Premier ultra-trail du continent africain, l'Atlas Quest, du 3 au 7 octobre, fait figure d'un monstre technique dans le haut Atlas marocain.
Sébastien Talotti, originaire de Haute-Savoie, aujourd'hui installé à Charavines en Isère, au bord du lac de Paladru, est un ancien coureur du Team Trail Quechua. 3e de la TDS 2011, il a couru quelques beaux ultras comme la Diagonale des Fous en 39h59, la CCC en 10h40 (2e au scratch) et l'Atlas Quest (ex-Ultra Trail Atlas Toubkal) qu'il a bouclé en 22h18, à la 4e place. Un gros coureur donc.
En charge, cette année, de l'équipe du balisage, il détaille pour Lyon Capitale, le parcours du 105 km - 8 000 m D+." "A l'Atlas Quest, ce n'est pas le ratio distance/dénivelé, mais plutôt le ratio distance/technicité qui compte."
Comment définiriez-vous, globalement, le parcours du format ultra de l'Atlas Quest ?
Je suis un ex-trailer, j'ai un peu bourlingué à droite à gauche, au Grand Raid de la Réunion (39h59, NdlR), à la TDS (16h20) ou à l'Ultra Trail Atlas Toubkal (22h18), j'ai donc quand même une petite expérience là-dedans. La course du Toubkal, Atlas Quest aujourd'hui, sort de tout ce qu'on peut connaître dans le monde du trail, par ce côté original, lié au monde berbère, à la technicité du terrain, à l'altitude et à une organisation qui peut paraître un petit peu spartiate et sommaire, mais qui est très qualitative. Ce qui aussi me fait revenir chaque année comme bénévole, c'est vraiment l'amour du peuple berbère qui nous rend heureux à chaque fin d'aventure. Quand on rentre chez nous, en tous cas tous les amis, tous les clubs que j'ai pu faire venir, repartent avec un sourire et une envie de revenir.
Finalement, plus qu'un trail, c'est une expérience...
C'est une expérience, oui, qu'on peut vivre de plusieurs façons. Bien sûr, il y a l'esprit de compétition parce qu'on porte un dossard, mais au final, quand on est dans la course, tout ce qu'on peut connaître dans d'autres courses, en fait, sort du schéma parce qu'on est ébloui par le paysage, et par les rencontres, les échanges. Quand on passe dans des villages berbères et que les gamins nous tapent dans la main et qu'un berger berbère prend le temps de discuter avec nous, c'est unique. Je ne dis pas qu'on ne peut pas le rencontrer ailleurs mais si on compare à d'autres rands ultra-trails réputés, on ne voit pas ça là-bas.
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Parce qu'on peut se retrouver complètement seul ?
Oui, parce que déjà le nombre de concurrents est quand même assez limité. Sur un 105 km, du premier au dernier, il y a des phases où on se retrouve seul avec soi-même. C'est une vraie remise en question, un travail intérieur qu'on n'a, peut-être pas, dans d'autres courses. C'est une sorte de chemin de Compostelle où on se retrouve avec soi. C'est un petit peu étrange, ça peut faire peur de se retrouver dans des vallées que l'on ne connaît pas, vierges, de tout, dans une nature pure, c'est étrange parce que nous n'avons pas l'habitude. Nous, Européens, est-ce qu'il y a chez nous des vallées où il n'y a aucun éclairage et aucune vision de l'homme ? Je ne suis pas sûr.
Comment gère-t-on une telle course ?
J'essaye de me dire que ce n'est pas une course. Il y a tellement de stimuli dans ces courses qui nous mettent dans un état de stress inconscient. Quand je suis au départ de l'Atlas Quest, j'essaye de me dire que je suis avec une bande de potes et que je pars pour une longue sortie montagne. Et, en fait, quand je me mets dans cet esprit là, tout devient plus ou moins plus simple, j'ai l'impression d'être dans un entraînement que j'ai l'habitude de faire au quotidien. Mon état d'esprit ne se transforme pas en compétiteur mais plutôt en explorateur. Et ce travail là me facilite beaucoup de choses. Et de toute façon, l'esprit de compétiteur s'efface vite, pour la simple et bonne raison que d' aller vite est très compliqué, même pour un Chamoniard qui a l'habitude de courir en haute altitude parce que le 2 600 mètres de l'Atlas n'est pas le même que le 2 600 mètres des Alpes.
