DOSSIER - Accentué par le réchauffement global, le phénomène des îlots de chaleur pourrait constituer une menace sérieuse pour la santé des Parisiens. Lors de la canicule de 2003, 8° d'écart avaient été relevés entre le coeur de la capitale et les campagnes alentour. Plusieurs actions peuvent être mises en place, comme une plus grande végétalisation des espaces publics et une réfection des toits. Tour d'horizon.
Le sujet fait timidement son intrusion dans les programmes des candidats aux municipales : Anne Hidalgo (PS) préconise 100 ha de toitures et de façades végétalisées tandis que Christophe Najdovski (EELV) aménagera, en cas d'élection, "une forêt sur les toits de Paris". Aucun ne fait cependant explicitement référence au réchauffement climatique et, en particulier, à la flambée des degrés l'été - un thème qui fait pourtant l'objet de nombreuses études scientifiques récentes. Et pour cause, en 2100, selon le projections du GIEC (1), le climat parisien devrait se situer entre ceux de Bordeaux et de Cordoue aujourd'hui. Selon les scénarios les plus pessimistes, les canicules de la fin du siècle seront plus longues (jusqu'à un mois et demi) et bien plus chaudes (jusqu'à 5° en plus) que celle de 2003 (2). Celle-ci a pourtant laissé un souvenir traumatisant : Paris avait accusé une hausse de 141% des décès. Sans action des pouvoirs publics, les étés seront plus mortels que ne le sont aujourd'hui les hivers.
Des engagements ont déjà été pris pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement global. Mais celui-ci a déjà cours et il faudra agir aussi spécifiquement sur le territoire des métropoles, naturellement surexposées aux coups de chaud : c'est le phénomène des îlots de chaleur, à l'échelle d'une rue, d'un quartier ou d'une ville. L'agglomération lyonnaise a ainsi relevé en été une amplitude maximale de 10° entre les berges du Rhône et le quartier de la Part-Dieu, distants de seulement 600 mètres. Pendant la canicule de 2003, une différence moyenne de 8° a été mesurée entre certaines zones rurales franciliennes et le centre de Paris, hyperactif, devenu un four à ciel ouvert. "Les températures les plus élevées se situent au centre, dans les 2e, 3e, 8e, 9e, 10e et 11e arrondissement tandis que les températures les plus basses se situent dans les zones les plus aérées au niveau du sud ouest de Paris, des bois de Vincennes et de Boulogne ou du nord de Paris", précise le rapport Epicea. Il est même possible de cartographier le dôme de chaleur parisien.
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(1) Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
(2) MUSCADE = modélisation urbaine et stratégies d'adaptation au changement climatique pour anticiper la demande et la production énergétique.
Végétalisation massive des rues et des toits
Paris, impréparé, est vulnérable aux gros étés. "Les températures et humidité pendant la canicule de 2003 y étaient très proches de celles observées à Séville lors d'une été moyen, où ces conditions climatiques n'ont pas de conséquences sanitaires aussi graves", souligne l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (3). Paris, comme les autres villes françaises, devra donc s'habituer à cette nouvelle donne. Un grand plan d'isolation des bâtiments anciens paraît indispensable pour protéger l'air intérieur. Mais il est aussi possible d'agir sur l'extérieur. La première réponse, évidente, est la végétalisation massive des espaces. A l'ombre des arbres, 80% de l'ensoleillement est atténué : 30% du rayonnement est réfléchi par le feuillage et 50% est absorbé par l'arbre.
L'étude Epicea a imaginé que les plus grandes artères, tels les Champs Elysées, céderaient un ou deux couloirs de voirie à des espaces plantés. A condition d'arroser les végétaux, l'effet général serait de 0,5 à 1° de moins de moyenne dans les espaces "verdis" - et de 2 à 3° à proximité des grands parcs. Mais la nature pourrait aussi nous toiser, conférant un peu de fraicheur aux appartements. L'atelier parisien d'urbanisme (Apur) estime ainsi que 80 hectares de toitures plates recèlent à Paris un fort potentiel (4). C'est le 15e qui offre le plus de possibilités (13,3 ha). Parmi les édifices repérés, le collège Beaumarchais (11e) et la bibliothèque de la Goûte d'Or (18e).
