Face à cette terrible 2e vague dans la région, l'épidémie est-elle hors de contrôle dans les hôpitaux lyonnais ? Raymond Le Moign, directeur général des HCL (Hospices civils de Lyon), deuxième plus grosse structure hospitalière de France derrière l'AP-HP (les hôpitaux parisiens), fait le point ce mardi pour LyonCapitale.fr. Le pic, il est pour quand à Lyon ? Va-t-on devoir choisir entre des malades à Lyon ? Interview.
La région Auvergne-Rhône-Alpes est la plus touchée par cette 2e vague en France. Dans la région, ce mardi, près de 6 800 patients sont hospitalisés des suites du covid-19 (contre 3 000 au pic de la 1ère vague). En réanimation, la tension est également forte, très forte. Et le pic n'est pas encore atteint. Les prochains jours s'annoncent décisifs pour éviter la saturation.
A Lyon, dans les HCL, les capacités de réanimation ont déjà été doublées par rapport à la période normale. Mais cela ne suffit pas. Des transferts, en nombre, vers d'autres régions moins touchées, sont obligatoires pour libérer des lits et ainsi accueillir de nouveaux malades.
Raymond Le Moign, directeur général des HCL (Hospices civils de Lyon), deuxième plus grosse structure hospitalière de France derrière l'AP-HP (les hôpitaux parisiens), fait le point ce mardi pour LyonCapitale.fr sur la situation dans les hôpitaux lyonnais.
Lyon Capitale : Quelle est la situation, ce mardi 10 novembre, dans les hôpitaux lyonnais ?
Raymond Le Moign : Pour être très factuel, sur les 7 derniers jours, sur le territoire lyonnais, 55 patients en plus des patients déjà hospitalisés la veille doivent être pris en charge chaque jour dans les établissements du Lyonnais et 8 patients doivent être pris en charge en plus, chaque jour, en réanimation.
55 patients par jour en plus, alors que certains sortent et d'autres malheureusement décèdent... Donc beaucoup de nouvelles entrées ?
C'est exactement ça. C'est un solde net.
Comment les HCL s'organisent pour gérer cette arrivée massive de patients ?
La stratégie se résume avec la formule "avoir toujours un temps d'avance".
Premièrement, ça se traduit par un redéploiement de ressources pour augmenter le nombre de lits de réanimation (une déprogrammation de toutes les opérations jugées "non urgentes". On arrive ce mardi (10 novembre) à 272 lits de réanimation dans les HCL pour 139 lits en temps normal. Soit deux fois plus qu'en temps normal.
La deuxième stratégie, c'est la politique de transferts interrégionaux. Donner la possibilité aux établissements de santé de la région d'avoir toujours la possibilité de faire face aux prises en charge en urgence en soins de réanimation.
La troisième stratégie, c'est de faciliter le plus possible la fluidité de la filière, c'est-à-dire éviter tant qu'on le peut, l'accès en réanimation, et dès qu'un patient peut sortir de réanimation faire en sorte que les conditions d'accueil en médecine ou dans des structures dites de post-réanimation soient les plus efficaces possibles.
272 lits de réanimation sont donc "armés" ce 10 novembre dans les HCL. Contre 139 en temps normal. Jusqu'où pouvez-vous monter ?
On estime qu'on peut aller jusqu'à 290 lits. C'est le maximum de nos capacités dans les HCL pour les lits de réanimation.
Sur les 272 lits, combien sont occupés ?
90% des lits sont occupés, ce qui est énorme en réanimation alors que les capacités ont été doublées. Enfin, 62% des patients en réanimation à Lyon sont des patients covid-19.
"10 000 nouvelles contaminations par jour dans la région"
Dans la région, le nombre de nouvelles contaminations reste très important...
Ce qu'il faut rappeler, c'est que sur 1 000 personnes contaminées, 30 seront hospitalisées. Sur les 30 personnes hospitalisées, 6 iront en réanimation. Et sur les 6 personnes en réanimation, entre 20 et 40% vont malheureusement décéder. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, il y a environ 10 000 nouvelles contaminations par jour actuellement. Fin octobre, les départements de la région avec les grandes Métropoles, Saint-Etienne, Lyon et Grenoble, étaient très touchés. Le taux d'incidence est désormais élevé de partout, dans tous les départements de la région.