C'est-à-dire ?
Il y a plusieurs facteurs, notamment la chaleur ou le taux d'humidité etc. On est vite rappelé à l'ordre quand on arrive sur le plateau de l'Oukaïmeden. On se dit que ça va être compliqué, déjà par le terrain, technique, et sur l'aspect altitude qui va faire qu'on être limité sur la vitesse. Du coup, on rentre un petit peu naturellement dans un schéma de randonnée qui, au final, n'est pas déplaisant. Le stress est un brûleur d'énergie, on le sait. C'est un peu le problème justement, dans les événements comme l'UTMB, avec le speaker qui chauffe le public, les concurrents autour de nous qui sautillent et qui se parfument de crème de massage, qui nous mettent dans cet état de stress qui n'est pas habituel et que l'on ne travaille pas à l'entraînement. Tout cela, on ne le ressent pas au Maroc. Ceux qui viennent au Maroc sont des passionnés. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de passionnés ailleurs, mais là, ce sont des gens qui recherchent, justement, cet inconfort de monde, le bruit du silence... Est-ce que silence est un bruit ? En tous cas, cela, aussi, peut être quelque chose de perturbant. Tout cela, c'est quelque chose que, moi, je trouve plaisant parce que ça sort du quotidien. J'ai refait le 105 km il y a deux ans, j'ai apprécié ce silence de me retrouver sans rien, avec la nature, le bruit de l'eau, le bruit des cailloux qui dégringolent dans le pierrier à 200 mètres, tout ça ça fait du bien.
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Vous parliez de l'altitude mais aussi de la technicité du parcours. Sur quel type de terrain est-on, des pierriers, de la roche, des oueds ?
On compare souvent l'Atlas Quest, format 105 km, à la Diagonale des Fous. Il y a moins de marches, il y a moins de bois, il n'y a pas du tout d'aménagements techniques, qu'on peut retrouver sur une Diag', en revanche, c'est un terrain très abrasif. On se retrouve avec une roche un peu volcanique, certes un peu moins qu'à La Réunion, mais, en tout cas, qui accroche sous les pieds, instable. Vu qu'on est à 2 600 mètres, c'est un petit peu de la pelouse alpine, très piquante avec un rocher soit en type pierrier et très glissant sous le pied soit dans du hors sentier. Il y a aussi des portions bitumées. Le Maroc met beaucoup d'argent sur le réaménagement des routes berbères, on peut se retrouver de temps en temps, sur une départementale avec un bitume tout neuf pendant trois quatre bornes, ça fait un petit peu bizarre. Ceci étant dit, il y a 98% de chemins ultra techniques et très peu de chemins 4x4. Il y a deux ans, il y a eu des orages, j'ai couru pendant des heures et des heures dans des sentiers qui s'étaient transformés en ruisseaux, parce que là-bas, ils n'ont pas de personnel poir faire des renvois d'eau, ce qui fait que le sentier est le renvoi d'eau lui-même. Imaginez un peu... Pendant 1 000 mètres de dénivelé, j'avais les pieds dans l'eau. Donc, en fait, on peut avoir soit du très sec, très technique, ou du très humide, avec ces amplitudes de température propres au pays, c'est-à-dire du très froid en haut avec du vent, avec l'effet windchill (différence entre la température réellement mesurée et la sensation de froid, qui est influencée par l'effet refroidissant du vent, NdlR), peut-être du moins 5 degrés à la sensation, et puis se retrouver en bas de vallée à 1 600 mètres avec du 40 degrés à la sensation.
Des amplitudes de température qui ressemblent à celles de La Réunion...
Exactement. Cela va demander, en plus du travail d'endurance, de résistance avec les descentes, il va falloir aussi préparer sa gestion sur l'anticipation, c'est-à-dire s'habiller peut-être avant d'avoir trop froid sur l'arête, parce que le risque c'est de se faire prendre au piège, en sortant ses affaires trop tard et, qu'au bout de 20 minutes, on est complètement congelé et les problèmes gastriques interviennent, blablabla , et la course peut se finir. Et au Maroc, l'abandon est très compliqué : on n'a pas trop d'autre choix que d'avancer.
