La détresse et le manque de moyens du monde hospitalier ont poussé des entreprises à changer leur production pour confectionner des masques ou du gel hydroalcoolique.
Les élans de solidarité sont souvent nés d’un profond désespoir. Aux quatre coins de la région, des entreprises et des particuliers ont décidé d’apporter leur aide pour soulager un personnel soignant dont le désarroi les a touchés. “Il y a dix jours, une amie chirurgienne m’a appelé. Elle était en détresse. Elle m’a parlé de la pénurie de masques, du manque de moyens au regard du nombre de patients. C’est une personne qui est plutôt calme et de la voir craquer, ça m’a fait l’effet d’un électrochoc. Je me suis dit que j’aillais me bouger et j’ai décidé de faire des masques en tissu”, confie Franck Meunier, créateur de robes de mariées. Le temps du confinement, sa boutique, Rose Carbone, de la rue Romarin dans le 1er, s’est donc transformée en atelier clandestin. Il en confectionne 50 par jour. Il récupère le patron des masques sur le site du CHU de Grenoble, suivant l’initiative d’une créatrice iséroise.
Un week-end pour plancher sur le projet
C’est aussi à cet appel désespéré des praticiens grenoblois qu’ont répondu Les Tissages de Charlieu. Cette entreprise, installée dans la partie ligérienne des monts du Lyonnais, produit habituellement du textile pour le prêt-à-porter féminin ou des tote bags, les sacs en tissu écologiques. Le 15 mars, elle décide de basculer vers la production de masques pour les personnels soignants. “Voir que des CHU comme celui de Grenoble en étaient réduits à fabriquer leurs propres masques a été un élément déclencheur”, explique René Boël, le gérant des Tissages de Charlieu. Le service recherche et développement planche un week-end sur le projet. Le dimanche, la direction générale de l’armement les contacte pour étudier leur création. Un appel aux commandes est lancé sur les réseaux sociaux. “Les choses ont alors pris une dimension folle. Le mardi, nous avons commencé la production avec 40 000 masques. Dix jours plus tard, nous en produisons 200 000 quotidiennement. L’outil de fabrication tourne 24 heures sur 24 et sept jours sur sept grâce au remarquable engagement de nos salariés.”
Les premiers clients sont des hôpitaux : le centre de cancérologie Léon-Bérard ou le CHU de Strasbourg. Les Tissages de Charlieu produisent des masques lavables et donc réutilisables. Pour aider d’autres entreprises du textile à participer à l’effort de guerre, ils ont mis à disposition tous leurs protocoles de fabrication. “Nous vivons une période de grande confusion des sentiments. Nous sommes heureux d’avoir une utilité immédiate et en même temps, nous faisons face à une grande détresse. Nous avons des demandes qui nous remuent. Nous livrons beaucoup de maisons de retraite et notamment en Alsace où la situation est très compliquée. Un EHPAD est allé jusqu’à affréter un hélicoptère pour récupérer nos masques”, explique l’industriel. Ses masques, il les vend un euro pièce avec une marge réduite. “Nous n’avons pas la surface financière de LVMH pour le faire gratuitement. Nous sommes une PME de 70 salariés dans le domaine du textile. Notre société ne sera pas la même à la sortie de cette crise. Nos employés ont créé des liens, de la fraternité’ explique le dirigeant de la société, fier de ses équipes.
Production artisanale
Dans les pentes de la Croix-Rousse, Franck Meunier, le créateur de la marque Rose Carbone, trompe l’ennui du confinement avec ses chutes de tissu. La production est plus artisanale qu’à Charlieu. Tout est fait à la machine avec un apprenti et un ami à raison de 15 minutes par masque. Mais le constat est le même : “Les demandes n’en finissent plus d’arriver.” Oubliées les mariées, ses clients d’un jour sont des infirmières libérales ou des maisons de retraite. Les masques ne sont pas des FFP2, mais ils ont une touche bien plus excentrique. “Je suis installé depuis onze ans. J’ai beaucoup de chutes que je peux utiliser. J’ai même des fournisseurs qui m’apportent du tissu. On se passe le mot. J’ai vu que des associations de couturières s’étaient aussi lancées.” Ses masques, Franck Meunier les offre aux professionnels de santé: “La situation est telle que je n’ai pas la tête à faire du business. Certains m’offrent de la confiture.”
