Entretien exclusif. Fin avril, le milieu culturel de la Région Auvergne-Rhône-Alpes était ébranlé par l’annonce "brutale" et sans "concertation" de la collectivité de baisser certaines de ses subventions. Pour la seule ville de Lyon, plus de 2 millions d’euros ont ainsi été retirés. Depuis, les accusations de clientélisme, d’absence de dialogue et les interrogations sur l’utilisation de l’argent récupéré n’ont cessé de s’abattre sur la Région. Muette depuis un mois et demi, Sophie Rotkopf, la vice-présidente à la culture, a accepté de balayer le sujet pour Lyon Capitale en revenant sur les polémiques.
Sophie Rotkopf, la vice-présidente à la culture de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, sort enfin de son silence pour Lyon Capitale un mois et demi après avoir dévoilé dans Le Progrès de premières baisses de subventions dans un propos laconique. Depuis, les seules brèves explications étaient venues de la part de Laurent Wauquiez, le président de la Région, en réponse à Grégory Doucet, le maire de Lyon.
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Les deux élus se livrant à des passes d’armes par presse interposée au fur et à mesure que la polémique enflait. Le maire EELV de Lyon expliquant qu'"attaquer la culture, c’est par ça que commencent tous les régimes fascistes" et le président LR de Région lui rétorquant notamment qu’"il n'y a pas de rente. Il n'y a pas un droit automatique à toucher des subventions publiques, on est amené à faire des choix, même si ces choix ne sont pas toujours faciles", sans donner plus de précisions sur ces coupes.
Clientélisme, refléchage, absence de dialogue
Lors de l’entretien de près d’une trentaine de minutes qu’elle nous a accordé le 2 juin et que nous retranscrivons ici, Sophie Rotkopf revient pour la première fois dans la presse, depuis le 22 avril, sur ces baisses de subventions. Accusations de clientélisme, utilisation de l’argent retiré, absence de dialogue avec les structures concernées par les baisses, la vice-présidente a livré ses réponses à toutes nos questions.
Pour rappel, depuis un mois et demi, c’est un milieu culturel fragilisé par deux ans de crise sanitaire qui vit au rythme des révélations dans la presse et notamment sur Lyon Capitale des baisses de subventions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes aux structures. Passé les premières coupes concernant l’Opéra de Lyon (- 500 000 €), la Villa Gillet (- 350 000 €), l’Institut Lumière (- 100 000 €) et les Biennales (- 253 000 €) dévoilées par Mme. Rotkopf fin avril, c’est ensuite une véritable douche froide qui s’est abattue sur tout le secteur culturel régional.
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4 millions d’euros de baisses en un mois
En un mois et demi, ce sont près de 140 structures, toutes filières confondues, qui ont vu leur subvention être baissée, voire parfois retirée, afin de permettre un "rééquilibrage" des ressources de la collectivité au sein des villes et villages des 12 départements et pas seulement des Métropoles. Pour la seule ville de Lyon, plus de 2 millions d’euros ont ainsi été retirés à une vingtaine de structures, sur un montant total de baisses évalué à 4 millions d’euros au niveau régional.
Les explications de la vice-présidente à la culture étaient donc très attendues, notamment par les acteurs du monde culturel qui trouveront ici de premiers éléments de réponse.
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Lyon Capitale. Un certain nombre de coupes de subventions ont été annoncées, les structures concernées dénoncent l’absence de dialogue en amont. Pourquoi ne pas avoir échangé avec les acteurs culturels ?
Sophie Rotkopf. "Nous les avons prévenus par voie de presse parce que c’était ce qui me paraissait le plus facile pour que tout le monde ait le même niveau d’information en même temps. Il y a aussi des phases par lesquelles il faut passer avant d’arriver à se mettre autour d’une table et dialoguer. Nous y arrivons, on va se mettre autour de la table et discuter avec eux, nous avons déjà commencé à le faire. On ne peut pas non plus me reprocher de ne pas discuter avec tous les acteurs en même temps, ce n’est pas possible. Je n’ai pas du tout fermé ma porte, c’est juste que je ne peux pas répondre partout et à tout le monde en même temps, mais le dialogue n’est pas rompu.