L'agglomération lyonnaise, aux toits horizontaux, a identifié 700 ha à végétaliser, "soit sept fois la surface du parc de la Tête d'Or", selon Bruno Charles, vice-président en charge du plan climat. Reste que pour remplir leur rôle, les toitures vertes nécessitent de l'eau. "On peut se demander si celles-ci seraient réellement performantes par rapport à une amélioration de l'isolation en toiture par des moyens classiques", observe Cécile de Munck dans un travail de recherche (5).
D'aucuns préconisent une ceinture verte autour de Paris. Dans le cadre de la consultation du Grand Paris (2009), le groupe Descartes (6) a suggéré une "polyculture" arrosée pendant les mois chauds, au lieu des champs céréaliers actuels, secs l'été. D'où l'idée d'aménager 6 agro-parcs, d'une surface globale de 4000 km2, qui alimenteraient en produits frais la mégapole parisienne. Le groupe propose la création de lacs et l'extension de 30% de la surface des forêts, notamment à Fontainebleau, Rambouillet et Chantilly.
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(3) Etude "Villes et adaptation au changement climatique".
(4) "Etude du potentiel de végétalisation des toitures terrasses à Paris".
En fin de journée, une différence de 2° a été relevée en fin de journée en août entre le parvis du centre Pompidou et la rue Geooffroy Langevin, distants de 150 mètres.
(5) Cécile de Munck, Modelisation de la végétation urbaine et stratégies d'adaptation pour l'amélioration du confort climatique et de la demande énergétique en ville".
(6) François Leclercq architecte urbaniste, Ateliers Lion architecte urbaniste, Marc Mimram architecte ingénieur, Soline Nivet architecte.
Paris ville blanche ?
"Dans de nombreuses villes du sud de l'Europe et du Maghreb, l'urbanisme et les bâtiments traditionnels sont adaptés aux hautes températures : ruelles étroites et ombragées qui gardent la fraîcheur, patios", note l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Fini les toits couleur ardoise : l'étude Epicéa préconise des matériaux réfléchissants et des teintes blanches, notamment sur les toits, qui renvoient les rayonnements solaires. Il s'agit des "cool roofs", un terme qui regroupe des membranes, des bardages, des couvertures rafraîchissantes et des peintures claires spécifiques. Un degré peut ainsi être gagné en moyenne, et au maximum 2 à 3° localement dans les zones les plus denses du nord de la Seine (étude Epicea).
L'ensemble des toits parisiens devrait être passé en revue. D'après l'Apur (7), les terrasses avec revêtement bitumeux sont à proscrire, tandis que les surfaces couvertes de gravier, qui emprisonnent une quantité d'air isolant, sont plus favorables. Le zinc, fréquemment employé dans les immeubles haussmanniens, réfléchit fortement le rayonnement lumineux, même si les appartements de dernier étage sont inconfortables. Le groupe Descartes pose la question des panneaux photovoltaïques : "la réduction de la consommation énergétique se verrait annulée par l'augmentation de température engendrée par les panneaux solaires". Les rues elles-mêmes peuvent être coiffées : en Espagne, certaines villes tendent des vélums entre les façades. Le vice-président du Grand Lyon propose des dômes végétaux, faits de plantes rampantes, qui surplomberaient certains axes.
Au sol, le même diagnostic est à entreprendre. Deux critères sont à distinguer : la couleur et la rugosité. "Plus les matériaux sont lisses et clairs, plus ils sont froids, comme par exemple le marbre ou la pierre de calcaire dur. A l'inverse les matériaux sombres et rugueux sont considérés comme chauds, comme l'asphalte ou le béton bitumeux", est-il précisé. "On se heurte cependant rapidement soit à un problème de glissance, soit au risque d'éblouir les automobilistes", prévient Jean-Luc Salagnac, ingénieur au centre scientifique et technique du bâtiment.
