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Clinatec : la clinique de tous les fantasmes

Partenariat Lyon Capitale - École de journalisme de Grenoble
Aujourd'hui, la 3e enquête réalisée par des étudiants de M2 de l'EJDG (ICM/Université Stendhal-Grenoble 3). Supervisés par un journaliste de Lyon Capitale, ils ont choisi des sujets complexes et mené librement leur enquête pendant plusieurs semaines.

Cas unique au monde, une clinique grenobloise réunit médecins, physiciens et ingénieurs pour mettre en place des dispositifs destinés à soigner les maladies cérébrales et neuro-dégénératives utilisant les micro- et nano-technologies. Particulièrement discrète sur ses recherches bien qu’affichant des objectifs qui pourraient révolutionner la médecine, Clinatec suscite autant de fantasmes que de critiques.

Définie comme une “plateforme multimodale de recherche technologique”, Clinatec travaille à la mise en place de dispositifs dans le domaine des maladies cérébrales et neuro-dégénératives grâce aux micro-nanotechnologies. Les programmes de recherche sont pour le moins spectaculaires : le plus emblématique, baptisé “interface cerveau-machine”, pourrait à terme permettre à un tétraplégique d’“actionner une prothèse par la pensée”. Utilisé avec un exosquelette, ce processus permettrait même à une personne paralysée des quatre membres de remarcher.

La plateforme dispose depuis le 16 avril 2012 de l’aval de l’agence régionale de santé en tant que “lieu de recherches biomédicales dédiées aux applications des micro-nanotechnologies à la médecine”. Les recherches biomédicales doivent cependant être entreprises dans l’année, sous peine de rendre cette autorisation caduque, peut-on lire dans l’arrêté. Pour réaliser ce qui, sur le papier, semble relever du fantasme transhumaniste, Clinatec réunit sur un même site médecins, physiciens et ingénieurs pour mettre au point ces dispositifs, relevant autant des compétences de l’électronicien que du neurochirurgien.

Une clinique hors milieu hospitalier

Piloté par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), un des principaux centres de recherche sur les nanotechnologies européens, par le biais du Leti (Laboratoire d’électronique et de technologies de l’information), Clinatec est un cas unique au monde. Ses dispositifs sont mis au point et testés sur le même site, contrairement au Caltech ou au MIT, centres de recherche américains leaders dans le domaine des nanotechnologies mais ne disposant pas de clinique dédiée. Ce projet résulte d’un partenariat avec l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et l’université Joseph-Fourier pour la recherche, et surtout avec le CHU de Grenoble pour les essais cliniques.

À en croire François Berger, le directeur de Clinatec, ces essais cliniques auraient commencé depuis plusieurs mois, d’abord sur des animaux (singes et cochons) et, plus récemment, sur des patients volontaires. “Nous voulons décloisonner la recherche, la sortir de l’ornière où elle invente des choses géniales qui ne sont pas transformées en dispositifs médicaux, et ne servent donc pas à soigner les malades”, explique-t-il dans une interview accordée à la revue XXI (n°21, hiver 2013).

Par “dispositifs médicaux”, comprenez processus industrialisés, à l’instar du fameux brain pacemaker utilisé dans les maladies neuro-dégénératives type Parkinson, mis au point par le professeur Alim-Louis Benabid, membre de l’Académie des sciences et un des concepteurs de Clinatec. Ce dispositif, qui se présente sous la forme d’un boîtier comprenant des électrodes, utilise la technique dite de “neurostimulation profonde”, mise au point dès 1987. Il aurait déjà été implanté chez 40 000 patients. “Cette technique est une réussite extraordinaire [...] On peut cependant regretter l’absence d’une base de données recensant les effets secondaires (...) telles que des chutes imprévisibles et des difficultés d’élocution très invalidantes”, avait confié la directrice de France Parkinson, Mathilde Laederich, dans une interview accordée à l’AFP en octobre dernier. Il est aujourd’hui commercialisé par la société américaine Medtronic. Parmi les axes de recherche principaux de Clinatec, figurent la réduction et l’amélioration des performances de ces boîtiers.

Dans les tuyaux également, le projet “Interface-Biomarqueur”, qui entend améliorer les “outils diagnostiques à l’interface tissulaire”, grâce à des puces en silicium. Concrètement, il s’agit de trouver une alternative à la biopsie du cerveau, pratique très délicate présentant des risques importants de lésion cérébrale irréversible. Les nanotechnologies seraient aussi un éventuel moyen de limiter les traitements médicamenteux pour les personnes atteintes d’affections neuro-dégénératives, en implantant une puce permettant l’administration localisée de médicaments, directement dans le cerveau, grâce à une micropompe en silicium Delice.

L’avènement du “cyborg” ?

Extrêmement discrète sur son activité, la clinique n’a jamais été officiellement inaugurée, laissant ainsi la quasi-exclusivité de la communication à ses opposants. Ainsi, pour l’Union syndicale de la psychiatrie, “la création de Clinatec constitue manifestement un pas de plus dans une fuite en avant techno-scientiste qui n’a d’autre finalité que de contrôler les populations, en réduisant l’homme à son cerveau, à son comportement, à son utilité, à sa docilité”, rapporte Bastamag.

De son côté, le collectif Pièces et Main d’Œuvre (PMO) pointe du doigt l’“intrusion du pouvoir médical et politique dans notre for intérieur (espionnage, détection des intentions, décryptage des sentiments, reconnaissance de la “pensée”)”, dans une enquête intitulée “Clinatec : le laboratoire de la contrainte”, publiée en septembre 2011.

