L’épidémie de Covid-19 met à mal les systèmes de santé de nombreux pays à travers le monde. Avec des réactions différentes pour tenter d’endiguer la pandémie. Traçage en Chine, confinement en Europe, dépistage systématique en Corée et en Allemagne... Tour d’horizon des politiques sanitaires menées par les gouvernements confrontés à la crise. En quête de la solution miracle ?
Genève, 11 mars 2020, siège de l’OMS. Le président éthiopien de l’organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus, prend la parole lors d’une conférence de presse attendue par le monde entier. Il prononce officiellement le mot qui court sur toutes les lèvres depuis quelques jours : “pandémie”. Le monde compte alors 118 554 cas confirmés de Covid-19, en un peu plus de deux mois de propagation du virus depuis son épicentre chinois de Wuhan. Ils seront plus de 200 000 la semaine suivante et 300 000 quatre jours plus tard. La pente de la courbe s’accentue encore à la mi-mars. Cinq jours de plus et le cap du demi-million de cas est franchi. Puis 800 000, le 31 mars, à un rythme de 60 000 nouveaux cas quotidiens. Le foyer de l'infection s'est déplacé vers l'Europe. Le 23 mars, l’Italie compte plus de morts du coronavirus que la Chine, selon les chiffres publiés. Le lendemain, Pékin lève la quarantaine de 56 millions d’habitants, dans la province du Hubei. Le pic de l’épidémie est désormais loin, selon la communication officielle chinoise, qui multiplie les images de reprise du travail. “Le nombre de cas a commencé à baisser après le 15 février. [...] L’épidémie devrait être globalement sous contrôle en avril”, déclarait fin février le professeur Zhong Nanshan, expert des maladies respiratoires pour le régime chinois. Suffisant pour faire oublier le retard à l’allumage ?
Le 11 mars, l’OMS tançait “l’insuffisance des mesures prises”. Et de préconiser : “Premièrement, se préparer et se tenir prêt ; deuxièmement, détecter, protéger et traiter ; troisièmement, réduire la transmission ; quatrièmement, innover et apprendre.” Mais tous les pays n’ont pas réagi de la même manière. Les mesures de confinement, de dépistage et de distanciation sociale diffèrent selon les régimes, leur système de santé et leur situation économique. Après un trimestre d’épidémie, les premiers enseignements peuvent être tirés et d’envisager la suite.
CHINE
Contrôle de l’information et traçage des malades
En ayant voulu étouffer l’information au départ, le régime chinois est accusé par sa population d’avoir pris du retard dans la lutte contre la diffusion du virus. Il a tenté de se rattraper en présentant au monde les images de son fameux hôpital de campagne construit en quelques jours. Les mesures de distanciation sociale mais surtout de confinement drastique ont visiblement permis d’endiguer la propagation du virus au cours du mois de février. Les sorties ont été limitées à une personne par famille une fois tous les cinq jours à Wuhan, tous les trois jours ailleurs. Des messages appelant à rester chez soi ont été diffusés au moyen d’avions. À Pékin, les quartiers sont barricadés et il faut montrer une carte de résident pour rejoindre son domicile. Les membres des comités de quartier, hérités de l’époque maoïste, prennent la température de chaque personne entrant dans un immeuble. Prise de température aussi à l’entrée des supermarchés. Le spécialiste de la reconnaissance faciale Baidu a mis au point un système permettant de prendre la température de 15 personnes à la fois par caméra infrarouge avec une précision de 0,3 degré. En cas de dépassement, une alarme était déclenchée. Des alarmes en pleine rue également quand une personne était détectée sans masque.
Le régime a utilisé aussi le traçage des téléphones portables. “À Wuhan, plus de 1 800 équipes d’épidémiologistes, composées au minimum de 5 personnes, ont tracé des dizaines de milliers de contacts par jour”, précise le rapport de l’OMS. L’exploitation des big data a permis de suivre les déplacements et les achats des utilisateurs via les applications WeChat et Alipay. Le rapport souligne aussi la mobilisation collective de la population une fois qu’elle a été informée de la maladie. En plus des dépistages systématiques dans les aéroports, les personnes arrivant sur le territoire sont placées en quarantaine pendant 14 jours. La persistance d’apparition de cas importés fait craindre le risque d’une seconde vague, fin mars, alors que la propagation semble endiguée dans les foyers initiaux.
