Alors que le Gouvernement réfléchit à l’élaboration d’un nouveau texte visant à élargir la laïcité aux établissements accueillant de jeunes enfants, comme le révélait Lyon Capitale-le mensuel de juin**, la crèche Baby-Loup, à l’origine du débat, a finalement décidé de quitter le quartier populaire de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines.
Après cinq années de combat juridique, Baby-Loup capitule. La décision de la Cour de cassation a sonné le glas de la crèche associative de Chanteloup-les-Vignes. Son conseil d’administration a en effet décidé de déménager d’ici à la fin de l’année. “C’est une énorme déception, souffle Luce Dupraz, auteure de Babyloup, histoire d’un combat et experte de la petite enfance. Cette crèche n’est pas seulement un lieu de garde d’enfants.” Le principe novateur et unique en France de l’établissement installé, depuis 1991, dans le quartier populaire de cette commune de près de 10 000 habitants : être ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. “Ce système a été mis en place pour permettre aux mères seules qui ont des horaires décalés ou qui travaillent la nuit de faire garder leurs enfants, poursuit Luce Dupraz. C’est aussi une structure de formation, d’insertion, d’émancipation des femmes du quartier. C’est une crèche profondément antidiscriminatoire qui est accusée de discrimination… C’est aberrant.”
Insultes, menaces et voitures rayées
L’affaire Baby-Loup a commencé en 2008. Fatima Afif, une employée musulmane qui revient d’un congé maternité, est licenciée pour faute grave après avoir refusé d’ôter son voile. Déboutée par les prud’hommes et par la cour d’appel de Versailles, la jeune femme a finalement obtenu gain de cause devant la Cour de cassation, le 19 mars dernier. Les juges de la plus haute juridiction française ont cassé et annulé l’arrêt rendu plus tôt, considérant que la crèche était une entreprise privée, dont le règlement intérieur ne peut pas interdire les signes religieux au personnel. Ils ont donc annulé le licenciement au motif de “discrimination en raison des convictions religieuses” et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. Relançant ainsi le débat sur la laïcité dans les établissements accueillant de jeunes enfants*.
En attendant le verdict, qui ne devrait pas intervenir avant deux ans, l’emblématique directrice de Baby-Loup, Natalia Baleato, n’a plus les moyens de rester – si la cour d’appel de Paris confirme la décision des juges de cassation, la crèche pourrait devoir verser une indemnité de 100 000 euros à son ancienne employée. Ni les moyens de résister : “On est tous fatigués, souffle Lina, employée d’origine argentine qui travaille depuis 1991 dans cette crèche qui profite à plus de cent familles des Yvelines. Le climat quotidien ici est devenu insupportable. Nous sommes régulièrement insultés, nous recevons des menaces au téléphone. Il y a quelques jours encore, j’ai retrouvé ma voiture rayée sur le parking. Et la police ne se déplace même plus. Il est devenu trop difficile de travailler dans ces conditions.”
“Le chômage atteint 17 % et les logements sociaux représentent 82 % de l’habitat”
Baby-Loup devrait être accueillie sur la commune de Conflans-Sainte-Honorine. À sept kilomètres à peine de Chanteloup-les-Vignes. Un même département, mais un autre territoire. Derrière le départ des équipes de Natalia Baleato, c’est surtout l’échec d’une ville. “La crèche était un support exceptionnel à la vie de notre commune”, souligne Catherine Arenou, la maire de Chanteloup-les-Vignes. Une commune davantage connue jusque-là pour ses émeutes urbaines des années 1990 et le tournage du film La Haine. “Ici, le chômage atteint 17 % et les logements sociaux représentent 82 % de l’habitat, confirme l’élue (UMP). Malgré les dix dernières années d’un programme de rénovation urbaine qui a débloqué 106 millions d’euros pour l’aménagement des routes, la rénovation des écoles, la construction de nouveaux logements, nous restons un territoire très fragile. Le moindre couac est un pas en arrière.” Elle assure avoir soutenu Baby-Loup et regrette le manque de reconnaissance quant à l’aide apportée depuis le début de l’affaire, soit “une subvention de 155 000 euros, en augmentation depuis trois ans, et la proposition d’un déménagement sur un autre lieu”. Mais elle refuse d’admettre la montée de l’extrémisme religieux : “Chanteloup est toujours le vilain petit canard.” Qui vient de perdre une crèche modèle de l’’intégration sociale.
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* Le 6 juin dernier, une proposition de loi présentée par l’UMP pour une modification du Code du travail en faveur de la neutralité religieuse dans l’entreprise était débattue à l’Assemblée nationale. Elle a été rejetée. En janvier 2012, une autre proposition de loi, déposée par le Parti radical de gauche (PRG) avait, en revanche, été votée au Sénat. Celle-ci vise l’élargissement du principe de neutralité dans les établissements accueillant des jeunes enfants.
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** À lire : l’enquête de Lyon Capitale-le mensuel de juin sur l’éventualité d’une interdiction du voile aux assistantes maternelles (aperçu ici).
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