"Je n’ai pas du tout fermé ma porte, c’est juste que je ne peux pas répondre partout et à tout le monde en même temps, mais le dialogue n’est pas rompu", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Il y a ce que l’on entend et ce qu’il se passe dans la réalité. J’ai eu tout un tas de présidents de festivals au téléphone, j’ai eu Richard Brunel [le directeur de l’Opéra de Lyon, NDLR] avec qui j’échange notamment sur les projets que porte l’Opéra en direction des territoires. Il a bien compris ce que nous voulions faire et il est dans une démarche constructive avec nous.
On parle d’une baisse globale de près de 4 millions d’euros. Pourquoi maintenant ? Pour quoi faire ?
Il y a effectivement un certain nombre de subventions qui ont été diminuées par rapport à l’année précédente, mais nous sommes juste dans une période transitoire où nous avons acté un certain nombre de choses.
D’une part, il y a un refléchage vers des structures de territoires plus éloignés qui méritent tout autant le soutien régional et nous avons toute légitimité à en décider, en sachant que les niveaux de subventions sont encore très élevés notamment sur la Métropole Lyonnaise. Tout le monde fait le focus sur la suppression d’une partie des subventions, mais il ne faut pas minimiser ce que l’on verse. L’Opéra a une subvention de 2,3 millions d’euros qui reste la plus importante de toutes les subventions versées par la direction de la culture.
D’autre part, nous avons décidé d’arrêter de verser des subventions de fonctionnement de manière systématique, sans nous poser de question, tout ça parce que nous le faisions depuis 30 ans. Nous allons continuer de verser des subventions très importantes, mais en parallèle nous allons lancer des appels à projets, qui seront dévoilés à la rentrée, et les acteurs seront évidemment associés à cette réflexion.
Vous assumez donc complètement cette baisse de 4 millions d’euros ?
Oui !
Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples de projet que vous souhaitez soutenir ?
Pour l’instant non, parce que nous sommes en train d’y travailler. Je ne vais pas vous donner des hypothèses de travail. Mais l’idée générale c’est d’être sur du rayonnement régional, donc de soutenir des structures qui ont des projets spécifiques tournés vers des territoires hors métropoles qui, en général, sont peu pourvus en termes culturels. Je ne peux pas vous en dire plus sur des choses qui ne sont ni actées ni complètement ficelées.
"On ne juge pas la couleur politique de la ville qui héberge un événement. C’est complètement ridicule. On a simplement fait du reflechage depuis les Métropoles", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Vous parlez de rayonnement régional. Cela veut dire que pour vous la Villa Gillet, à qui vous avez supprimé votre aide, n’a pas un rayonnement régional assez fort pour bénéficier des soutiens de la Région ?
Aujourd’hui, c’est le constat que nous faisons, mais ils pourront bien évidemment répondre aux appels à projets que nous allons lancer et pour lesquels, je l'espère, ils rentreront dans les critères.
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Vous êtes revenue sur le retrait de votre subvention au Musée Urbain Tony Garnier, considérant sa mise en péril. Pourquoi ne pas faire de même pour la Villa Gillet ?
Le musée Tony Garnier avait une subvention assez modeste et il nous a vraiment démontré qu’ils étaient au bord du gouffre et qu’ils ne pourraient pas finir l’année si nous ne refléchions pas la subvention dans leur direction. Pour l’instant, je n’ai pas d’éléments financiers aussi probants de la part de la Villa Gillet. Nous y retravaillerons lorsque nous aurons des éléments un peu plus développés.
Très honnêtement, la raison pour laquelle nous avions supprimé notre subvention au musée Tony Garnier c’est que s’agissant d’un établissement excessivement urbain, très lyonnais et très métropolitain, situé dans un quartier de politique de la ville, du ressort de la Ville et de l’état, nous estimions que nous n’étions pas forcement en tête de ligne pour le financer.
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Au mois d’avril, vos services nous avaient assuré que les filières du cinéma, du livre et des arts plastiques ne seraient pas concernées par les baisses. On voit que ce n’est pas le cas. Qu’est-ce qui a changé en un mois ?