- Quel système de santé ?
La médecine chinoise est principalement le fait d’hôpitaux publics et de dispensaires de quartiers, alors que des structures privées se sont développées à l’attention des plus fortunés. L’accès aux soins est très inégal sur le territoire. Surtout, la Chine connaît un déficit de personnel médical, notamment de médecins généralistes. Peu de suivi médical donc et un personnel soignant mal formé, notamment dans les centres de santé. Quant aux places disponibles, la construction d’hôpitaux de crise souligne le manque de lits, tout comme les files d’attente de patients en quête de dépistage. Tests de dépistage trop peu nombreux d’ailleurs. Côté finances, l’État a annoncé qu’il prendrait en charge les frais occasionnés par le Covid-19 pour les personnes diagnostiquées. Habituellement, il ne rembourse qu’un tiers des frais, le suivant étant couvert par les assurances et le dernier par le patient.
CORÉE DU SUD
Le bon élève
Très marquée par les épidémies de SRAS en 2002-2003, de H1N1 en 2009 et de Mers en 2015 (3, 180 et 35 décès), la Corée a réagi rapidement face au Covid-19, en dépistant massivement sa population. 300 000 tests en un mois et demi. Un dépistage massif mais ciblé en retraçant le parcours des personnes infectées. Pour cela les autorités ont croisé bornage téléphonique, achats en carte bleue et images de vidéosurveillance. Les individus susceptibles d’avoir été en contact avec un patient infecté sont alertés et un test leur est proposé. Les citoyens sont invités à diffuser l’information lorsqu’ils ont connaissance d’un cas positif proche d’eux. Comme en Chine, des applications montrent les zones les plus contaminées, incitant à les éviter. Le confinement est limité aux personnes à risques. Avec néanmoins un recours massif au télétravail et au port de masques, qui sont rationnés en pharmacie. La population a été bien informée, et rapidement, recevant notamment des SMS sur les zones les plus à risques. La distanciation sociale et l’annulation d’événements sportifs ont également été de mise ainsi qu’une campagne de désinfection à grande échelle dans les bus, trains, taxis et installations publiques.
- Quel système de santé ?
Le système de santé en Corée du Sud est financé via le régime national d’assurance maladie et couvre près de 87 % de la population. En 2018, un effort historique avec un investissement massif dans la santé est consenti avec plus d’un tiers du budget annuel consacré à ce secteur. Côté privé, le pays est une locomotive des technologies de santé. Les patients ont très tôt été suivis par dossier médical informatisé.
IRAN
La pression économique retarde gravement la prise de décision
Dans un pays où l’information est largement contrôlée par un État autoritaire, l’OMS estime le bilan réel, qui a dépassé les 2 000 morts fin mars, cinq fois plus élevé que les chiffres communiqués. Avec des mesures de confinement qui ont tardé dans ce pays déjà étouffé financièrement par les sanctions américaines.
- Quel système de santé ?
Selon l’OMS, en 2000, l’Iran se classait 58e concernant les soins et 93e vis-à-vis des performances de son système de santé. 73 % de la population bénéficierait d’une couverture de santé.