Outre l’opacité ressentie par les opposants, c’est bien l’aspect éthique de ces recherches qui est ainsi soulevé, et ce au-delà du mouvement anti-nanotechnologies. Différentes institutions mettent en garde contre les problèmes éthiques posés par les neurosciences, à l’image du Groupe européen d’éthique alertant sur des “technologies capables à la fois de réparer et d’améliorer le corps” mais “qui pourraient modifier et étendre le concept des soins au corps et annoncer l’avènement du “cyborg” – soit du corps post-humain”.

Dans son avis n°96, daté de 2007, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qualifiait de son côté les nanotechnologies de “révolution technologique en attente, peut-être, d’une révolution scientifique, d’une discipline qui se présente comme une science alors qu’elle est pour l’instant essentiellement une avancée remarquable de nature technologique”. En cause, notamment, la part infime du budget R&D consacrée aux risques éventuels pour la santé, et la volonté de produire et diffuser des applications avant même “de les étudier et de les comprendre”. Le “manque apparent de publications et d’information sur les progrès de la recherche fondamentale dans ce domaine pose un problème éthique”, concluait le CCNE, exigeant “un développement de la recherche fondamentale en amont, et pas simplement en aval, des applications techniques”.

Fin 2009, la Commission nationale du débat public (CNDP) a organisé un débat national sur les nanotechnologies et leurs usages. Ce débat fut largement boycotté et perturbé par des mouvements d’opposition. À Grenoble, il n’a pu avoir lieu. La faute à des “perturbateurs”, peut-on lire dans le compte rendu du débat. Philippe Deslandes, le président de la CNDP, admet cependant que “les reproches qui sont adressés [aux nanotechnologies] sont nombreux et n’émanent pas exclusivement, et de loin, du seul cercle de ses opposants les plus radicaux”.

De l’argent public à destination de laboratoires privés

En septembre 2009, le groupe Écologie et Solidarité, qui regroupe les élus Europe Écologie-Les Verts, l’Ades (Association Démocratie, Écologie et Solidarité) et les Alternatifs au conseil municipal de Grenoble, a publié une autre enquête, intitulée “Clinatec, la santé publique classée secret industriel”. S’ils ne se disent pas hostiles au principe des nanotechnologies, ses auteurs s’inquiètent du secret industriel qui entoure Clinatec. Ils accusent par exemple la municipalité et le préfet de l’Isère d’avoir refusé de transmettre les documents administratifs relatifs à Clinatec aux élus qui en ont fait la demande.

Dans un avis du 11 décembre 2008, la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) avait d’ailleurs jugé que les documents demandés par Raymond Avrillier, alors conseiller municipal d’opposition, au préfet de l’Isère étaient “communicables de plein droit”. L’ancien adjoint au maire de Grenoble avait notamment demandé à consulter les décisions du CHU de Grenoble et de l’université Joseph-Fourier concernant le projet Clinatec, le dossier de demande d’autorisation du projet ainsi que les documents transmis aux services de l’État et leurs avis concernant l’inscription de l’opération Minatec-Clinatec au volet Recherche du contrat de projet État-région 2007-2013.

Ce manque de transparence, aux yeux de ses opposants, pose la question du financement et de la gouvernance de Clinatec, auquel le contrat de projet État-région 2007-2013 a octroyé 20 millions d’euros (3,55 millions de l’État, 8,1 millions de la région, 3,85 millions du département, 2,3 millions de la communauté d'agglo et 2,2 millions de la Ville de Grenoble). Problème, le CEA en assurait la maîtrise d’ouvrage*, mais n’a financé que 800 000 euros. Or, comme le dispose la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, “le maître de l’ouvrage est la personne morale, mentionnée à l’article premier, pour laquelle l’ouvrage est construit. Responsable principal de l’ouvrage, il remplit dans ce rôle une fonction d’intérêt général dont il ne peut se démettre”. Il lui appartient notamment d’“en assurer le financement”.

“Le CEA contourne cette loi en se présentant comme non soumis au Code des marchés publics puisque organisme de droit public classé défense”, affirme Raymond Avrillier, en déplorant qu’à ce titre il ne soit “pas tenu de rendre publics les marchés qu’il passe”.

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Le rappel à l’ordre de l’ASN

Au-delà de son financement, la gouvernance de Clinatec, dont le pilotage est assuré par le CEA mais dont la partie “médicale” revient au CHU, suscite aussi la confusion. Elle a été soulevée récemment par l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), qui a adressé à François Berger un courrier* (daté du 8 février 2013) à la suite d’une inspection effectuée le 17 janvier.

Tout en notant un “respect globalement satisfaisant de la réglementation”, notamment sur l’exposition des patients et des salariés aux rayonnements ionisants, l’ASN déplore que la convention signée entre le CEA et le CHU ne soit “pas suffisamment explicite sur la répartition des responsabilités et des actions à réaliser entre les deux parties prenantes”.

“Il convient de clarifier quelle entité planifie, organise, suit et finance la maintenance des équipements”, poursuit l’ASN, qui conclut en demandant au directeur de Clinatec, François Berger, de “compléter la convention entre le CHU de Grenoble et le CEA afin de clarifier le rôle et les actions à réaliser par chacune des parties prenantes afin de répondre aux exigences réglementaires du Code de la santé publique et du Code du travail”.

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