@Antoine Merlet

Coronavirus : le jour où Lyon s’est arrêté

Historique. Le 16 mars 2020, "La France est en guerre". Quatre jours après avoir décrété la fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées et des universités, des parcs, des jardins, des squares et des aires de jeux, le président de la République instaure le confinement du pays. 67 millions d’habitants sont appelés à réduire leurs déplacements et leurs contacts au plus strict nécessaire, pour lutter contre un “ennemi invisible, insaisissable qui progresse”, inlassablement. Récit des premiers jours où Lyon est devenu fantôme.

Les services publics au ralenti

Les services publics s’organisent face au confinement. Pour assurer leur continuité, la Ville de Lyon a adopté un fonctionnement de gestion de crise avec un comité de suivi stratégique et opérationnel 7 jours sur 7, placé sous l’autorité du maire. Seuls fonctionnent désormais les services publics essentiels à la population, comme l’état civil, la police municipale, les services de maintenance de l’eau, la collecte des déchets ou le nettoiement des voiries. Pour s’adapter à l’évolution sanitaire, La Poste ferme des bureaux à tour de bras et aménage ses tournées, uniquement trois jours par semaine. Depuis le 30 mars, la fréquence des métros, des trams et des bus a diminué de moitié.

@Antoine Merlet

Lyon, ville morte

Jamais les berges de la rive gauche du Rhône n’avaient été interdites au public. Le 18 mars, deux jours après l’annonce gouvernementale du confinement, le préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes somme la Métropole de Lyon de fermer les sept kilomètres reliant le parc de la Tête-d’Or à celui du parc de Gerland (condamnés eux aussi depuis la veille). "Cette décision a pour objectif de mettre fin aux regroupements de personnes en parfaite opposition avec les consignes sanitaires fixées par le gouvernement", explique la Métropole de Lyon. Le jour même, le préfet se rend sur les berges avec des policiers nationaux afin de verbaliser les contrevenants ne présentant pas de justification motivée et écrite. Le mot d’ordre : tolérance zéro. Le 23 mars, la Métropole de Lyon a communiqué le trafic en ville : -70 % de voitures, -95 % de piétons et -70 % de vélos. Lyon est (quasi) désert.

"Distanciation sociale" dans les commerces

@Antoine Merlet

Ce terme fait désormais partie du langage de notre quotidien. Ce nouveau mot est une mesure de défense collective qui consiste, en cette période de crise sanitaire totalement inédite, à maintenir une distance d’au moins un mètre avec les autres personnes.Son utilité épidémiologique n’est plus à démontrer. Cela permet de réduire le taux de reproduction du coronavirus, à savoir le nombre de personnes qu’un seul malade va à son tour, de moitié.

@Antoine Merlet

Les rayons pâtes et papiers-toilettes pris d’assaut

À peine le confinement décrété, les commerces alimentaires ont été pris d’assaut. On assiste à des scènes sans précédent au cours desquelles les files d’attente devant les super et hypermarchés prennent des allures pré-apocalyptiques. Les Lyonnais se ruent littéralement sur les étals, en particulier de pâtes et de papiers-toilette, "achats de panique", ; des "achats de panique" avec des quantités inhabituellement supérieures en prévision d’une pénurie à venir.

Les caissières en première ligne

@Antoine Merlet

Jusqu’à la survenue de cette crise sanitaire, on ne les voyait pas. Invisibles. Depuis le confinement, contraintes de rester fidèles au poste, pour permettre "au pays de vivre" (Emmanuel Macron), les “hôtesses de caisse” (90 % des femmes) sont en première ligne depuis le début du confinement. À flux tendus. Dans les grandes surfaces, elles ont des objectifs de la direction – 3 000 articles à l’heure – pour faire face à l’afflux massif (parfois hystérique) des clients.

Trop souvent sans protection, elles doivent coûte que coûte faire leur travail pour nourrir un pays en "guerre". Certaines grandes enseignes ont annoncé, le 23 mars, le versement d’une prime exceptionnelle de mille euros pour leurs employés mobilisés dans les magasins et les entrepôts.  Le 31 mars, après l’avoir proposé aux pharmaciens, la région Auvergne-Rhône-Alpes s’engage à verser une aide allant jusqu’à 500 euros pour les commerces de proximité qui s’équiperont d’une vitre en plexiglass pour leur comptoir.

