Comment susciter des vocations et réhabiliter le travail manuel, qui souffre d'un déficit d'image. Réponse avec "Les Ateliers du faire", à Lyon.
"Parce que les métiers manuels sont les métiers de demain." C'est par cette formule que sont impulsés "Les Ateliers du faire", consacrés à la mise en avant des métiers manuels, samedi 9 mars à l'Hôtel de Région.
Si la France a tendance à regarder de haut les métiers manuels qui, depuis des décennies, souffrent d'un déficit d'image, c'est en total décalage avec la réalité.
La réalité, c'est le besoin de main d’œuvre dans l’artisanat : trois millions de chômeurs, 120 000 postes non pourvus dans l’industrie, faute de candidats qualifiés (1).
"Les Ateliers du faire", organisés par le collectif Impulsion, c'est une manière de susciter des vocations, et de réhabiliter le travail manuel. "Le but c'est d'aider nos jeunes, explique Guillaume Eyraud, président du collectif Impulsion. Le travail manuel est de mieux en mieux considéré. J'en veux pour preuve qu'on peut très bien réussir sa carrière. Et on sait très bien que les pays qui sont plutôt industrialisés sont ceux qui marchent le mieux. On le voit bien avec l'Allemagne, on le voit bien avec la Chine. Le but, c'est donc de réindustrialiser la France et donner envie aux jeunes de venir travailler dans ces industries."
Objectifs affichés : promouvoir en changeant le regard sur ces métiers, casser cette hiérarchisation entre métiers manuels et intellectuels (et expliquer que l'un ne va pas sans l'autre), impulser les vocations pour favoriser la création de main d'œuvre, stimuler le monde de l'enseignement et le monde de l'entreprise en faveur de ces professions et valoriser les entreprises à dimension manuelle et industrielle
(1) Laurence Décreau dans Tempête sur les représentations du travail (Presses des Mines, 2018).
Les Ateliers du faire : samedi 9 mars, 10h-18h, Hôtel de Région. Entrée gratuite.
La déconsidération du manuel, héritage de la Grèce antique et de Platon
Selon Laurence Decréau, ancienne directrice du département Culture et Communication à l’ENSTA ParisTech, la déconsidération du manuel par rapport à l’intellectuel remonte à la Grèce antique et la philosophie de Platon. Dans Tempête sur les représentations du travail (Presses des Mines), elle écrit:
"Il ne fait pas bon "travailler", en Grèce ni à Rome : une telle activité ramène l’homme à sa triste condition de créature "naturelle", contrainte de se colleter avec les éléments – terre, métaux, bois… – pour simplement survivre, et de gagner sa vie pour pouvoir subsister.
D’où le mépris dont sont victimes tous ceux qui pratiquent les arts mécaniques, certes bien utiles à la communauté, mais qu’il est préférable de déléguer aux "autres" – à commencer par les esclaves, qui ne manquent pas.
L’artisanat n’a pas pour seul défaut de détourner de la vie politique en mangeant tout le temps dont est censé disposer un homme libre. Il constitue en soi une activité étrangère à toute forme de liberté.
Selon les Grecs, l’artisan est triplement asservi : à la nature, qui lui dicte ses lois – pour construire une table, il faut se plier à celles du bois et pour forger, à celles du métal ; au "modèle" idéal de table, de chaise, de chaussure, défini une fois pour toutes en fonction de son usage ; au client, qui lui passe commande et qu’il doit satisfaire pour être payé. Aucune initiative dans son ouvrage : de tous côtés, il obéit.
Et, sa besogne faite, il est si fatigué qu’il ne lui reste plus la force ni l’envie de se consacrer à la vie publique. Animal laborans, il ne vaut guère mieux qu’une bête de somme.."
La retranscription intégrale de l'entretien avec Guillaume Eyraud
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Guillaume Eyraud, bonjour.
Bonjour.
Guillaume Eyraud, vous êtes président du collectif Impulsion. Vous organisez "Les Ateliers du faire", consacrés à la mise en avant des métiers manuels. Cela se passe samedi 9 mars à l'Hôtel de Région. Avant de parler de l'événement, le collectif Impulsion en deux mots c'est quoi ?
Le collectif Impulsion, c'est quatre piliers : un pilier où, en fait, c'est un ensemble d'artisans et d'industriels qui sont ensemble pour faire des choses sur notre région. Donc on échange nos expertises et notre bonne pratique. Et puis on reçoit parfois des membres extérieurs qui vont nous présenter leur expertise donc c'est hyper intéressant. On a une deuxième activité, c'est d'aider les populations en situation de faiblesse. Donc là, on aide le collectif du Cœur 42, les Asperger, les enfants cancéreux. Donc une partie de la cotisation, c'est pour ça. Une troisième partie, qui est hyper importante pour nous, c'est qu'on aide les entreprises en difficulté. Avant, on aidait plutôt les startup, maintenant on s'est plutôt axé sur les entreprises en difficulté : ça fait 10 ans qu'elles fonctionnent mais tout d'un coup elles ont un coup de mou et onest là pour ouvrir complètement nos carnets d'adresse. Et on fait ça avec l'association Second Souffle, avec Guillaume Bourdon. Donc ça c'est hyper intéressant. Et puis le quatrième pilier, et c'est pour ça que je suis là aujourd'hui, c'est d'aider nos jeunes. C'est en ayant créé, avec Lyon 1, un Master 1, Master 2 Management des PME-PMI pour créer nos futurs entrepreneurs et intrapreneurs dans les sociétés. Et enfin on fait "Les Ateliers du faire" et on est là aujourd'hui le 9 mars pour promouvoir les métiers manuels.