Altitude, amplitudes de terrains, technicités du terrain, il y a aussi la nuit dans des endroits totalement isolés, coups du monde, qui rajoute à la difficulté.
Ce sont des conditions que j'aime bien parce que le faisceau me permet d'être beaucoup plus concentré sur mes appuis et donc de me sentir un petit peu plus en sécurité. Le fait d'être seul est quelque chose qu'on a du mal à penser. Il y a deux ans, je me suis retrouvé seul pendant peut-être 20 heures de course, pendant lesquelles je n'ai vu strictement personne. Et, au final, dans la nuit, quand tu te retrouves seul, sans rien, sans savoir où tu es, sans orientation, etc. ça fait un peu flipper. Tu penses à tout, tu penses à des bêtes, alors qu'il n'y en a pas, tu te demandes si tu ne t'es pas perdu. L'imaginaire prend le dessus.
C'est vraiment ce côté-là qu'on essaye aussi de prôner. Les pays du Maghreb ont tendance à faire peur pour plusieurs raison. Des courses comme celle-ci, dans une montagne méconnue en Europe, peuvent faire peur. Mais l'organisation n'est pas une organisation simpliste. Tout qui est mis en œuvre, comme dans les grandes organisations en Europe, de l'aspect médical, paramédical ,au balisage à la logistique, est à la pointe. Et la sécurité est le maître mot de l'organisation. La seule contrainte, c'est un peu comme dans le cirque de Mafate, à La Réunion, quand on abandonne, on ne vient pas vous récupérer en voiture ou en hélico, c'est-à-dire que vous rentrez par vos propres moyens. Au Maroc, c'est pareil parce que là où on court, on est un petit peu excentré de tout. Du coup, cela nous oblige aussi à ne pas avoir l'abandon facile, comme on pourrait l'avoir sur des sentiers où il y a du monde et où tu ne peux pas te perdre.
Vous parliez de balisage. Peut-on se perdre, c'est aussi l'une des appréhensions des participants ?
Le balisage, en soi, est quand même bien fait. C'est un balisage en rubalise ou en peinture, sur la pierre sur des rochers. Donc, non, il n'y a pas de risque de se perdre. L'équipe qui balise, dont je fais partie, ce sont des gens qui courent, ce sont des trailers. Ils ont cette expérience de coureur, et du coup ils se mettent à la place des autres. C'est un avantage. Je ne dis pas que tout est parfait mais par rapport à ce que j'ai pu connaître dans d'autres courses, c'est très bien. En revanche, tu te retrouveras dans des pierriers, où, de de temps en temps, tu rechercheras plus ou moins ton caillou. Mais, là, c'est lié à la topographie. Et puis il y a la plus longue descente que j'ai jamais courue, l’une des descentes les plus impressionnantes que l’on puisse trouver sur une course de trail international, de 11,5 km et de 2 000m de dénivelé... Alors celle-là, elle est mythique. En fait, tu rentres dans un canyon avec un semblant de chemin, dans des blocs, et là, tu te dis que c'est vraiment du trail de montagne.
C'est donc un trail exigeant...
Oui, c'est un trail exigeant mais qui nous fait apprendre beaucoup de choses, et qui nous renforce. Notamment sur le volet humilité, parce que quand on arrive à bout de cet ultra, n fonction de l'heure à laquelle tu arrives, en fait, tu n'as pas de public à l'arrivée. Tu as un berbère posé sur une chaise avec un chrono. J'en rajoute peut-être un petit peu, mais, en tout cas, tu es seul avec toi-même à ton arrivée et tu te satisfais de ce que tu as fait.
Vous parliez des similitudes avec la Diagonale des Fous, que vous avez courue. L'Atlas Quest est plus dur ou pas ?
