L'école n'est pas du tout épargnée des formes de séparatisme religieux, de repli identitaire qu'on observe dans le reste de la société.
A l'occasion de la journée nationale de la laïcité à l'école, jeudi 9 décembre, l'Ifop publie les résultats d'une enquête sur la question en milieu scolaire.
Si les résultats de l'enquête menée par l'Ifop pour la Licra et sa revue "DVD" n'ont rien d'un scoop - les premiers travaux mettant en exergue ces problèmes remontent à près d’une vingtaine d’années (voir Les Territoires perdus de la République (2002) de Georges Bensoussan ou Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires (2004) de Jean-Pierre Obin) - c'est la première fois, en revanche, qu'une telle étude est menée auprès de lycéens de plus de 15 ans, dans toute les régions de France, dont Auvergne-Rhône-Alpes, sur la question des atteintes à la laïcité en milieu scolaire*.
* Etude Ifop pour LICRA et le Droit de Vivre réalisée en ligne du 15 au 20 janvier 2021 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 006 lycéens âgés de 15 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, type d’enseignement, filière et niveau, secteur, académie, affiliation religieuse) à partir de des statistiques du ministère de l’Education (RERS 2020) et de celles de l’Institut Montaigne.
Tensions identitaires en cour de récré
"Contrairement aux idées reçues, et malgré la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l'école, on observe de fortes tensions, nées des diverses formes d’affirmations identitaires, affectant le contenu des cours - et pas seulement ceux d'histoire géographie ou ceux touchant à l'égalité des sexes - mais aussi d'autres aspects de la vie scolaire, comme la cantine ou les sorties scolaire." explique à Lyon Capitale François Kraus, direction du pôle politique de l'Ifop.
L'enquête montre que plus d’un lycéen sur deux (55%) a déjà été confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire. Les plus répandues concernent les demandes de menus "confessionnels" (47%), les refus d’activités pédagogiques des jeunes filles au nom de leur religion (31% pour des cours de natation) et le rejet des références religieuses à l'occcasion de certaines activités pédagogiques (24% de refus d’entrer dans un édifice religieux) ou de moments de vie scolaire (27% de contestations des repas de Noël).
Toilettes séparées, robinets réservés, menus confessionnels...
Contester le sytème scolaire n'est pas nouveau. Dans les années 70/80, les contestations se faisaient sur des idéaux politique "de gauche ou révolutionnaires". François Kraus explique qu'aujourd'hui cette contestation se fait "en partie sur des doctrines politico- religieuses".
Cette "forme de séparatisme" d'une partie des élèves se traduit par une "volonté d'entre soi" durant certains moments de la vie scolaire. Ainsi, 16% des lycéens du public ont déjà constaté l’organisation, à la cantine, de tables en fonction de la religion (33% dans les lycées classés "prioritaires"), 15% des toilettes séparés en fonction de leur religion (30% en milieu "prioritaire") et 13% l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de confession (32% en milieu "prioritaire").
"On est là sur sur du repli identitaire et du communautarisme." explique François Kraus.
Au regard de l'étude de l'Ifop (à lire dans son intégralité ici), manifestement les manifestations identitaro-religieuses qui affectent la vie scolaire sont loin d’être un phénomène marginal. "Ces jeunes, et tout particulièrement les lycéens musulmans et/ou scolarisés dans les lycées classés "prioritaire", se distinguent aussi par un fort attachement au "respect" des religions et donc par une forte réticence à toute forme d’irrévérence envers les dogmes et personnages religieux."
"J'ai toujours dit qu’il y avait un phénomène. Dieu sait que j’ai été critiqué sur ces sujets, on a considéré que j’exagérais. Il faut être lucide, ni exagérer ni minimiser."
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale sur BFM TV
Interrogé ce jeudi matin dans "Bourdin Direct" sur BFM TV et RMC, le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré : "Je ne suis pas vraiment surpris par les résultats parce que j’ai toujours dit qu’il y avait un phénomène. Dieu sait que j’ai été critiqué sur ces sujets, on a considéré que j’exagérais. Il faut être lucide, ni exagérer ni minimiser. Et de préciser que "l’immense majorité de la population, y compris nos compatriotes de confession musulmane, est convaincue de la pertinence de la laïcité."
De Lyon, tout a commencé
(Audition de Jean-Pierre Obin, inspecteur général de l’Éducation nationale devant le Sénat, mars 2015.)
"Dès 1991, j’étais alors inspecteur général chargé de l’académie de Lyon, des chefs d’établissement m’ont fait part de la contestation violente suscitée par la première guerre du Golfe, chez certains jeunes Maghrébins, fiers d’afficher leur solidarité avec Saddam Hussein et leur opposition à l’intervention de la coalition internationale à laquelle la France était associée. En 1996, le principal du collège Longchambon, dans le quartier des États-Unis, à Lyon, m’a alerté au sujet du départ des deux derniers élèves juifs de son établissement. Le harcèlement avait eu raison de la mixité sociale et ethnique des élèves, de sorte que les familles d’origine juive préféraient scolariser leurs enfants dans les établissements publics du centre-ville ou dans le privé catholique. J’ai reçu cette information comme un choc."
Pour aller plus loin sur le sujet :
- Islamisme à l’école : le rapport qu’on a ignoré
En 2004, des inspecteurs généraux de l’Éducation nationale remettent au gouvernement une enquête “inquiétante” sur la “théologisation de l’enseignement” dans les établissements scolaires. Le rapport Obin aujourd’hui plus que jamais d’actualité, a été dissimulé pendant des années. - Gilles Kepel, politologue, spécialiste de l’islam et du monde arabe expliquait dans les colonnes de Lyon Capitale
"L'école est devenue pour les tenants de l’islam politique une citadelle à abattre. (...) La pression sociale du salafisme interdit au libre-arbitre de s'exprimer dans les milieux populaires."
A force de "ne pas mettre les pieds dans le plat des radicalités quelles qu'elle soit" parce qu'il ne faut surtout "pas faire de vague",
on en arrive à une société qui se replie sur elle-même, incapable de communiquer sur autre chose que ce qu'elle connait déjà, qui confond laïcité et athéisme, etc, etc.
Et à la fin, ce sont les marchands d'armes qui gagnent et les peuples qui crèvent.
Tout cela n'existerait pas dans une société postmonétaire.