Vous savez donc que beaucoup de patients vont encore arriver dans les HCL ces prochains jours...
On sait que pendant 15 jours encore, un très grand nombre de patients vont devoir être hospitalisés à Lyon. La question, c'est encore combien de temps le solde entre le nombre de nouveaux patients entrants et le nombre de patients qui sortent (ou qui malheureusement décèdent) sera positif ? Il est de +55 aujourd'hui dans le Lyonnais. De +8 en réanimation. A quel moment on va arriver à un plateau ? Tout en sachant qu'on sait que le plateau sera très élevé.
On parle souvent de pic, mais ne faut-il pas plutôt parler de plateau haut dans la région ?
A partir du 15 novembre, on devrait voir de façon très visible les effets du confinement. Il faut que le plateau soit déjà visible à compter du 15 novembre. Ce qu'on peut dire pour le moment, c'est qu'on observe un ralentissement de la progression de la pression hospitalière. Mais on n'observe pas encore le plateau.
On parle souvent de réanimation. Mais au pic de la 1ère vague, il y avait 3 000 patients hospitalisés des suites du covid-19 dans la région. Près de 7 000 aujourd'hui... Pouvez-vous tous les prendre en charge ?
Pour l'instant, on arrive à faire face. Mais oui, tous les établissements de la région font face à une augmentation significative et considérable du nombre de patients hospitalisés.
Le privé, à Lyon, est-il complètement associé au public pour gérer cette crise ?
Oui. Dans les filières de réanimation comme dans les filières de médecine classique.
Martin Hirsch, le directeur général des Hôpitaux de Paris, disait lundi :"nous, en région Ile-de-France, on se dit disponibles dans les jours qui viennent si l’on peut aider des régions en situation plus difficile"
Oui, pour permettre l'accueil des patients d'Auvergne-Rhône-Alpes, il a été demandé aux autres régions, même si elles ne sont pas exposées à une circulation significative du virus, de réduire leurs activités pour que le potentiel d'accueil de lits liés à la réduction de leur activité soit réservé aux transferts inter-établissements.
"Avoir un temps d'avance devrait nous mettre à l'abri d'une médecine qui ne serait pas autre chose qu'une médecine de catastrophe"
200 patients vont être transférés de la région Auvergne-Rhône-Alpes vers d'autres régions ?
L'objectif à l'échelle de la région, 200 transferts inter-régionaux sur les deux semaines, cette semaine et la semaine qui suit, me semble un bon objectif. Ce qu'on oublie de dire, c'est que transférer un patient, cela suppose que le patient soit transférable. On recherche l'accord de la famille et c'est une organisation médicale très importante. Transférer un patient, ça ne se fait pas facilement, c'est une organisation logistique. Transférer des patients, ce sont des équipes soignantes que l'on préempte des services pour accompagner des patients. Le rythme de 200 transferts, c'est déjà un rythme très soutenu.
Ces 200 patients transférés, est-ce suffisant ?
On va vite le savoir. Si dans les 3-4 prochains jours, les choses semblent se décélérer en terme de progression, ça pourrait suffire. Si ce n'est pas le cas, il faudra peut-être qu'au augmente la fréquence des transferts.
Se pose forcément la question de la saturation, de devoir choisir entre des malades pour entrer en réanimation. A Lyon, en est-on là ?
Non. On n'est pas du tout à ce stade-là. A Lyon, la décision d'admission en réanimation, elle est prise en fonction des caractéristiques des patients. Quand ils relèvent de réanimation, ils sont pris en charge en réanimation. Il n'y a pas de priorisation. Si priorisation il y a, c'est la même priorisation qui est faite en période normale, hors épidémie.
Vous avez peur de devoir choisir en réanimation dans les prochains jours à Lyon ?
L'objectif, c'est d'avoir un temps d'avance. On va parvenir à avoir un temps d'avance en permanence. Alors c'est au prix d'énormes efforts, au prix d'une sur-sollicitation des personnels, d'une gestion optimale de toutes les filières de prises en charge des patients. L'objectif d'avoir un temps d'avance devrait nous prémunir et devrait nous mettre à l'abri d'une médecine qui ne serait pas autre chose qu'une médecine de catastrophe.
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