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(7) Etude "les ilots de chaleur urbains à Paris".
Des îlots de fraîcheur contre les îlots de chaleur
En lorgnant cette fois vers l'Espagne et le Japon, Paris pourrait trouver une troisième option : l'arrosage des rues. L'eau est en effet une alliée : Rome supporte mieux ses coups de chaud grâce à ses fontaines. A Paris, la Seine joue déjà ce rôle de circuit de refroidissement à petite échelle, agissant quelques dizaines de mètres de part et d'autre du fleuve. Bruno Charles, vice-président à la communauté urbaine de Lyon, songe à promouvoir des îlots de fraîcheur, des espaces verts agrémentés de fontaines, de brumisateurs et de cascades. L'eau utilisée serait pompée dans la nappe molassique, comme on le fait déjà à l'intérieur des parkings souterrains de la Cité des Gaules pour éviter l'inondation. S'il s'agit de prélever de l'eau potable, l'élu EELV y voit en revanche un gaspillage de ressource qu'il dénonce.
Pour maximiser la baisse des degrés, il faut combiner les trois scénarios : arrosage, verdissement et réfection des toits. Selon Epicéa, la diminution du mercure serait alors comprise entre 1 et 2° en moyenne à Paris à deux mètres de hauteur, et localement jusqu'à 3° sur les bois de Vincennes et de Boulogne, selon l'étude Epicéa. Pour autant, remarque l'étude Vurca, un tiers de la journée serait encore passé en stress thermique, c'est-à-dire sous une température supérieure à 32°.
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L'effet pervers de la climatisation
Il est un moyen immédiat pour faire baisser le mercure : la climatisation. Un bien pour un mal ? "Il y a un compromis à atteindre entre la température de l'air extérieur et celle de l'air intérieur, observe l'étude Vurca. Maintenir la fraîcheur dans les bâtiments peut être facilement obtenu grâce à l'air conditionné, aux dépends des températures extérieures". Car les mécanismes crachent de l'air chaud.
Selon le projet de recherche CLIM2, dans l'hypothèse du doublement du parc actuel et si les effusions s'effectuaient tous sous forme sèche, l'augmentation de la température nocturne au centre de Paris s'établirait à 3° par rapport à l'absence de climatisation. Selon une autre étude (5), elle serait de deux degrés au niveau des piétons à horizon 2020-2030 "avec un développement massif de la climatisation". Elle note cependant qu'une végétalisation massive de nos villes parviendrait à "contrebalancer" cet effet. Voici donc une option : usage plus important des climatisations pour l'air intérieur et végétalisation massive de la ville pour stabiliser l'air extérieur.
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(5) Cécile de Munck, Modelisation de la végétation urbaine et stratégies d'adaptation pour l'amélioration du confort climatique et de la demande énergétique en ville".
Se réfugier sous terre
C'est une réponse à un scénario digne d'un film catastrophe : faute de supporter l'air ambiant, les Parisiens iraient se réfugier sous terre. L'idée a pourtant été étudiée ! Selon l'Apur (7), à partir d'une quinzaine de mètres sous terre, le température se stabilise entre 12 et 14° toute l'année. Les catacombes et les ancienne carrières sont autant de havres frais.
Une étude a été menée sur la petite ceinture ferroviaire entre la rue de la Mare (Paris 20e) et la rue Manin (19e) où elle emprunte un tunnel de plus d'un km (photo ci-contre). L'air chaud s'y engouffre à 35° et ressort à 18° formant un puits canadien à grande échelle. L'Apur suggère d'aménager des nouveaux espaces publics naturellement frais - comme Montréal avec sa ville souterraine tempérée durant les mois d'hiver. Et de développer des circuits de ventilation naturelle pouvant être créés à petite échelle grâce aux caves des immeubles.
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