ITALIE
Hôpitaux saturés, patients condamnés
Pays à la population la plus vieille du monde après le Japon, l’Italie a été prise par surprise par le Covid-19. Premier pays d’Europe touché, elle a vite vu ses capacités hospitalières saturées. Et les médecins ont dû choisir les patients qui pourraient être soignés, abandonnant ceux qui avaient le moins de chances de guérison. Le personnel soignant manque cruellement de masques. Un médecin sur dix serait infecté, une vingtaine sont morts. Le 20 mars, la Chine a envoyé 650 000 masques à l’Italie, mais lors d’une escale à Prague, les autorités tchèques n’ont pas laissé repartir l’avion. La Chine a renouvelé son envoi. De nombreux pays frontaliers ont fermé leurs frontières. Fin mars, l’Allemagne a commencé à accueillir des patients italiens. Face à l’explosion du nombre de cas et de décès début mars, les événements culturels et sportifs ont été suspendus et le confinement, d’abord limité à quelques zones rouges en Lombardie et en Vénétie, a été étendu à tout le pays.
Comme en France, seules les personnes symptomatiques sont testées. Statistiquement, cela a pour effet d’accroître le taux de létalité, puisque toutes les personnes qui présentent des symptômes non graves et guérissent sortent du panel. Selon le directeur de la protection civile, le nombre de cas serait en réalité 10 fois supérieurs aux chiffres officiels. En outre, même les patients morts d’une autre pathologie mais ayant contracté le Covid-19 sont comptabilisés comme morts du Covid-19.
- Quel système de santé ?
Le système de santé italien est un service national de santé (Servizio Sanitario Nazionale, SSN) organisé au niveau régional qui offre une couverture universelle et des soins largement gratuits. Zone la plus riche du pays, l’Italie du nord est assez bien pourvue, mais elle a manqué d’équipements. Selon Giorgio Palù, professeur à l’université de Padoue et ancien président de la Société européenne de virologie, interrogé par Libération : “Paradoxalement, le système lombard est victime de son excellence. Il est très avancé dans sa préparation, avec un nombre de lits en réanimation supérieur à celui des autres régions. Résultat : ils ont eu tendance à hospitaliser trop rapidement et de manière excessive. Or le coronavirus est une maladie à très grande diffusion nosocomiale.”
FRANCE
Les soignants en première ligne sans armure
La France opte pour le confinement des malades et des soignants les ayant côtoyés. Et malgré la progression de l’épidémie, le pays maintient les élections municipales. Dès le lendemain, Emmanuel Macron annonce pourtant un confinement général de 15 jours, avec dérogation pour aller travailler, se soigner et acheter à manger. Le nombre de cas de Covid-19 continue néanmoins de progresser. Les tests de dépistage ne sont effectués que sur les personnes présentant des symptômes. Parmi les nombreux axes de recherche, un grand essai clinique est lancé à Lyon pour tenter de trouver un traitement, alors qu’à Marseille, le professeur Raoult teste la chloroquine sur des patients en contradiction avec les recommandations sanitaires.
- Quel système de santé ?
Les soignants, en grève depuis de longs mois pour réclamer davantage de moyens pour l’hôpital public, sont mobilisés partout dans le pays afin de traiter les malades. Mais ils manquent de matériel de protection, notamment de masques. Les services hospitaliers se réorganisent. Dans l’est du pays, l’armée est appelée en renfort pour installer un hôpital de campagne à Mulhouse et rapatrier les malades vers des régions moins touchées alors que les hôpitaux saturent. Des TGV médicalisés déplacent également quelques patients contaminés.
ESPAGNE
Réaction tardive et désorganisée
La population espagnole reproche le retard à l’allumage du pays face à la crise sanitaire. Plusieurs manifestations se sont ainsi tenues le 8 mars. Seules les provinces de Madrid, du Pays basque et de la Rioja ont pris des mesures, notamment de fermeture des écoles, avant le gouvernement fédéral. De manière générale, l’autonomie des régions a empêché une réponse globale, en particulier sur le maintien ou non d’événements festifs. Le nombre de morts a dépassé celui de la Chine fin mars. Une patinoire de Madrid a dû être transformée en morgue. L’Espagne est le deuxième pays d’Europe le plus touché après l’Italie.
- Quel système de santé ?
Malgré les coupes d’austérité consécutives à la crise de 2008, l’Espagne conserve un réseau d’hôpitaux publics et privés important. Mais le personnel manque d’équipements et notamment de surblouses. Des soignants en ont confectionnées avec des sacs poubelles. Près de 4 000 personnels de santé ont été contaminés fin mars selon Le Monde. Le pays manque aussi de respirateurs.
