Exclusif. Trois nouveaux cas de bébés nés sans bras près de l’étang de Berre, à Marseille, ont été identifiés.
Il y a quelques jours, une généticienne qui travaille au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal de l’hôpital de la Timone, à Marseille, a contacté le Remera (Registre des malformations en Rhône-Alpes) et sa directrice Emmanuelle Amar, qui a dévoilé l'affaire des “bébés sans bras” dans l’Ain et en est, aujourd'hui, l'incarnation.
La raison de cet appel : des soupçons de cluster (c’est-à-dire de “regroupement inhabituel d’un problème de santé dans un espace géographique et dans une période de temps donnés”) de malformations congénitales autour de Marseille.
Faute d'un réseau de surveillance de telles anomalies sur place (il n'existe que six registres en France, qui ne couvrent que 20% de la population*), Emmanuelle Amar a fait le déplacement sur place pour voir ce qu'il en était.
Un premier signalement avait été donné en 2016 par un couple marseillais, qui pensait être seul dans cette situation. Mais l'écho donné au scandale des “bébés sans bras” par les médias (dont Lyon Capitale a été aux avants-postes) a permis de faire remonter à la surface d'autres cas, alors restés isolés.
En cinq mois, au cours de l'année 2016, trois cas d’enfants porteurs de la même malformation – une agénésie transverse du membre supérieur (ATMS), c’est-à-dire l’absence ou l’atrophie de certains organes au niveau de l’épaule, du coude ou du poignet, due à un arrêt dans le développement embryonnaire – ont été recensés dans un rayon limité, à proximité de l'étang de Berre. “Sur un dénominateur de 27 500 naissances dans les Bouches-du-Rhône, le numérateur est déjà de 3 naissances sur 5 mois dans une zone très réduite. Et il y en a peut-être d'autres.”
Pour l'heure, le Remera doit scrupuleusement analyser ces trois cas d'enfants nés avec une anomalie, “car ce n'est pas parce qu'on a des cas groupés qu'on a automatiquement un excès de cas”, prévient Emmanuelle Amar.
L'eau, vecteur incriminé
La zone où cet agrégat de malformations a été signalé interroge : l'étang de Berre. 200 usines emploient 40 000 personnes dans l'ouest de la zone. Il s'agit d'industries “lourdes”, des raffineries, des dépôts pétroliers, une immense aciérie (ArcelorMittal), des usines métallurgiques et pétrochimiques. Début 2017, une étude révélait qu’il y avait deux fois plus de cas de cancer, de diabète et d’asthme à Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône qu’ailleurs en France. Au printemps dernier, une autre étude concluait que les dioxines, le benzène et le plomb se retrouvaient en plus grande quantité dans l'organisme des habitants de la région. Autre révélation : la consommation de produits locaux pouvait être dangereuse pour la santé.
Aujourd'hui, le seul point commun entre les mères de bébés nés avec une ATMS est de vivre en zone rurale, au milieu de champs de maïs ou de tournesol.
D'après plusieurs scientifiques qui se sont adressés au Remera, l'eau pourrait être le dénominateur commun aux 16 cas de “bébés sans bras” officiellement reconnus en France par le Remera. “On a une petite hypothèse qu'il faudra creuser. Il y a trois choses : la substance responsable de ces anomalies, le réservoir et son vecteur, détaille Emmanuelle Amar. Pour la substance, on pense vraiment à une cause environnementale. Ça peut être un herbicide, un insecticide, un fongicide, un agent de traitement quelconque. Soit il s’agit d’une substance chimique inconnue, soit un cocktail de substances dont on ignore l’effet tératogène, c’est-à-dire que des substances qui individuellement ne sont pas tératogènes le deviennent quand elles sont mélangées à d’autres. Pour le moment, on ne sait pas. Pour le réservoir, on a la Bretagne, la Loire-Atlantique, l'Ain et peut-être les Bouches-du-Rhône . Quant au vecteur, plusieurs scientifiques de l'eau ont laissé supposer que ce pouvait être l'eau qui véhiculerait la substance.”
Dans les semaines qui viennent, une réunion est programmée entre le Remera et les autorités sanitaires (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et Santé Publique France) sévèrement chargées par la ministre de la Santé, de “relancer une enquête, pour voir si leurs regards croisés entre les médecins purs et durs de SPF et des personnes qui connaissent mieux l'environnement trouveront une cause”.
* Paris, Lyon, en Auvergne, en Bretagne, aux Antilles et à la Réunion.
Pour aller plus loin : La syncope de la sécurité sanitaire française.
“Il y a des pressions sur la santé publique” – Emmanuelle Amar