C'est vrai que les métiers manuels, on en parlait un peu en amont de cette émission, pendant très longtemps en France ont été un peu mis sur le côté. C'est-à-dire qu'en gros "tu ne réussis pas ton bac tu feras un bac pro, tu feras un métier manuel".
Exactement.
On en est où aujourd'hui de cette dimension ? Comment, aujourd'hui, le travail manuel est-il considéré ?
Le travail manuel est de mieux en mieux considéré. J'en veux pour preuve qu'on peut très bien réussir sa carrière. On en parlait tout à l'heure mais on peut très bien réussir sa carrière en faisant un métier manuel ou au moins aller dans des activités industrielles et artisanales. On parle souvent des métiers manuels mais dans les métiers manuels il n'y a pas que l'atelier, il y a aussi les services marketing dédiés à l'industrie, le marketing industriel et ça c'est hyper intéressant et donc tous ces métiers vont être représentés. ce samedi 9 mars, on a 4 grands pôles dans l'Hôtel de Région. Venez d'ailleurs nombreux parce que, comme vous le savez, c'est une entrée gratuite. Un pôle bâtiment, un pôle artisanat et industrie, un pôle métier de bouche et un pôle cuir et textile.
Métier de bouche sous tension... de toute façon il y a des tensions de manière générale dans tout ce qui est manuel.
Exactement et c'est pour ça qu'on fait ces ateliers. A côté de ça, on a une "zone refaire", là c'est plutôt RSE, c'est comment on redonne vie à des produits âgés ou qui ont été abîmés Et puis, on a aussi un pôle dans les métiers que j'ai mis plutôt dans le pôle artisanat industriel mais on a aussi des athlètes et des artistes qui viennent. Par exemple, on va pouvoir peindre : vous venez avec des enfants vous allez pouvoir peindre un lion à la posca avec un artiste qui s'appelle Sophie Revel.
C'est assez vaste. Aujourd'hui, de manière peut-être plus générale, ça représente quoi l'intelligence manuelle dans notre économie ?
Alors je ne pourrais pas vous dire le chiffre d'affaires mais en tout cas on sait très bien que les pays qui sont plutôt industrialisés sont ceux qui marchent le mieux. On le voit bien avec l'Allemagne, on le voit bien avec la Chine. Et nous, le but, c'est de réindustrialiser un petit peu tout ça et réindustrialiser la France et aussi donner envie aux jeunes de venir travailler dans ces industries. Et c'est pour ça qu'on fait "les ateliers du fait"Les Ateliers du faire".
On parle beaucoup beaucoup de digital, d'intelligence artificielle, quel est l'avenir des professions manuelles ?
C'est génial. À l'époque de la digitalisation, de Chat GPT, vous n'allez pas pouvoir construire votre maison sans un plombier, sans avoir un maçon, sans avoir un charpentier. Et d'ailleurs, vous allez pouvoir voir tous ces métiers parce qu'on a la chance d'avoir les Compagnons du devoir qui nous suivent sur cette édition, encore une fois. C'est d'ailleurs un des membres d'Impulsion. Et il va y avoir une quarantaine de jeunes qui vont arriver pour présenter leur métier et surtout faire participer. Parce que le principe des "Ateliers du faire", c'est que c'est interactif avec les visiteurs. On met la main à la pâte et on voit vraiment… Vous allez voir comment vous faites une charpente, vous allez pouvoir même utiliser des outils. Vous allez avoir une DeLorean, je ne sais pas si vous avez vu Retour vers le futur mais qui va être là… On va pouvoir réparer des moteurs des anciens moteurs avec Conexauto. Voilà donc c'est tout ça qui fait que c'est hyper intéressant parce que c'est interactif et immersif.Donc là on s'adresse aux jeunes c'est pour effectivement leur situation professionnelle.
Un mo sur un chiffre de septembre 2023 : 37% des salariés français envisagent de se reconvertir dans le manuel...
C'est génial. Assez incroyable comme chiffre. C'est super. Il faut continuer.
Parce que finalement Les "Ateliers du faire", c'est à la fois de la formation et de la reconversion ou pas aussi ?
Alors exactement. Donc c'est notre cible évidemment. C'est toujours les jeunes les familles pour changer un peu le regard sur ces métiers-là qui sont des métiers passionnants. On peut très bien gagner sa vie. Et là je vous regarde dans les yeux et on peut très bien gagner sa vie.Et puis c'est aussi les personnes en reconversion parce que entre 35 et 50 ans, souvent, parfois on a envie de changer. On s'est dit qu'on n'avait pas pris le bon métier. Et donc c'est aussi toutes ces personnes en reconversion et on va avoir des conférences justement par des personnes qui ont vécu cette reconversion.