Avalanche-Deux-Alpes: "Il y a beaucoup de culpabilité chez les élèves"

À la suite de l’avalanche qui a causé la mort de deux lycéens lyonnais, une cellule psychologique a été mise en place. Comment fonctionne-t-elle et quelle est sa mission ? Interview de Nathalie Prieto, la responsable lyonnaise.

Pour les attentats de Paris en novembre, comme pour l'avalanche qui a fauché deux lycéens lyonnais mercredi, le service de Cellule d'Urgence Médico-Psychologique (CUMP) de Lyon a été mobilisé. Basée à l'hôpital Edouard Herriot et rattachée au SAMU, sa responsable le Docteur Nathalie Prieto a accepté de nous en dire plus sur le fonctionnement de son dispositif. C'est elle qui a déclenché la CUMP en Isère et au lycée Saint-Exupéry, remplacée jeudi soir par une cellule d'écoute de l'Éducation nationale. Entretien.

Lyon Capitale : Dans quel état sont les élèves du Lycée Saint Exupéry ?

Nathalie Prieto : Il y a beaucoup de culpabilité. C'est ce qui domine le tableau pour le moment. Ce qui revient aussi c'est qu'ils ont décidé eux-mêmes de franchir la piste fermée. Ce sont des élèves privilégiés par le sport, ils sont partis de manière festive, tout était joyeux pour eux et d'un coup : tout bascule dans l'horreur et le drame. On traite différemment les élèves impliqués qui ont vécu le drame et ceux qui sont juste affectés. Si l'expérience reste “seulement” douloureuse, ce n'est pas traumatique. Un traumatisme c'est quand une personne est bloquée sur le moment du drame et c'est ce qu'on veut éviter pour qu'elle continue à vivre.

"Le but n'est pas d'enlever la faute ni de leur dire comment se sentir"

Comment vous les aidez ?

On les écoute, d'abord. Et si on nous dit “c'est ma faute” on écoute, mais on ne déculpabilise pas, car ce qui fait souffrir les gens c'est aussi ne pas avoir le contrôle, de n'être responsable de rien. Au lieu de dire “non” pour soulager : je vais plutôt faire parler la personne pour qu'elle se soulage. L'alléger. Le but n'est pas d'enlever la faute ni de leur dire comment se sentir. Dire d'être content à quelqu'un ça n'a jamais aidé. Il faut leur faire comprendre que culpabiliser ne va pas faire changer l'évènement. Au lycée, nous avons vu une cinquantaine de personnes, élèves et parents. Lors du dispositif nous étions en moyenne 6 sur place par jour, avec des psychologues, psychiatres et infirmiers spécialisés. Jeudi soir j'ai décidé de lever le dispositif, car il n'y avait plus de demande de consultation. C'est l'Éducation nationale qui a pris la relève avec une cellule d'écoute. Bien sûr si des élèves impliqués ont des symptômes qui commencent a apparaître, on leur a dit de venir nous voir ici (Hôpital Edouard Herriot, ndlr).

Quelles peuvent être les conséquences d'un traumatisme ?

Pour les gens impliqués, cela peut déclencher du stress post-traumatique. Avec par exemple des images de ce qu'on a vu qui ressurgissent. Dès qu'il y a un son qui rappelle ceux entendus lors du drame... le sujet va avoir l'impression qu'il revit l'évènement. Avec la même anxiété. Ils peuvent aussi être dans un état d'hyper contrôle. C'est très fatigant pour eux. Ils sont toujours en alerte, car lors du drame ils n'ont pas maîtrisé la chose. Pour les attentats beaucoup de traumatisés se mettent à regarder autour d'eux ou réfléchir à comment s'enfuir en cas d'attaque. Des gens vont aussi avoir une réaction d'évitement. Ne plus aller sur un lieu qui rappelle le drame, que ce soit le ski... mais aussi les restaurants, les concerts voire même le travail. C'est très problématique. Enfin, il y a aussi des gens qui vont rester centrés sur ce qu'il leur est arrivé. Ça les isole, peut les rendre irritables et entraîner un trouble du caractère. Ce sont des conséquences qui sont réellement invalidantes. Et plus on attend, plus c'est ancré dans le psychique et difficile à traiter.

"Avec une mauvaise utilisation, on risque de faire l'inverse de notre objectif, c'est-à-dire augmenter la charge émotionnelle"

La mission d'une cellule d'urgence médico-psychologique c'est quoi ?

Réduire la charge émotionnelle. C'est ce qui fait que les victimes restent fixées sur l'évènement, en arrêt sur image. Et qu'ils ne peuvent plus continuer à vivre. Ça passe d'abord par l'organisation. On sait que si la suite de l'évènement paraît trop chaotique aux victimes : ça risque d'avoir un impact encore plus important que l'évènement lui-même. Cette organisation doit aussi ré-humaniser ce que les gens ont vécu. Ces expériences sont en générale très éprouvante et les gens se sentent comme une “chose” avec cette idée de “Pourquoi moi ?” On peut travailler dans l'urgence et sur le terrain, mais aussi en consultation plus tard. L'intérêt du terrain c'est surtout de repérer les personnes qui auraient des réactions particulières.

Qu'est-ce qui peut déclencher une cellule d'urgence ?

Lorsqu'il s'agit d'un “événement potentiellement traumatique”. Il faut que ça arrive de manière brutale et que la vie des gens soit menacée par cette brutalité, et qui provoque une réaction intense. Pour le déclenchement : on me demande et c'est moi qui décide. Je vérifie que c'est adapté, mais aussi la temporalité. Est-ce que je déclenche tout de suite ? Est-ce que j'attends ? On ne va pas forcément tout de suite sur place s'il n'y a pas de crise qui nécessite de repérer et organiser. Je peux aussi mobiliser le département. Dans le cas de l'avalanche des lycéens lyonnais, j'ai déclenché le SAMU de l'Isère et on s'est mis en lien pour savoir comment s'organiser à l'échelle départementale. À Lyon on a 15 personnes facilement mobilisables et 40 volontaires. Pour les attentats de Paris, nous avons été mobilisés et on a envoyé du renfort.

On entend souvent les politiques annoncer le déclenchement d'une cellule. Il n'y a pas un risque de récupération politique ou de sur-utilisation ?

Il y en a moins maintenant, mais il y a eu des tentatives d'instrumentalisation. Comme essayer de déclencher des cellules psychologiques pour des évènements qui ne sont pas traumatiques. Des violences dans les banlieues par exemple. Dans ces cas-là, on refuse en disant que ça ne correspond pas à la mission. Avec une mauvaise utilisation, on risque de faire l'inverse de notre objectif, c'est-à-dire augmenter la charge émotionnelle. Par exemple si l'évènement n'est pas traumatisant, mais que vous voyez débarquer du personnel médical qui vient s'installer et mettre en place un dispositif. On essaye d'éviter le tout et n'importe quoi. J'en ai peur, mais on ne serait plus là aujourd'hui si on faisait n'importe comment.

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