@Antoine Merlet

La police surexposée

Dans l’histoire française, le confinement imposé aux citoyens est une première. Vendredi 31 mars, 260 000 contraventions pour non-respect du confinement avaient été dressées sur l’ensemble du territoire depuis le premier jour de confinement. 1 182 amendes pour les seules journées du 19 et du 20 mars avaient été dressées dans le Rhône pour non-respect des consignes de confinement. Les policiers, en première ligne, tombent comme des mouches sous les balles invisibles du coronavirus. Au 31 mars, quinze jours après le confinement, ils sont plus de 10 000 à l’arrêt pour suspicion de Covid-19 – soit près de 10 % des effectifs déployés sur le terrain.

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Les sans-abris en difficulté

Il ne reste pratiquement plus qu’eux dans les rues. Ce “Lyon des invisibles”, qu’on remarque à peine en temps normal, saute aux yeux depuis les premières heures de confinement. Les sans-abris sont pourtant plus que jamais en difficulté pendant l’épidémie. Si le ministère du Logement a annoncé, dès le 19 mars, la réquisition de chambres d’hôtel pour héberger les personnes encore à la rue, à Lyon, il aura fallu attendre le 26 mars pour que des mesures soient annoncées : l’ouverture de deux sites de confinement gérés par la Croix-Rouge, avec l’appui des centres hospitaliers de Villefranche-sur-Saône et de Lyon Sud (Belleville, 44 places, Saint-Genis-Laval, 50 places).

Mi-mars, une polémique a vu le jour : plusieurs SDF auraient été verbalisés, contrairement aux instructions données aux forces de l’ordre par le préfet de région. Après une enquête interne, la préfecture a démenti via son compte Twitter.

@Antoine Merlet

La Guillotière et les banlieues sous tension

Confinement J+3. Jeudi 19 mars 2020, 23 h 30, Bellecour. Cinq jeunes de la Guillotière posent devant l’objectif de notre photographe avec une provocation bienveillante, fiers de pouvoir arborer un masque. De l’autre côté du Rhône, la place du Pont est pourtant très moyennement confinée. "C’est la sociologie des lieux liés à l’immigration qui veut ça", explique un travailleur social qui tente de faire rentrer les gens chez eux.

Dans les banlieues lyonnaises, le message a du mal à passer pour certaines catégories de personnes. Si, dans l’immense majorité des cas, les habitants respectent le confinement, de petits groupes de jeunes ne sont pas aussi consciencieux. "Dans certains quartiers, le confinement n’est pas facile à faire respecter, explique Pierre Tholly secrétaire d’Alliance Auvergne-Rhône-Alpes. Les petits regroupements sont le fait de dealers car il y a du business à faire tourner."  Les quartiers sont sous tension car les clients ne viennent plus sur les places de deal. "Le coronavirus tue les stups."

@Antoine Merlet

Flambées de violences à la Duchère

Entre la mosquée AT-Tawba et la synagogue Rav Hida, la rue Maurice-Béjart porte encore les stigmates des flambées de violence de deux nuits d’insurrection, durant lesquelles les pompiers, appelés pour des feux de poubelles, ont fini caillassés, rejoints par les policiers qui ont été pris en guet-apens par des dizaines de jeunes. Drôle d’image que ces deux voitures et cette fourgonnette calcinées sur le trottoir, à côté des cerisiers en fleurs.

@Antoine Merlet

Une ville silencieuse, où l’on respire mieux

D’après Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, "le confinement de la population va engendrer une baisse de la pollution". Entre un jour sans confinement et un jour avec, les émissions en dioxyde d’azote, dont la source principale est le trafic routier, ont ainsi baissé de 45 %, celles de particules fines (PM10) de 30 %. La qualité de l’air approche ainsi de niveaux qui ne sont quasiment jamais observables en ville.

