La brigade financière a perquisitionné hier, lundi 28 janvier, les domiciles de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, de Pierre Estoup, ancien magistrat, et de l'avocat Jean-Denis Bredin, c’est-à-dire les trois personnalités du tribunal arbitral qui avaient rendu en juillet 2008 la décision controversée attribuant 403 millions d'euros à Bernard Tapie, dans le conflit opposant l'homme d'affaires au Consortium de réalisation (CDR), chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais. Les policiers, missionnés par trois juges parisiens, avaient, le 24 janvier, perquisitionné les domiciles de Bernard Tapie et de Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy (lire ici puis s’étaient déplacés aux cabinets des avocats de l’homme d’affaires et du CDR (le 25 janvier).
C’est plus particulièrement envers Pierre Estoup que les enquêteurs nourrissent de forts soupçons. Cet ancien magistrat, qui certifiait succinctement dans un document relatif audit tribunal privé, "être indépendant à l'égard des parties" , avait déjà été désigné comme arbitre, à trois reprises, en 1999, 2001 et 2002, dans des affaires dans lesquelles apparaissait également le conseil de Bernard Tapie, maître Maurice Lantourne. Or, le compromis d'arbitrage faisait mention d'une "obligation de révélation étendue", afin d'éviter tout conflit d'intérêts.
Au courant dès le mois d’octobre 2008 sur l’existence de ces liens éventuels entre Pierre Estoup et maître Lantourne, le ministère de l’Économie et des Finances aurait ainsi pu lancer une procédure de récusation de l'arbitre suspecté, afin de bloquer le processus –et d’éminents juristes poussaient en ce sens. Mais le processus a suivi son cours. C’est bien ce qui vaut aujourd’hui à Christine Lagarde, ministre de l'Économie à l’époque des faits, une procédure devant la Cour de Justice de la République (CJR).
Au départ, un simple contrôle de notes de frais
C'est à l’occasion d’un simple contrôle portant sur des frais non justifiés, le 2 octobre 2008, que le CDR découvre un mémoire d'honoraires de maître Lantourne, daté du 6 juillet 1999, qui indique, pour facturation, un "rendez-vous avec Monsieur Estoup" et une "note à Monsieur Estoup". Interrogé en 2011, maître Lantourne avait alors invoqué une "erreur matérielle", et assuré que ce dossier n'avait rien à voir avec Bernard Tapie.
Cependant, Pierre Estoup se voit contraint par les conseils du CDR, le 29 octobre 2008, de révéler sa présence dans les trois arbitrages antérieurs liés à maître Lantourne, en 1999, 2001 et 2002, même si ces arbitrages n'ont pas tous tourné en faveur de la partie représentée par l'avocat. Puis, les conseils du CDR remontent encore le temps, et découvrent que les services de M. Estoup avaient déjà été critiqués en 2003 dans un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris, en marge de l'affaire Elf. Il y était question d'un arbitrage rendu par M. Estoup, qualifié "d'habillage juridique (...) réalisé dans d'étranges conditions", ne présentant "aucune valeur probante aux yeux du tribunal", comme le révèle Le Monde d’aujourd’hui, dans son édition abonnés.
Forts de ces éléments, la question que se posent aujourd’hui les juges du pôle financier parisien est la suivante : alors que le gouvernement et le CDR savaient, dès octobre 2008, qu’un arbitre pouvait être récusé parce qu’il y avait un doute légitime sur son indépendance, pourquoi ne l’ont-ils pas fait, alors même que le jugement était extrêmement défavorable à l’État ? Le 7 juillet 2008, l’État s’était en effet vu contraint, à l’issue du compromis d’arbitrage, de débourser la somme gigantesque de 403 millions d’euros. Une partie de cette somme a permis à Bernard Tapie d’apurer ses dettes, une autre à acheter au Groupe Hersant, La Provence et Nice-Matin, dans des conditions qui ont amené M. Mennucci, député de Marseille, à demander et à obtenir –le 16 janvier- une commission d’enquête parlementaire, une troisième, à s’offrir l’un des plus luxueux et des plus grands yachts du monde (lire ici). Enfin, une partie –et non des moindres puisqu’il s’agit de 215,4 millions d’euros- a été transvasée vers une holding belge, GBT Holding qui contrôle désormais le groupe de l’homme d’affaires et ses filiales, comme BLT Développement, chargée d’un site d’e-commerce, ou encore Demain l’événement, qui gère la carrière d’acteur de Bernard Tapie.
Lien vers le doc GBT Holding :