Non, non, il n’y a pas beaucoup de structures qui ont été touchées. Nous avons vraiment préservé ces filières-là et il y a lieu de le faire, je ne sais pas à quoi vous faites allusion.
À la Villa Gillet, pour le livre, la MAPRAA, pour les arts plastiques, l’Institut Lumière ou encore le festival des Inattendus pour le cinéma, par exemple …
Pour la Villa Gillet, son rayonnement est vraiment limité à la ville de Lyon et la Métropole comme je vous l’ai dit. Nous attendons des projets beaucoup plus tournés vers les territoires pour travailler avec eux, mais ça viendra je l’espère.
Pour la MAPRAA, ce n’est pas une volonté de ne pas soutenir les arts plastiques. Nous avons deux structures avec l'AC//RA [aussi installée à Lyon, NDLR] qui font exactement le même travail, mais de manière un peu différente, l’une d’elles m’intéressant plus que l’autre. Par ailleurs, l’une de ces structures a été financée à plus de 100 000 euros [MAPRAA, NDLR] et l’autre à 33 000 euros [l’AC//RA, NDLR]. Donc quand j’ai deux associations qui font la même chose et que l’une y arrive avec moins d’argent je suis pragmatique. La filière des arts plastiques est fragile, mais ce n’est pas la MAPRAA qui tient toute la filière à elle seule. Nous sommes aussi garants de la façon dont nous dépensons l’argent public. Il ne suffit pas d’être dans telle ou telle filière pour se dire on ouvre les vannes.
"Le plan de financement du musée des Tissus est déjà prévu depuis longtemps, il n’y a pas de liens entre les baisses et ce projet", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Vous pensez que ce refléchage vers les petites structures est audible lorsque l’on voit que la Région s’apprête à subventionner à hauteur de 500 000 euros le festival lyonnais Inversion, monté par le Lou Rugby (GL Events) et une filiale de Vivendi ?
Aujourd’hui, je suis vice-présidente de la culture et ce festival-là n’est pas dans mes lignes de festival [la subvention devrait être prélevée sur le budget communication de la Région, comme nous le révélions, NDLR]. Aujourd’hui, c’est de mon budget que nous discutons, mais très honnêtement c’est audible. Clairement, je pense que toutes les personnes qui signent des pétitions, qui pestent et râlent, si vous enlevez les micros et les caméras, elles auront l’honnêteté de vous dire que ce rééquilibrage, c’est du bon sens.
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Le rôle de la Région c’est aussi d’investir massivement, près de 60 millions d’euros, dans un projet comme le musée des Tissus ?
Évidemment. Dans ce musée des Tissus, nous avons 2 millions d’oeuvres inimitables et irremplaçables. Il y a des pièces qui ont plus de 4 000 ans, c’est un patrimoine international. C’est d’une valeur et d’une richesse inestimable, nous n’allions pas laisser tout ça être éparpillé pour laisser un ensemble immobilier s’installer. C’est aussi de la responsabilité de la Région de sauver un musée aussi prestigieux que celui du musée des Tissus. Le plan de financement du musée des Tissus est déjà prévu depuis longtemps, il n’y a pas de liens entre les baisses et ce projet.
"Je ne m’attendais pas à de telles réactions", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Votre opposition vous accuse de faire du clientélisme au profit de villes de droite et de couper largement dans les structures des villes de gauche…
C’est de la politique politicienne qui ne fait pas avancer les choses. Une de mes plus grandes lignes de subventions c’est EuropaVox à Clermont-Ferrand [une ville détenue par le PS, NDLR] et je ne suis pas convaincue qu’Olivier Bianchi [le maire, NDLR] soit de droite, mais peut-être… Honnêtement, c’est une accusation qui est facile et franchement je n’ai rien à répondre parce que nous ne jugeons pas la couleur politique de la ville qui héberge un événement. C’est complètement ridicule. Nous avons simplement fait du refléchage depuis les Métropoles. Il est possible de faire dire ce que l’on veut à des statistiques, à un sondage… Je n’ai aucun problème pour vous sortir la liste des villes de gauche où nous avons maintenu des subventions !
