Jean-François Carenco © Tim Douet

Comme Jouanno, l'ex-préfet du Rhône président d'autorité très bien payé

Jean-François Carenco touche 200.000 euros bruts annuels pour son poste de président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Des émoluments qui font de l'ancien préfet du Rhône le quatrième président d'une autorité administrative indépendante le mieux payé, loin devant Chantal Jouanno.

La préfecture du Rhône s'apparente décidément à un marche-pied royal. Connu à Lyon pour la création de la métropole, Jean-François Carenco, préfet du Rhône de 2010 à 2015 – avant de partir à Paris, selon le chemin désormais habituel –, est aujourd'hui à la tête de la CRE, la Commission de régulation de l'énergie. Il a été nommé en février 2017 à ce poste, qu'il a sollicité alors qu'il avait atteint la limite d'âge pour les carrières préfectorales, fixée à 65 ans. Président de la CRE, pas très prestigieux pour un haut fonctionnaire aux compétences reconnues, peut-on songer de prime abord. Mais c'est sans compter la rémunération du poste. Depuis quatre ans, Jean-François Carenco touche 200.000 euros bruts chaque année, selon le salaire fixé par décret. Une information publique, tout comme la rémunération des autres présidents des 26 autorités administratives indépendantes (consultable ici).

Plus de 16.000 euros bruts mensuels donc (soit 1000 de plus que le président de la République), qui font de M. Carenco le 4e président d'une autorité administrative indépendante le mieux payé, devant Chantal Jouanno (8e). Sa rémunération représente près de 1% du budget de l'organisme qu'il préside. "Les hauts niveaux de rémunération pratiqués à la CRE, assez éloignés de la grille salariale pratiquée dans la fonction publique, sont justifiés, selon l’autorité, par la concurrence du secteur privé", notait la Cour des Comptes dans son rapport de 2018 (lire ici). Le service presse de la Commission de régulation de l'énergie nous a précisé que son président ne cumulait aucune pension retraite avec cette rémunération. Nous avons demandé à parler à l'ancien préfet du Rhône et devions être mis en contact, mais cela n'a pas été fait à l'heure où nous écrivons ces lignes. "La CRE est une autorité publique indépendante qui gère la surveillance des marchés de l'électricité et du gaz, et qui assure l'indépendance des réseaux d'électricité et de gaz, pour accompagner la construction du marché européen de l'énergie", a expliqué une communicante de l'organisme à Lyon Capitale, soulignant que la CRE audite à ce titre "plusieurs milliards d'euros".

De 18.000 à 238.000 euros annuels

Les émoluments des présidents des 26 autorités administratives indépendantes sont très disparates, variant de 18.000 à 238.000 euros, soit un facteur de 1 à 13. "Les éléments de la rémunération varient selon que le président d’une autorité indépendante exerce ses fonctions à temps complet, à temps non complet ou après avoir été admis à la retraite", expliquait la Cour des comptes dans son rapport de 2018. Le champion est Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Il touche 238.000 euros bruts annuels. Ce qui ne représente pourtant que 0,18% du budget de l'organisme qu'il dirige. Lequel se finance sur ses ressources propres, puisqu'il gagne beaucoup d'argent. "L’AMF perçoit le produit des droits et contributions versés par les acteurs soumis à son contrôle, ce qui lui permet de disposer de l’autonomie financière", précise le Rapport sur les autorités administratives et publiques indépendantes publié en annexe au projet de loi de finances (voir ici). À l'inverse, la présidente de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), Élisabeth Flüry-Herard, avec ses 18.000 euros annuels, est la moins payée de ces présidents d'autorités administratives indépendantes.

Côté Lyonnais, on remarquera aussi que Jean-Louis Nadal, procureur général près la cour d'appel de Lyon au début des années 1990, est aujourd'hui président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), pour une rémunération annuelle de 96.000 euros. Cette figure est bien connue des Lyonnais pour avoir géré deux importantes affaires politico-financières – les affaires "Botton" et "Dauphiné", dont la première avait abouti à la condamnation de Michel Noir et la seconde impliquait Edouard Balladur et Alain Carignon. On retrouve une autre personnalité locale à la tête du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), depuis 2015. Un temps professeur à l'École normale de Lyon, le spécialiste grenoblois des algorithmes Michel Cosnard touche 157.000 euros par an pour présider cet organisme.

"Missions d'utilité publique"

La Cour des comptes s'était penchée sur la situation financière de ces autorités administratives indépendantes dans son dernier rapport. Et prônait des évolutions. "S’agissant du niveau et de la cohérence des rémunérations des dirigeants, un rapprochement avec le dispositif d’encadrement de la rémunération des dirigeants des établissements publics administratifs de l’État serait souhaitable, dans le respect de l’indépendance des autorités indépendantes", écrivaient les sages de la rue Cambon. Neuf d'entre elles ont d'ailleurs été supprimées depuis 2015. Dans un rapport sénatorial de 2017, le sénateur PRG du Cantal Jacques Mézard considérait qu'en termes de rémunération "les conditions constatées [étaient] raisonnables", permettant de rivaliser avec le privé. Il estimait même que "le niveau de rémunération n'est pas toujours en adéquation avec la charge de travail, voire, pour des responsabilités importantes, ne permet pas de se consacrer à plein temps à ces fonctions", soulignant que le président du Comité consultatif national d'éthique et des sciences de la vie et de la santé (CCNE) "a décidé d'exercer cette activité à titre bénévole". Une harmonisation semble effectivement nécessaire.

L'altitude délirante de certaines rémunérations des présidents de ces autorités administratives indépendantes se double d'une autre critique, quant à l'utilité de ces organismes. "Les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API) interviennent dans une grande variété de domaines, à des fins principales de préservation de certaines libertés et de régulation de secteurs économiques", rétorquait la Cour des comptes dans son rapport de janvier 2018. "Des missions d'utilité publique", souligne-t-on à la CRE, à l'instar de celles de la Cnil, précieuse pour préserver la vie privée des citoyens face aux ogres numériques du big data, par exemple. La Cnil est présidée par Isabelle Falque-Pierrotin, originaire de Saône-et-Loire, rémunérée 160.000 euros l'an. On ne doutera pas non plus du bien-fondé de l'existence d'une Autorité de régulation des marchés financiers ou d'une Autorité de sûreté nucléaire. Mais d'aucuns opposent que dans d'autres pays c'est le Parlement qui joue ce rôle de contrôle. En ce sens, le rapport Mézard appelait d'ailleurs à une réduction du nombre de ces autorités. "Détentrices pour certaines d'entre elles d'un pouvoir considérable dans des secteurs clefs de la vie de la nation, elles se sont imposées comme "un État dans l'État", obligeant le pouvoir politique à composer avec elles", écrivait le sénateur. Il recommandait par ailleurs qu'un rapport faisant "ressortir la vérité des coûts des autorités administratives indépendantes" soit remis chaque année, au Parlement justement, en annexe du projet de loi de finances. C'est ce document public qui a permis à la presse de publier les revenus de Chantal Jouanno et de ses pairs.

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