Moins de pollution mais aussi moins de bruit. Place Bellecour, le brouhaha nocturne a ainsi chuté de 8 à 13 décibels dès le 17 mars et l’entrée en vigueur du confinement. En journée, durant le week-end, des diminutions de 11 décibels ont été constatées. Pour mieux comprendre, chaque fois que le niveau sonore s’élève de 10 décibels, on entend deux fois plus fort. Il faut une augmentation de 10 décibels pour donner une impression flagrante de changement. "Des sons jusqu’à présent masqués par la présence dominante des bruits des transports et des sons liés à d’autres activités humaines (livraisons, commerces, terrasses, voix…) se mettent en retrait et laissent place à des sons qui étaient toujours là mais qui demeuraient peu perceptibles, tels que le chant des oiseaux ou les clochers des églises."

@Antoine Merlet

Une messe à huis clos

Afin de fêter l’Annonciation – particulièrement importante pour les chrétiens – l’administrateur apostolique du diocèse de Lyon, Mgr Michel Dubost, a célébré une messe à huis clos dans la basilique de Fourvière, retransmise sur la chaîne YouTube de la Fondation Fourvière. Les cloches ont ensuite sonné pendant dix minutes, comme lors de la Libération de Lyon, le 3 septembre 1944. Des lumignons sont apparus sur certains balcons. La ville a ensuite été bénie depuis la colline de Fourvière.

Apéros aux fenêtres et hommages aux soignants

@Antoine Merlet

Au quatrième jour du confinement, les Lyonnais organisent un "apéro fenêtres". C’est le premier soir de week-end confiné. Une sorte de fête des voisins version balcon. L’avant-veille, quelques fenêtres s’ouvraient de concert à 20 h pour rendre un hommage vibrant aux personnels soignants sur le front de l’épidémie chaque jour et chaque heure.

@Antoine Merlet

Les marchés interdits

Le 18 mars les marchés alimentaires "ouverts" sont interdits sur ordre de l’État. La ville de Lyon met en place, dans la foulée, en partenariat avec La Poste et les halles de la Martinière, un dispositif de livraisons de produits frais pour les personnes âgées et isolées. Pour l’heure, et jusqu’à nouvel ordre, les petits producteurs et les circuits courts sont laissés de côté au profit des grandes surfaces bondées.

De nouvelles initiatives ont été proposées par la Ville pour permettre à nos producteurs d’alimenter les Lyonnais et de venir distribuer leurs produits frais issus de notre région.

@Antoine Merlet

La vie s’organise

Ces premiers jours de confinement, il fait beau, les températures sont printanières. Quai Saint-Vincent (2e), un homme lézarde à sa fenêtre, à défaut de pouvoir le faire en bas de chez lui sur les rives de Saône, désormais fermées. Le confinement se renforce mais la vie s’organise. Pas question pour autant d’arrêter net le pays qui doit poursuivre son activité. "La France ne se redressera que par le travail", martèle le ministre de l’Économie. "Le pays doit continuer à fonctionner", scande le ministre de l’Action et des Comptes publics. "Il faut une action massive de télétravail pour permettre au plus grand monde de rester à domicile", insiste le Premier ministre. Une bonne partie de la France bosse donc de chez elle. Selon le gouvernement, huit millions de Français du secteur privé sont en capacité de télétravailler. Mais pour nombre d’entre eux, le travail de chez soi est impossible. Ils sont alors pris dans un dilemme entre protection sanitaire et nécessité de produire. Un sentiment repris par Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT : "Est-ce que l’économie prime sur la santé des citoyens ? Il y a une réponse ambiguë du gouvernement avec un mot d’ordre : tout le monde au boulot."

@Antoine Merlet

Le nombre de morts explose

Après son hospitalisation, un patient rentre chez lui à Saint-Priest, dans un brancard spécialement imaginé par une entreprise lyonnaise d’ambulances pour protéger le patient et les soignants. Au sein du département, le nombre de cas et de morts augmente de jour en jour. Les courbes statistiques s’envolent. Lors de l’annonce du confinement, le Rhône recense dix décès. Jusqu’au 18, le nombre de morts augmente de deux à trois par jour. Dès le 19 mars, on recense entre six et huit décès quotidiens. À partir du 24, la barrière des dix morts par jour est franchie. On débombre désormais entre 12 et 18 morts toutes les vingt-quatre heures. La barre des 100 décès est franchie dans la nuit du 28 au 29 mars. Le stade des 1 000 hospitalisations est atteint le 31 mars. À l’échelle régionale, le cap des 200 nouvelles entrées en hôpital est franchi entre le 23 et le 24 mars.

