Chauffage urbain : Collomb empêtré dans un "marché pipé"

MARCHÉS PUBLICS – Le tribunal administratif vient de condamner le Grand Lyon à payer plus de 6 millions d'euros à une société lésée dans le marché public du chauffage. Une affaire de "marchés pipés" qui empoisonne Gérard Collomb depuis 2005.

À droite, le siège de la société Dalkia à Lyon (3e arr.) et la cheminée du chauffage urbain.

Le scandale du chauffage urbain de Lyon et Villeurbanne revient sur le devant de la scène. Sur fond d'irrégularités dans la passation de ce marché public de plus de 500 millions d'euros, l'affaire embarrasse Gérard Collomb, président du Grand Lyon, depuis plusieurs années. Déjà condamnée de multiples fois, la communauté urbaine de Lyon vient de se voir ordonner le paiement de 6,35 millions d'euros à la société Enerpart, par le tribunal administratif de Lyon. À cette somme, il faudra ajouter les intérêts qui courent depuis mars 2009, dont le chiffrage s'élèverait à un peu plus de 300 000 euros selon nos propres calculs.

68 millions

Enerpart, mandataire d'un groupement d'entreprises formé avec les sociétés SEEM et ASM Brescia, avait été écarté en 2004 dans l'attribution du marché du chauffage urbain, qui avait été remporté illégalement par Dalkia, une filiale de Veolia. Dalkia détenait déjà le marché. Le sortant a été reconduit au prix de plusieurs irrégularités dans la passation du marché. Dès 2005 en effet la justice avait cassé cet appel d'offres, considérant que le Grand Lyon avait violé notamment le principe d'égalité entre les candidats en modifiant à la dernière minute le dossier d'appel d'offres. Et c'est Dalkia qui en avait été avantagé puisque c'est à sa demande que le marché avait été modifié. En tant que précédent délégataire, une filiale de Dalkia, qui s'appelait alors Prodith, avait en effet annoncé au Grand Lyon qu'un groupe frigorifique ne serait pas remplacé au terme de la délégation. Dalkia avait alors utilisé cette information dans sa réponse.

Outre cet élément, près de 14 autres irrégularités ont été présentées devant les juridictions administratives : de la rétention d'information, des défauts de publication de l'avis d'appel à concurrence, des fautes de procédure... Dans un jugement de juin 2006 de la cour administrative d'appel de Lyon, il est par exemple noté que "des personnes n'ayant ni voix délibérative ni voix consultative ont assisté aux séances d'examen des candidatures et d'analyse des offres de la commission de délégation de service public". La présence de ces "personnes" ne finit pas d'intriguer.

Mais, le marché public ayant été annulé par la justice administrative, Dalkia a estimé qu'elle pouvait elle aussi se retourner contre le Grand Lyon. C'est ce que la société a fait en 2009, en réclamant plus de 68 millions d'euros. Le 22 octobre 2009, le tribunal administratif de Lyon ordonnait une expertise pour déterminer le montant du préjudice qu'aurait eu à subir Dalkia. Cette expertise est toujours en cours, trois ans après... Avec un paradoxe : au final le Grand Lyon pourrait indemniser à la fois la société qui a été illégalement lésée par ce marché "pipé" et – encore plus lourdement sans doute – celle qui a été privilégiée !

Marchés pipés

Ces décisions de justice confirment que la gestion de ce dossier du chauffage urbain par Gérard Collomb et ses équipes confine au fiasco. Car surtout elles annoncent que l'affaire risque de coûter cher au final aux contribuables. Ce marché du chauffage urbain a été pointé comme "pipé" par Lyon Capitale dès 2005, ce qui avait provoqué la colère noire du maire de Lyon qui avait alors tenté d’asphyxier économiquement le journal en ordonnant notamment à tous les organismes culturels recevant des subventions de la mairie d’arrêter d’annoncer leurs spectacles dans Lyon Capitale (beaucoup ont refusé d’obéir)… À l'époque, Patrick Bertrand, ex-vice-président en charge des marchés publics, démissionnait de son poste en dénonçant des "marchés pipés" dans nos colonnes.

Il nous confiait alors : "Collomb m’a soutenu, au départ. Sur le marché du chauffage, j’ai alors donné ma parole d’honneur aux candidats que la concurrence serait vraie et loyale. Que le marché serait réellement ouvert. On a pu ainsi obtenir un énorme rabais de 30 %, qui prouvait que le sortant – Prodith (filiale de Dalkia) – nous avait menti pendant des années, puisqu’il prétendait n’avoir une rentabilité que de 5 % environ... Moralement, rien que pour ça, on aurait dû l’écarter, d’autant que leur projet pose des problèmes en matière d’environnement. On avait d’autres solutions plus intéressantes. Mais, au final, Prodith a été reconduit à travers sa maison mère. Contre mon avis. Collomb a argué qu’il était plus prudent de garder le sortant, qui connaît l’outil industriel."

Illégal depuis plus de 40 ans

Depuis 2005, cette affaire du chauffage urbain revient donc inlassablement au rythme des décisions de justice qui toutes confirment que la communauté urbaine a fauté. En attendant de sortir le carnet de chèques pour indemniser Enerpart et, un jour sans doute, Dalkia, qui réclame plus de 68 millions d'euros, le contrat du chauffage urbain de Lyon et Villeurbanne est illégal. Des conventions de gestion provisoires sont signées avec Dalkia afin d'assurer la continuité du service. Mais ce marché est hors la loi depuis son origine dans les années 1970.

La communauté urbaine était à l'époque incompétente pour signer ce type de contrat. C'est Gérard Collomb, lorsqu'il arrive au pouvoir au début des années 2000, qui décide de mettre de l'ordre. En 2002, il ordonne un audit sur la gestion du marché du chauffage et relance le marché. Une démarche utile à mettre à son actif, qui a permis de faire baisser les prix. Sauf qu’au final il n’a apparemment pas résisté à la tentation de choisir "son" candidat, en fonction de critères qui n’étaient pas inscrits dans l’appel d’offres… Et c’est le contribuable qui réglera l’addition. Le Grand Lyon n'a pas souhaité répondre à nos questions. Quant aux avocats d'Enerpart, ils n'ont pas répondu à nos sollicitations.

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