Charlie Hebdo une 14 janvier 2015 home
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Après Charlie, quelques analyses de la presse étrangère

REVUE DE PRESSE – Il nous a semblé important et utile de faire aujourd’hui un bref tour du monde des rédactions. De nombreuses questions soulevées dès dimanche dans nos colonnes le sont également au Royaume-Uni, au Portugal, aux États-Unis, en Russie ou encore dans le monde arabe. Édifiant, parfois dérangeant, mais toujours intéressant. Nous avons choisi de faire l’impasse sur la presse égyptienne, qui, à la différence notable de la plupart des médias arabes, est unanime sur le fait qu’au fond Charlie Hebdo “l’avait bien cherché”. Pourquoi cette impasse ? Parce qu’une fois qu’on a dit ça on a tout dit : ce genre de propos ne s’explique pas, il se combat.

Sur son blog Pandaemonium, l’auteur britannique Kenan Malik écrit ainsi : “Je suis Charlie. La phrase est dans tous les journaux, sur tous les fils Twitter, dans toutes les manifestations. Ces marques de solidarité envers ceux qui ont été massacrés sont impressionnantes. Elles arrivent aussi trop tard. Si les journalistes, les artistes et les militants politiques avaient pris position de manière plus ferme sur la liberté d’expression depuis vingt ans, peut-être n’en serions-nous jamais arrivés là. Au lieu de cela, ils ont contribué à créer une culture de l’autocensure. En partie à cause de la peur, de la réticence à prendre le genre de risques que couraient les journalistes de Charlie Hebdo et pour lesquels ils ont payé un prix si élevé. Mais la peur n’explique pas tout. Ces vingt dernières années, un engagement moral favorable à la censure s’est développé, la croyance que, parce que nous vivons dans une société plurielle, nous devons policer le discours public sur les différentes cultures et croyances, et restreindre la parole pour ne pas offenser.”

Dans le Jornal de Negócios, João Quadros souligne l’hypocrisie de la presse portugaise : “Aujourd’hui nous sommes tous Charlie, demain nous redeviendrons ce que nous étions. Amis journalistes, pardonnez mon langage, vous n’avez jamais eu les c… d’affirmer votre indépendance vis-à-vis des différents gouvernements de votre propre pays. Combien de temps aurait survécu Charlie Hebdo au Portugal avant d’être fermé à cause de problèmes avec l’Église, l’Angola ou le Gouvernement ?”

“Plus d’insolence, et non moins”

Dans le New York Times, Ross Douthat soutient quant à lui que “le droit de blasphémer est essentiel dans une démocratie. Une fois encore, la liberté ne se mesure pas à la capacité de tout un chacun d’offenser tout le monde tout le temps, et il n’y a rien de répréhensible à préférer une société où le blasphème gratuit est limité. Mais quand au blasphème répond le meurtre, il nous faut plus d’insolence, et non moins, car on ne saurait laisser croire aux assassins que leur stratégie pourrait s’avérer payante. Faut-il donc, quel que soit le contexte, célébrer, honorer et louer toutes les offenses délibérées ? Je ne pense pas. Mais, face aux canons des fusils, il faut les saluer et les défendre, au nom de la liberté et de la démocratie.”

Dans Vzgliad à Moscou, le journaliste Mikhaïl Boudaraguine soutient : “On peut les comprendre, ces Français sortis dans la rue sous le coup de l’émotion : des gens ont été tués, victimes d’une barbarie assumée et cynique. Mais la bonne question à leur poser est celle-ci : d’où vient l’État islamique (EI) ? La France n’aurait-elle pas un lien avec la création de cette organisation terroriste qui ne reconnaît que les armes dans le dialogue avec les nations ? Car il n’est pas question ici de salopards tombés du ciel pour provoquer une bataille sanglante. En aidant les États-Unis à créer “l’opposition syrienne”, le président français est coupable d’avoir donné naissance à l’État islamique et il en porte la responsabilité. Cela ne justifie en rien le terrorisme, mais le fait que les États-Unis et l’Otan ne puissent pas contrôler l’“État islamique” n’enlève rien à la responsabilité de ces derniers.”

