Alain Weill sept 2015
© Thomas Samson / AFP

Alain Weill se veut le centre du monde libre (et entend le rester)

Après avoir échoué dans le rachat de Numéro 23, une chaîne TNT abrogée par le CSA pour “abus de droit entaché de fraude”, Alain Weill poursuit son sempiternel chantage tous azimuts. Sauf que ce qui fonctionnait plutôt bien à l’époque Sarkozy-Boyon, jusqu’à devenir un système, ne semble plus du tout de saison sous l’ère Schrameck.

Alors que le CSA a décidé d’abroger de façon spectaculaire (et inédite) l’autorisation de la chaîne TNT Numéro 23 pour “abus de droit entaché de fraude”, Alain Weill fait mine d’y croire encore et annonce à qui veut l’entendre, directement ou par le truchement de ses chevau-légers, qu’il va pouvoir in fine récupérer pour son nouveau patron Patrick Drahi la chaîne du tatouage et de “toutes les diversités” avant le délai fatal du 30 juin 2016.

Comment ? En passant subrepticement par la petite porte. L’aigrefin Pascal Houzelot – qui vient d’envoyer au CSA son recours gracieux – ayant “renoncé à l’argent” de l’oligarque russe Ousmanov, Alain Weill espère pouvoir le remplacer et obtenir ainsi la chaîne en catimini, par montées successives au capital de Numéro 23. De la façon décomplexée qui est sa marque de fabrique, en même temps que celle de Jean-Jacques Bourdin, il explique à quelques journalistes média qui se nourrissent de l’air du temps que “la morale [il] n’en a strictement rien à faire” et que “la seule chose qui compte c’est le juridique”.

Comprendre : la fraude, ce n’est pas grave, il suffit d’oublier le pacte de corruption, le CSA ne pourra qu’accepter de rouvrir automatiquement le dossier et de revenir sur sa décision initiale d’abrogation. Défendant son dossier au CSA il y a quelques semaines, Alain Weill avait affirmé le plus sérieusement du monde qu’il souhaitait maintenir à un haut niveau l’exigence de diversité… en filmant et en diffusant sur ce canal les émissions phares de RMC, notamment Les Grandes Gueules. On ignore si Alain Marschall et Olivier Truchot en avaient été informés au préalable…

Hollande, ce chef de guerre média

C’est pourtant bien au nom de la morale qu’Alain Weill accuse aujourd’hui François Hollande et sa majorité d’intervenir “sur le marché des chaînes d’info”. Fermement opposé au passage en TNT gratuite de LCI, la chaîne du groupe TF1, l’obligé de Patrick Drahi s’insurge en insistant sur le fait que la création d’une nouvelle chaîne d’information publique “ne fera même pas l’objet d’une étude d’impact de la part du CSA”. Sa création est une décision qui dépend en effet uniquement des pouvoirs publics. Voilà qui devrait pourtant lui plaire : c’est exclusivement juridique, c’est la loi, rien que la loi.

Une nouvelle fois, Alain Weill se livre à un chantage dont il a le secret. Il prévient, dans Le Figaro : “Si le CSA accepte le passage de LCI en gratuit, cela obligera BFMTV à supprimer une centaine d’emplois sur les 400 équivalents temps plein que la chaîne compte actuellement.” “Et si, en plus, la chaîne d’information publique voit le jour, elle sera mortelle pour nous !” ajoute le champion du libéralisme et de la concurrence (quand il n’y est pas soumis).

Cette chaîne d’information, réunissant France Télévisions, Radio France, France 24 et l’Ina, devrait voir le jour en septembre 2016. “Cela fait longtemps que l’impact du politique sur l’information n’a pas été aussi fort”, a déclaré Alain Weill lors d’une conférence de presse. Il est persuadé que la France des décideurs politiques (président de la République, ministres, députés, sénateurs, membres de cabinets) n’a rien de mieux à faire que de vivre branchée 24 heures sur 24 sur BFMTV. La rançon du succès doublée d’un complot d’État, en quelque sorte.

“Les pouvoirs publics souhaitent affaiblir BFMTV, ils veulent diviser pour mieux régner. Mais ils confondent indépendance et parti pris”, ajoute-t-il. Là encore, quand un CSA totalement inféodé à Nicolas Sarkozy (qui ne s’en cachait même pas), lui distribuait des dizaines de fréquences pour sa radio RMC et un nouveau canal à testostérones (RMC Découverte) sur la TNT gratuite, on ne l’a guère entendu se plaindre du “manque d’indépendance”.

“C’est toi et moi contre le monde entier”

C’est bien là tout le problème d’Alain Weill, contraint aujourd’hui de sortir du bois en priant que la droite de M. Sarkozy revienne aux affaires. Une droite qui l’a littéralement enrichi, comme elle a failli enrichir Pascal Houzelot, avant que le CSA présidé par Olivier Schrameck n’y mette un brutal coup d’arrêt. Le rapport de forces a effectivement changé, le CSA est devenu une autorité administrative indépendante et l’équipe, partiellement renouvelée, a su justement faire preuve de courage et d’indépendance, qu’il s’agisse de Numéro 23, de Radio France ou de France Télévisions – on le lui a d’ailleurs suffisamment reproché.

Alain Weill ne peut plus guère compter, dans l’ancienne équipe sarkozyste, que sur Patrice Gélinet, resté très proche de l’ancien président du CSA Michel Boyon – Francine Mariani-Ducret et Nicolas About observant quant à eux une discrétion de bon aloi sur ces questions. Il est vrai au demeurant que M. Gélinet est un génie, qui permettra peut-être à Alain Weill de renverser la vapeur et de faire valoir les arguments du déjà ex-patron de NextRadioTV, contre les groupes TF1, M6 et Canal+.

Mais aussi contre France Télévisions, Radio France, France 24 et l’Ina. Mais aussi contre François Hollande. Mais aussi contre sa majorité. Bref, le syndrome du “Toi et moi contre le monde entier”, comme le chantait un certain Claude François :

C’est toi et moi contre le monde entier
Toi seul à mes côtés comprenant mes tristesses
Tu es l’ombre de ma peine, le chagrin de mon chagrin
Oui, toi et moi contre le monde entier
Et tes soldats de bois et tes armées entières

Pas de Brel, de Ferrat ou de Ferré sur les antennes d’Altice. Les gauchistes et les anarchistes sont décidément trop méchants. Malitas omnia corrumpit.

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