Est-ce que vous vous attendez à une telle levée de boucliers de la part d’élus, mais aussi de dirigeants de structures concernées. Des mots très forts ont été prononcés.
Je ne peux pas vous dire que lorsqu’on baisse des subventions à des structures on s’attende à ce qu’elles sautent de joie. Mais je ne m’attendais pas à de telles réactions, dans le sens où je pensais que c’était de bon sens et que tout le monde entendrait qu’à un moment donné un rééquilibrage et un changement de méthode peuvent s’entendre. Honnêtement, je pense qu’un certain nombre de directeurs et responsables de structures culturelles sont eux-mêmes très surpris de la réaction de leur propre milieu. Il leur apparaît qu’il n’était pas automatique de verser des subventions les yeux fermés chaque année.
"Les appels à projets sont faits pour réabonder au budget de ces structures donc oui elles pourront retrouver en partie ces subventions, mais je ne peux pas vous dire ce que chacun aura", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Ces réactions vous ont amené à vous interroger sur le bien-fondé de ces baisses et de ce rééquilibrage ?
Non. Je pense qu’il y a de la pédagogie à faire. Il faut nous laisser travailler et c’est au bout que l’on arrivera à juger de l’ensemble du travail qui est fait. Nous travaillons sur des appels à projets et de nouveaux dispositifs, ça ne fait pas un an que nous avons été élus. J’ai pris la mesure de ce qui, dans mon esprit, il allait falloir faire pour que l’on ait une meilleure efficience et que les subventions soient mieux réparties. Je continue à penser que l’on a de petites structures dans de petits territoires dont les communes n’ont pas les moyens de les aider à grandir et ça, c’est le rôle de la Région.
D’autres baisses pourraient être annoncées lors de prochaines commissions ?
Nous avons déjà passé une grande partie des subventions, donc pour l’instant, a priori, nous n’avons pas de baisses conséquentes à annoncer.
"Je veux bien que l’on dialogue, mais dans l’apaisement, dans la sérénité pas dans l’agressivité et pas avec le couteau sous la gorge", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture
Est-ce que l’année prochaine certaines structures pourront retrouver les subventions perdues ?
Aujourd’hui, je suis sur un budget 2022 [de 61 millions d’euros, NDLR] qui a été voté et qui sera reconduit en 2023 puisque nous l’avons sanctuarisé. Mais tant que je n’ai pas complètement défini les appels à projets tels que je les vois, je ne peux pas vous répondre. Les appels à projets sont faits pour réabonder au budget de ces structures donc oui elles pourront retrouver en partie ces subventions, mais je ne peux pas vous dire ce que chacun aura.
La semaine prochaine plusieurs syndicats et représentants de structures vont manifester devant le siège de la Région en demandant à être reçus. Est-ce que vous avez prévu de les entendre ?
Pour l’instant, je ne sais pas du tout, d’abord parce que c’est une journée où je ne suis pas à la Région et parce que je n’aime pas tellement cette façon de faire. Je veux bien que l’on dialogue, mais dans l’apaisement, dans la sérénité pas dans l’agressivité et pas avec le couteau sous la gorge. Je ne suis pas d’accord ! Je discute très librement avec certaines structures qui ont connu des baisses, parce qu’elles ont compris que nous étions toujours là pour elles même si on change un peu notre fusil d’épaule."
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POUR ALLER PLUS LOIN
Depuis les premières baisses annoncées par la Région, Lyon Capitale a écrit de nombreux articles sur ce sujet à retrouver ci-dessous.
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toujours plus difficile de dire non, alors que les prédécesseurs disaient oui, mais c'est de l'argent public une bonne gestion c'est aussi regarder où il va, ne pas donner exagérément aux grosses structures de la Métropole au détriment des petites structures alentour. Le Terme Culture fait penser à écologie qui voudrait justifier toutes les décisions mêmes les plus contestables.
Je ne m’attendais pas à de telles réactions", Sophie Rotkopf, vice-présidente de la Région à la culture.
Comme d'autres, y compris les électeurs.trices, elle découvre se qui se cache sous les slogans écologistes.
Il n'est jamais trop tard !