Quand le problème est éludé et esquivé

Dans Spiked à Londres, Frank Furedi, le sociologue le plus célèbre du Royaume-Uni, écrit : “Les tueurs parlaient parfaitement français. Ils connaissaient Paris comme leur poche. Ils savaient où fuir et se réfugier. Ils ont peut-être passé un certain temps au Moyen-Orient, mais à l’instar de leurs victimes ce sont des produits de la société française. La France, comme de nombreuses sociétés d’Europe occidentale, a du mal à reconnaître publiquement que des millions de ses citoyens se sentent coupés des traditions culturelles et du mode de vie de leur pays natal. Il est encore plus difficile à admettre, notamment en public, qu’un tel décalage se soit cristallisé en une haine de la patrie. Résultat : les leaders européens ont pris le parti d’éluder le problème ou de regarder vers l’étranger. (…) Le fait que des élèves relativement jeunes tiennent déjà un contre-discours face à celui de la société française montre que la France est clivée de l’intérieur. Mais, au lieu de regarder le problème en face, l’establishment français a décidé de l’esquiver. Si un débat sur la Shoah peut être évité, quels autres sujets vont pouvoir être ouverts à la négociation ? De tels rapports montrent que l’école laïque a perdu confiance dans ses propres valeurs.”

Ziyad Makhoul, éditorialiste de L’Orient-Le Jour à Beyrouth, écrit quant à lui : “On dirait que la France, point d’intersection géographique et creuset historique de toutes les libertés, donc de tous les racismes et de toutes les phobies, est en train de découvrir à la fois et son génome et ses mutations. Les deux yeux se sont écarquillés après l’horreur absolue de ce 7 janvier français. On dirait que la France n’est plus myope ni astigmate ; on dirait, pour la première fois depuis l’accouchement en mondovision de l’État islamique, qu’elle commence, lentement, à comprendre qu’elle pourrait se libaniser. Qu’elle pourrait entrer en guerre. De dedans : civile, la guerre. Communautaire, confessionnelle. Et plus si blanche que cela.”

“Les chaînes qui nous empêchent de réfléchir”

Marouen Achouri écrit dans Business News, à Tunis : “Les assassins ont crié “Nous avons vengé le prophète !” Tant de bêtise et d’ignorance sont non seulement révoltantes mais aussi désarmantes. S’il existe un prophète qui pourrait se délecter de la mort de douze personnes, il ne mérite pas d’être vénéré. (…) Les assassins ont aussi crié “Nous avons tué Charlie Hebdo !” Bêtise donc, encore une fois. Tant qu’il y aura des personnes habitées par la liberté, Charlie Hebdo vivra. Ce n’est pas uniquement le deuil de la presse française mais aussi celui de la presse mondiale. Le combat contre la bêtise et l’ignorance, avec pour armes les plumes et les dessins, reprendra. Nous sommes de tout cœur avec Charlie Hebdo. Aujourd’hui est un jour de tristesse et d’horreur. #jesuischarlie”

Le mot de la fin, laissons-le à Elham Manea, militante des droits de l’homme au Yémen, qui écrit dans Shaffaf : “Je sais absolument que, pour faire face à ces idées extrémistes, il faut commencer par prendre la parole et par agir par nous-mêmes. Souvent, nous disons des choses que nous ne pensons pas. Nous disons “je respecte la liberté d’opinion”, puis nous murmurons tout bas qu’ils l’ont peut-être bien mérité. (…) Je suis et je reste déterminée à continuer à me situer à l’intérieur de l’islam, la religion que j’ai choisie. Si je l’ai fait, c’est pour rappeler que la liberté d’expression n’est pas négociable. (…) Ce que d’aucuns appellent les limites de la liberté d’expression ne sont en réalité que des chaînes qui nous empêchent de réfléchir, de nous interroger, de revendiquer des changements et des réformes. En Occident, ils ont fait l’expérience de l’Inquisition. Nous, nous la vivons aujourd’hui.”

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