Les Alévis sont une minorité religieuse en Turquie, opprimée au cours de l'Histoire. Aujourd'hui, ils craignent la dérive autoritaire du président Recep Tayyip Erdogan, qui demande un renforcement de ses pouvoirs par référendum. Selon Ali Meral, qui représente le Centre culturel des Alévis de Lyon, basé à Vénissieux, Erdogan vise à instaurer une dictature religieuse à l'iranienne.
Lyon Capitale : Avez-vous réussi à mobiliser votre communauté pour le référendum en Turquie ?
Ali Meral : Oui, nous avons créé un comité, avec les Kurdes, les Alévis, tous les Turcs progressistes représentés en France, pour mobiliser les électeurs. Nous avons appelé plus de 2800 personnes par téléphone pour les convaincre de venir s'exprimer sur ce référendum par lequel Erdogan veut instaurer une présidence dictatoriale.
Même dans un bureau de vote, à Décines, installé à côté d'une mosquée ?
Ali Meral : C'est vrai que, dès que nous avons su que le bureau serait installé là-bas, nous avons joint le consulat de Turquie à Lyon pour demander un autre lieu, car il n'est pas admissible qu'un bureau de vote soit accueilli dans l'enceinte d'un lieu de culte. Mais le consulat nous a envoyé balader, s'est moqué de nos réclamations. Nos démarches auprès de la préfecture n'ont pas abouti non plus, tout comme une procédure lancée avec la maire de Décines. Je vois cette décision comme un jeu politique mesquin des autorités turques, visant à éloigner les Alévis du vote, car ils sont souvent mal vus dans les mosquées. Mais je pense que nous avons réussi à les convaincre de venir quand même, en veillant à ce qu'il n'y ait pas de débordements.
Les Turcs de France ont-ils été bien informés des enjeux de la campagne ?
Ali Meral : Non, car il est aujourd'hui difficile de savoir ce qui se passe réellement en Turquie. Les médias indépendants, comme nombre de libertés collectives, ne cessent d'être attaqués. Il n'y a qu'à voir le nombre de journalistes arrêtés… Seuls les médias pro-AKP peuvent s'exprimer librement. Et donc militer pour le oui au référendum.
Et si le non l'emporte, Erdogan pourrait-il adoucir sa politique ?
Ali Meral : Nous craignons au contraire qu'il accentue la répression et continue à avancer pour mettre en place son régime islamo-fasciste. Il n'y a plus aucune force gouvernementale pour lui faire face, il détient toutes les rênes du pouvoir !
Dès lors, sa victoire semble inexorable.
Ali Meral : Non, pas encore. Car, et on a du mal à le percevoir en Europe, il y a encore des médias alternatifs en Turquie qui portent la voix d'une forte mobilisation d'une partie de la population. Même si ceux qui militent pour le "non" sont attaqués de toutes parts, par la police ou les supporters d'Erdogan, et que les rues sont inondées d'affiches en sa faveur et que télé et radio matraquent leur soutien au "oui"... Erdogan sent qu'il peut perdre ce référendum et il essaie de gagner à sa cause une partie des Kurdes musulmans, et même certains Alévis à qui il promet des postes, par exemple.
L'idéal d'une République laïque turque paraît définitivement enterré…
Ali Meral : Là, je vais parler en mon nom, car je sais que tous les Alévis ne sont pas d'accord : pour moi, la Turquie n'a jamais été laïque, ni une république démocratique, comme on l'entend ici en France. Aujourd'hui, les islamistes prennent leur revanche sur les années de dictature kémaliste. Les kémalistes portent une grande responsabilité dans la prise de pouvoir d'Erdogan. Comment un Etat peut-il se dire laïc quand il a un ministre du Culte qui ne s'occupe que de l'islam sunnite, qui ne reconnaît pas les Alévis et ne leur autorise pas d'avoir leurs propres lieux de culte ?
Comment voyez-vous la suite des événements, une fois les résultats proclamés ?
Ali Meral : Que la réponse au référendum soit positive ou négative, nous resterons vigilants et mobilisés. Car l'AKP pourrait vouloir instaurer un régime religieux à l'iranienne, mais sunnite. Et ce serait reparti pour une guerre de religions, dans laquelle il serait encore plus difficile pour les forces progressistes de se faire entendre.
Les candidats à l'élection présidentielle française ne se sont pas beaucoup positionnés sur le dossier turc. Quel est votre sentiment ?
Ali Meral : L'élection présidentielle française concerne avant tout la politique de la France, donc ça ne me gène pas que les candidats ne se prononcent pas sur le cas turc. Mais plus généralement, nous dénonçons la connivence des gouvernements d'Europe avec l'AKP. Même s'ils le critiquent de temps en temps, ils ne peuvent se passer d'Erdogan, notamment pour des raisons économiques. Et parce qu'il serait le rempart contre un soi-disant danger islamiste… Mais c'est Erdogan qui laisse transiter des armes et les djihadistes de Daech par la Turquie. Le danger islamiste, c'est lui !