Emma Chaumette, directrice de la crèche lyonnaise Pierre et le Loup, et Rokhayatou Seck, salariée depuis septembre 2024. (@NB)

"Ça me rend folle" : quand la galère d'une salariée pour renouveler un titre de séjour se répercute sur son employeur

Arrivée sur le sol français en 2020, Rokhayatou Seck collectionne les récépissés de titres de séjour. Une situation embarrassante vis-à-vis de la crèche qui l'emploie à Lyon, malgré le soutien de sa directrice.

Sourire jusqu'aux oreilles, Rokhayatou Seck observe notre arrivée dans les locaux de la crèche associative Pierre et le Loup, au cœur de l’hôpital privé Jean-Mermoz à Lyon. Elle prendra place aux côtés de sa directrice, souriante, toujours. Au moment de raconter son histoire, pourtant, sa voix s'entremêle entre désespoir et impuissance. "Je ne sais plus comment faire. Il faut être costaud pour vivre ça", avoue la Sénégalaise d'origine, arrivée en France en 2020 pour y retrouver son mari, quant à lui Français.

Depuis maintenant plus d'un an, son titre de séjour est expiré. Un précieux sésame qu'elle avait pourtant obtenu en 2020 au titre du "regroupement familial", puis en 2022. Quand il a fallu anticiper son expiration et en demander un nouveau, deux ans plus tard en novembre 2023, Rokhayatou Seck a vite déchanté. Plutôt qu'un renouvellement, elle s'est vue octroyer un récépissé de titre de séjour - un document valable pendant 3 mois dans son cas et qui l'autorise à séjourner et à travailler en France.

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Des récépissés qui s'accumulent

Un titre à renouveler tous les 3 mois, donc, pendant que sa demande de renouvellement de titre de séjour est toujours en attente. "Regardez, s'exclame-t-elle en pointant du doigt son téléphone. C'est tous les récépissés que j'ai reçus depuis décembre 2023... Voilà, ça c'est ma vie". De plus, ces documents temporaires peuvent parfois mettre du temps à arriver. Concrètement, du 12 décembre 2024 jusqu'au 27 février dernier, l'éducatrice n'avait plus aucun document l'autorisant à séjourner sur le territoire français.

"D'un point de vue légal, je n'étais pas rassurée. Rokhayatou est en CDD jusqu'à fin mars, on n'était pas dans quelque chose qui puisse mettre à mal l'association, heureusement", assume la directrice de la crèche, Emma Chaumette. Et d'ajouter : "On a juste une bouffée d'oxygène jusqu'au 27 mai 2025, il n'y a rien d'acquis". Une situation d'autant plus embarrassante que la directrice de la crèche devrait voir se libérer une place en CDI prochainement.

Contrat qu'elle se verrait bien offrir à Rokhayatou Seck. "Le CDD, il n'y avait pas d'engagement. Si son récépissé ou titre de séjour n'était pas renouvelé, on se serait arrêté. Mais pour le CDI, ce serait prendre un trop grand risque. Je ne peux pas la positionner dessus. Embaucher quelqu'un en CDI qui n'a pas de titre de séjour, c'est impossible. Ça me rend folle, c'est affreux d'être dans cette situation", s'agace la directrice, pourtant plus que ravie du travail proposé par sa salariée, diplômée à l'été 2024 d'un CAP petite enfance, après avoir travaillé en tant qu'animatrice dans des groupes scolaires lyonnais depuis son arrivée en France.

Une pénurie de personnel dans les crèches lyonnaises
"Déjà que nous avons du mal à trouver des professionnels..." Pour Emma Chaumette, directrice de la crèche située au cœur de l’hôpital privé Jean-Mermoz à Lyon (8e arr.), cette situation est d'autant plus compliquée à vivre que les crèches peinent à recruter. Aussi bien des éducatrices que des auxiliaires de puériculture (AP). "Sur 100 AP formées dans la région, 50 retournent dans leur région d'origine et le reste va travailler dans les hôpitaux", explique-t-elle. "On manque de diplômés qui sortent des écoles. C'est un fait : on ne pourra jamais résoudre une pénurie si vous n'avez pas assez de monde à la source qui vient évidemment remplir les postes qui sont aujourd'hui vacants", assurait Steven Vasselin adjoint à la Ville de Lyon en charge de la petite enfance, en novembre 2024 dans l'émission 6 minutes chrono.

Droits sociaux et permis de conduire bloqués

Au-delà de son activité professionnelle, où elle reçoit un soutien indéfectible de sa nouvelle directrice et de ses collègues, la Sénégalaise vit un calvaire au quotidien. Maman d'un jeune garçon de 5 ans, en situation de handicap, elle s'est récemment vu refuser des soins médicaux pour son fils. "Humiliant, c'est le mot", lâche celle qui a finalement dû couvrir les soins médicaux de son fils grâce à la sécurité sociale de son mari, qui détient lui la nationalité française.

Par ailleurs, Rokhayatou Seck se voit bloquer l'accès au permis de conduire. Malgré l'obtention du code et des heures de conduite effectuées, le passage à l'examen n'est pas possible avec le récépissé. "Il faut le titre de séjour, je suis bloquée de partout", maintient-elle. De même pour accéder à son Compte personnel de formation (CPF), pour lequel il faut présenter un titre de séjour de plus cinq ans.


Emma Chaumette, directrice de la crèche Pierre et le Loup


Sollicitée par Lyon Capitale en mai 2023 sur la question, la préfecture du Rhône rappelait que 35 000 à 40 000 titres de séjour sont délivrés chaque année et que 1 000 usagers sont reçus chaque jour à la Direction des migrations et de l'intégration de la préfecture du Rhône. À ce titre, la dématérialisation de ces demandes a nettement été multipliée. La Sénégalaise Rokhayatou Seck s'était justement vu annuler son rendez-vous en préfecture début 2024 pour sa demande de renouvellement de titre de séjour... La préfecture indiquant qu'il fallait désormais la réaliser en ligne.

Lire aussi : La préfecture du Rhône dément l'annulation de 3 200 demandes de titres de séjour

Plus récemment encore, les services préfectoraux faisaient savoir à Lyon Capitale que "la mise en œuvre d’un processus d’instruction plus rapide et efficace prenant en compte les dates d’échéance des titres" était en cours. Et que celui-ci implique "de demander tout de suite plus de documents pour éviter les erreurs ou dossiers incomplets et réduire les allers-retours avec l'administration".

Toujours dans l'attente de son nouveau titre de séjour, et alors que sa demande de nationalité française est aussi en cours, Rokhayatou Seck continue méticuleusement son travail auprès des 27 enfants accueillis quotidiennement dans la crèche Pierre et le Loup. "Avec un sentiment de fragilité, comme si elle avait un couperet au-dessus de la tête", illustre enfin sa directrice.

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