Centraliser les propositions d’aide
Les élans de solidarité ne s’arrêtent pas aux masques. Un peu partout en France, des fabricants de parfum ou d’alcool mettent leurs stocks ou leur ligne de production au service du personnel soignant pour fabriquer du gel hydroalcoolique dont les personnels de santé manquent tant. L’usine des eaux d’Evian, a stoppé sa production pour ne fournir que des flacons, lesquels manquent autant que leur contenu. À Tarare, Eccsel, un fabricant de ce liquide désinfectant devenu précieux, a multiplié sa production par trois. Dans l’Ain, un autre producteur, Orapi, a aussi considérablement augmenté son débit. Dans des proportions beaucoup plus modestes, le groupe Ninkasi a fait don d’une partie de son stock d’alcool : 180 litres. “Les pharmaciens peuvent produire leur gel et nous nous sommes rendu compte qu’ils manquaient de matière première. Un hôpital a aussi pris une partie importante de notre stock. Cela reste modeste à l’échelle des problématiques, mais nous avons également fait le tour de tous nos établissements pour récupérer des charlottes, des blouses afin que le personnel hospitalier puisse se protéger. Nous avons communiqué pour toucher rapidement des pharmaciens et des hôpitaux et absolument pas pour se mettre en avant”, précise Christophe Fargier, patron du groupe Ninkasi.
Le monde du BTP a fait don de masques FFP2. La solidarité est telle que les HCL ont dû mettre en place une adresse mail pour centraliser les propositions d’aide venues des entreprises ou des particuliers. Des restaurants ont livré des repas, des pizzas gratuitement. Une grande enseigne lyonnaise de la chocolaterie, qui veut rester anonyme, prévoit aussi de donner dans les prochains jours un millier de tablettes de chocolat aux personnels hospitaliers. Des entreprises qui disposent d’imprimantes 3D, comme Eco Concept 3D dans la vallée du Gier, proposent de créer des visières de protection.
Les élus s’y mettent aussi
La solidarité essaime un peu partout sur le territoire au niveau associatif et parfois au niveau municipal. À Mornant, une commune à une vingtaine de kilomètres au sud de Lyon, la municipalité a lancé sa réserve citoyenne pour faire face à l’épidémie de coronavirus. “J’avais cette mesure dans mon programme de candidat. Je me suis dit qu’il fallait se lancer. Après la première semaine de confinement, j’ai commencé à envoyer des mails et les gens ont répondu présents. Nous disposons désormais d’un réseau de 300 bénévoles répartis en plusieurs cellules. Nous avons par exemple appelé les 1 500 personnes de plus de 70 ans, celles qui sont les plus fragiles, pour voir comment elles allaient et si elles avaient besoin d’aide. Elles nous donnent leur liste de courses et nous les livrons”, explique Renaud Pfeffer. Le maire, réélu mi-mars, a transformé un gymnase en atelier de découpe de 10 000 masques achetés aux Tissages de Charlieu qui seront ensuite distribués aux infirmiers, aux pharmaciens, à la maison de retraite de la commune ainsi qu’aux habitants. “Je sens, chez les gens, un besoin de se rendre utiles” savoure le maire de la commune.
Bravo, bravo, bravo.
Et vous noterez que "ils ont mis à disposition tous leurs protocoles de fabrication. "
Dès qu'on n'est plus dans une logique de faire de l'argent, de protéger son chiffre d'affaires par des copyrights et des brevets, les choses se font plus facilement.
L'entraide humaine est possible dès que le fric ne vient pas pourrir les choses (comme les trafics de masques industriels sur les tarmacs d'aéroports chinois ou ailleurs).
Encore bravo à tous ces intervenants.