@Antoine Merlet

Pénurie de masques

"Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personnes à risques de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin." Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, se veut rassurante ce 26 janvier 2020, tandis que la pandémie a déjà fait 56 morts et contaminé près de 2 000 personnes en Chine, qu’elle a atteint l’Europe, l’Australie, et touche une douzaine de pays dans le monde, dont les États-Unis (deux cas). La France a pour sa part enregistré trois cas de contamination sur son territoire (les premiers du continent).

Il aura fallu soixante-quatre jours pour que tout bascule. Le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, explique devant les députés médusés qu’"en 2011, il a été déterminé que la France n’avait pas à faire des stocks d’État des fameux masques FFP2". Au-delà de jeter un froid dans les rangs de l’Assemblée nationale, l’annonce fait frissonner la France entière. L’effarement laisse place à la peur. Les Français se ruent dans les pharmacies. Dans la foulée, le 3 mars, Emmanuel Macron annonce que l’État français réquisitionne "tous les stocks et la production de masques de protection" pour les distribuer aux soignants et aux Français atteints par le coronavirus. Soit 150 millions (de quoi tenir six jours, à raison de 24 millions nécessaires par semaine).

La France se rappelle alors l’épisode de la grippe H1N1. En 2010, elle dispose d’1,5 milliard de masques. Devant une commission parlementaire, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, est vivement critiquée pour sa gestion de la grippe H1N1 et est accusée d’avoir surévalué le danger et d’avoir gaspillé les deniers publics. "Les masques sont un stock de précaution, excusez-moi si ce mot devient un gros mot ici, qui est destiné à toutes sortes de pandémies", rappelle-t-elle, en vain. Le 21 mars, le gouvernement annonce avoir passé commande de 250 millions de masques. Le 29 mars, 5,5 millions masques arrivent de Chine par avion cargo à Roissy, via un "pont aérien" avec le pays d’où la pandémie est partie.

@Antoine Merlet

Une journée de soins avec SOS Médecins

SOS Médecins a ouvert, dans le 7e arrondissement, une salle de consultation dédiée aux suspicions de patients Covid. "Nous avons une ligne dédiée pour la prise en charge de ces appels parce que la cellule Covid du Samu nous adresse des patients suspects d’infection Covid à examiner", explique Pierre-Henry Juan, président de SOS Médecins Lyon et France. Dans ce contexte épidémique, SOS Médecins maintient la barre des 350 visites par jour.

Ils viennent en soutien des médecins de ville pour faire des diagnostic de personnes susceptibles d’être positives, "les cabinets de médecine générale (étant) désertés". À la différence de ces derniers, qui se sentent "oubliés", SOS Médecins dispose de moyens de protection adaptés au coronavirus (charlottes, combinaisons, masques FFP2) qui, semblerait-il, rassurent la population, clairement inquiète.

@Antoine Merlet

Les hôpitaux saturent

Au 31 mars (jour de bouclage de ce numéro), 2 508 patients atteints du Covid étaient hospitalisés en Auvergne-Rhône-Alpes (+6 % par rapport à la veille). Un quart d’entre eux étaient en réanimation et en soins intensifs (627, +5 %). 296 décès ont été recensés depuis le début de l’épidémie en région (+11 %).

84 établissements d’Auvergne-Rhône-Alpes rapportent prendre ou avoir pris en charge des cas de Covid. En Île-de-France, la situation est "hors de contrôle", selon le professeur Djillali Annane, à la tête du service de réanimation de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches, dans les Hauts-de-Seine, avec des "chiffres vertigineux" selon les propres mots de l’Agence régionale d’Île-de-France – 1 400 lits déjà occupés sur 1 500 lits disponibles. Dans le Grand Est, deuxième région française la plus touchée, la saturation n’est pas loin. Pour l’heure, Lyon n’est pas encore engorgé. Selon les autorités sanitaires, ce n’est qu’une question de temps.

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