Affaire Tapie : la question de la responsabilité pénale

Les membres des cabinets ministériels normalement n’ont pas vocation à apparaître en première ligne car ils n’ont pas de responsabilité autre que la légitimité personnelle que le ministre leur accorde. (…) Plusieurs membres de cabinets ministériels ont été confrontés à des procédures judiciaires parce que les investigations de la justice ne doivent s’arrêter nulle part. Mais il est vrai, pour quelqu’un qui est extérieur à cette tradition d’exercice du pouvoir, qu’il est très difficile de se rendre compte de la répartition des circuits de responsabilité. (…) Dans la pratique des choses, le membre de cabinet n’a aucune responsabilité qui lui soit propre. Et, s’il se permet de donner à des responsables politiques des instructions, il sort manifestement de son rôle. (…) Il n’y a pas de remède juridique à cette situation. Il n’y a que la responsabilité des politiques, qui doivent savoir ne pas se dessaisir de leur rôle, l’exercer pleinement.

Celui qui s’exprimait ainsi, sur France Culture, le lundi 13 novembre 2006, n’est autre qu’Olivier Schrameck, directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, entre 1997 et 2002. Et c’est bien toute la question qui est posée aujourd’hui, au moment même où l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde est mis en examen, au terme de 48 heures de garde à vue dans le cadre de l’enquête sur l'arbitrage qui a permis à Bernard Tapie d’obtenir, en 2008, 403 millions d'euros pour solder le litige sur la vente d'Adidas, la justice ayant retenu à l'encontre de ce proche de Nicolas Sarkozy, aujourd'hui PDG d'Orange, le chef d'“escroquerie en bande organisée”.

La question posée à M. Richard est bien de savoir si des ordres hiérarchiques – émanant de Christine Lagarde ou de l’Élysée – lui auraient été adressés. Il y a quelques semaines, M. Richard avait été mis en cause pour “octroi d'un avantage injustifié” par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ; il lui était en effet reproché d’avoir donné son feu vert à l'arbitrage privé, puis d’avoir refusé d’exercer un recours contre ledit arbitrage. M. Richard, qui est toujours présumé innocent, avait indiqué avoir agi sur ordre de sa ministre, ce que Mme Lagarde a d’ailleurs confirmé sans difficulté devant la Cour de justice de la République, qui l’a placée sous statut de témoin assisté.

Escroquerie en bande organisée

M. Richard a en revanche indiqué à plusieurs reprises qu'il n'y avait eu ni ordre, ni instruction, ni pression particulièrede l’Élysée en faveur de l’arbitrage, mais aurait cependant soutenu l’exact contraire à nos confrères du Canard enchaîné : selon le journal, celui-ci aurait en effet reçu une “instruction”, transmise par Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, lors d'une réunion en 2007 avec lui-même et Jean-François Rocchi, président du consortium de réalisation (CDR), la structure chargée de solder le passif du Crédit Lyonnais.

Rappelons que, le 29 mai, Pierre Estoup, l'un des trois arbitres de l'affaire Tapie, avait également été mis en examen pour “escroquerie en bande organisée”. Ce que la justice cherche à établir, c’est où commencerait et où finirait précisément cette fameuse “bande organisée”, qui a tout de même permis d'accorder à Bernard Tapie une somme faramineuse, si d’autres personnes que l’homme d’affaires en auraient également bénéficié et, dans l’affirmative, à quelle hauteur.

“Il n'y a personne en France connaissant l'État qui puisse soutenir que ça n'a pas été approuvé au plus haut sommet de l'État, sans que le président de la République lui-même ait donné son approbation, son feu vert”, avait indiqué à ce sujet il y a quelques jours François Bayrou, pour qui cette affaire est l'“une des plus graves de la Ve République”. “Il y a un très fort soupçon d'une manœuvre organisée au sein même de l'État, une manœuvre concertée, réfléchie, voulue, approuvée pour qu'on détourne une somme colossale, plus de 400 millions d'euros, pour l'apporter aux fins que vous savez”, avait ajouté le président du MoDem. A ce stade, le mot qui revient sans cesse pour qualifier M. Richard est bien le mot “fusible”. A tort ou à raison. En tout cas, cette fois, ce ne sont pas des arbitres qui trancheront.

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