ALLEMAGNE
Dépistage massif
Dès le début de l’épidémie, l’Allemagne a opté pour un dépistage massif, avec des tests précoces. La mortalité est bien plus faible que dans les autres pays. Fin mars, l’Allemagne annonce 500 000 tests en une semaine. Comme la Corée, qui a instauré une politique similaire, elle présente les plus faibles taux de mortalité. Un faible taux qui connaît aussi une explication statistique puisqu’à la différence de la France ou de l’Italie, l’Allemagne ne fait pas de test post-mortem. À la base de cet effort, Angela Merkel a pris des mesures budgétaires abandonnant pour l’occasion le paradigme du zéro déficit. Le pays dispose de 25 000 lits en soins intensifs, contre 7 000 en France et 5 000 en Italie, d’après Ouest France. Il souhaite doubler cette capacité.
- Quel système de santé ?
Créé dans les années 1880, le système de santé allemand est le plus vieux du monde. Il repose sur le principe de solidarité et couvre 70 millions de citoyens qui cotisent à hauteur de 15 % de leur salaire brut. Une sécu qui couvre les soins hospitaliers, médicaux et paramédicaux. Remaniée après la crise de 2008, elle présentait en 2014 30 milliards d’euros d’excédent. Des assurances privées existent aussi. L’Allemagne est un des pays d’Europe qui dépense le plus pour sa santé.
ROYAUME-UNI
L’impasse de l’immunité collective
Le pays a d’abord misé sur “l’immunité collective”, espérant que la contamination d’une grande partie de la population en bonne santé agisse comme bouclier. Pour cela il aurait fallu que 60 % des Britanniques soient infectés. Boris Johnson a annoncé à ses compatriotes qu’ils devaient s’attendre à perdre des proches. Mais sous la pression scientifique et la flambée du nombre de cas, à partir de mi-mars, il est contraint de plier et ordonne finalement le confinement.
- Quel système de santé ?
D’après l’indice de sécurité sanitaire mondiale (Global Health Security Index), développé par l’université Johns-Hopkins, le Royaume-Uni était pourtant en 2019 le deuxième pays au monde le mieux préparé à une pandémie, notamment pour ses capacités à répondre à l’épidémie, grâce à un dispositif de santé bien préparé. Le système de soins est universel et financé largement par les impôts. L’accès est gratuit pour les résidents, qui peuvent aussi souscrire à des assurances privées.
ÉTATS-UNIS
Business as usual ?
Après la Chine et l’Europe, l’épidémie pourrait trouver un nouvel épicentre aux États-Unis, où New York était confrontée à une explosion du nombre de morts fin mars. Mais Donald Trump ne veut pas d’un confinement prolongé. “Il faut retourner au travail, beaucoup plus tôt que les gens ne le pensent”, tranchait-il sur Fox News le 24 mars, craignant la récession économique. Au-delà de sa tentative de racheter un laboratoire allemand qui planchait sur un traitement, Donald Trump a vanté les résultats sur la chloroquine. Dans la foulée, un sexagénaire d’Arizona, qui avait pris du phosphate de chloroquine en automédication, est décédé.
- Quel système de santé ?
D’après l’indice de sécurité sanitaire mondiale (Global Health Security Index), développé par l’université Johns-Hopkins, les États-Unis étaient en 2019 le pays le mieux préparé à une pandémie, notamment pour ses capacités de détection. Mais si la recherche américaine domine le monde, ses résultats en matière de santé publique ne sont pas dignes de la première puissance mondiale. Surtout au vu de l’argent investi. Son système de santé repose essentiellement sur le privé, et les assureurs comme les groupes pharmaceutiques profitent d’une manne financière importante. Plus de 10 % de la population n’est pas assurée. Selon une information relayée par CNN, un adolescent californien non assuré serait mort après s'être vu refuser des soins.
*Source OMS 2014