales et la qualité de vie, des aliments, la sauvegarde et la lutte contre le réchauffement climatique", souligne Michèle Rivasi. Mais le Parlement Européen n'est pas le seul à pouvoir refuser ce texte. Les incertitudes sur la ratification de l'accord pourraient très bien venir des pays du Mercosur. Mauricio Macri, président de l’Argentine, doit se représenter en octobre prochain pour l’élection présidentielle. Ses opposants ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne ratifieraient pas cet accord.