Je le mets en haut de l'échelle. On va dire que c'est une Diagonale avec une altitude basse de 1600 mètres et une altitude haute de 3700 mètres. J'ai fait partie de la Team Quechua pendant dix ans, j'ai couru avec Dawa Sherpa, j'ai un peu d'expérience quand même dans le trail. Après, je n'ai pas fait de Tor des Géants (330 km -24 000 m D+), ni de Swiss Peaks (365 km - 25900 m D+ et 660 km - 49 000 m D+), donc je n'ai pas de l'expérience du très très long. Je ne vais pas mentir sur cet aspect-là. Mais en tout cas, si je la compare à une TDS, que j'ai courue quelques fois, pour moi c'est bien plus dur. Tu te dis "tiens 100 bornes, 8 000 m de montées et descentes, par rapport à ce que j'ai déjà fait auparavant, je vais mettre tant de temps". Mais c'est un petit peu comme une Echappée Belle. Ils disent 10 heures, je pense que c'est un peu gros, mais il faut bien rajouter 5-6 heures par rapport à ton temps que tu mets sur l'UTMB. Parce qu'en fait, ce n'est pas le ratio distance/dénivelé, c'est plutôt le ratio distance/technicité qui compte. Tu as le paramètre technicité qui sort de l'ordinaire, plus ce fameux paramètre d'altitude qui est incomparable.
Le temps limite est de 40 heures, par rapport à tout ce que vous venez d'évoquer, c'est quand même jouable ?
C'est jouable, oui. Moi j'ai des amis qui n'ont pas du tout le morphotype trailer mais, en revanche, qui sont de bons marcheurs. J'en ai un qui a, notamment, fait le Tor des géants, qui a de l'expérience. Lui est rentré dans les délais. Mais il a le pied alpin et malgré son surpoids, on va dire, il y est arrivé parce qu'il sait marcher vite. Et là, c'est de la marche, vraiment. Tu vas courir bien sûr dans les descentes. Et, quoique, c'est tellement technique. 40 heures, c'est large mais il ne fait pas faire des pauses de 30 minutes aux ravitaillements. Il faut marcher sans trop s'arrêter.
Et au niveau alimentation, que conseillez-vous ?
Il n'y a pas tout ce qu'on peut retrouver dans des courses, comme on en Europe, il y a des amandes, des noix de cajou, du thé forcément, des fois de la vache qui rit, l y a des pommes de terre. En fait, ce sont des choses qu'on n'a pas forcément l'habitude de voir en Europe. Mais, en fait, c'est quand même une nutrition qui est assez riche. On ne peut pas aussi partir qu'avec nos produits énergétiques parce qu'autrement le sac il ferait 40 kilos, parce que l'assistance est impossible sur cette course. Ce n'est pas parce que c'est interdit mais parce que, pour l'assistant, c'est trop compliqué, c''est trop reculé. Il y a les accès. Le conseil que je donne pour éviter tous ces problèmes gastriques, liés à des micro-bactéries toujours possibles, c'est de faire de la préparation avec des probiotiques avant pour renforcer la flore intestinale. C'est comme dans une préparation physique mais qui permettrait de se renforcer à ce niveau-là.
Et sur l'eau ?
Il y a de l'eau naturelle parce qu'on est quand même en montagne, il y a des sources, des rivières. C'est pour ça que les comprimés de purification de l'eau sont demandés dans le règlement. C'est toujours pareil, on part avec un litre un litre et demi, ça paraît aberrant et lourd par rapport à ce qu'on peut faire d'habitude, mais tu es bien content de les avoir et pouvoir purifier l'eau des sources. C'est tout le paradoxe de l'altitude : il fait frais c'est venteux, on n' pas envie de boire. Or, c'est dans cette phase-là qu'on se déshydrate le plus. En altitude, l'hydratation est un facteur clé de gestion.
Terrain abrasif, il faut donc des chaussures très cramponnées.
Le terrain, abrasif, ressemble un peu à celui de La Réunion, il faut donc effectivement plutôt des chaussures bien cramponnées, bien crantées. Il ne faut pas tricher sur ce point. Il faut vraiment avoir son petit tube de crème Nok aussi dans le sac, parce qu'en fait le terrain, vu qu'il n'est pas en assiette, il y a des sentiers qui sont taillés bien sûr, il y a des bassins dans les villages, il y a du sentier stable. Mais bien souvent ,les pieds sont mis à mal dans ce que tu peux connaître de la Réunion dans les endroits plus techniques où, en fait, le pied est souvent en dévers. Et, encore une fois, il suffit que pour x raisons , il neige ou il pleuve, c'est arrivé, tu as les pieds qui baignent dans l'eau pendant des heures et des heures et, à ce moment, la crème Nok est ton allié "plus plus plus". Il faut avoir un sac complet, voire même en ayant plus un sac de transition entre le trail et la randonnée parce qu'on part pour une grosse aventure et non une compétition.