JL Chiappini France 3

Corse : ce que cache l’assassinat du notable

Troisième “cadavre exquis” à Ajaccio. Le président du parc naturel Jean-Luc Chiappini est tombé jeudi sous les balles des tueurs. Décryptage.

L’assassinat hier de Jean-Luc Chiappini a de nouveau placé Ajaccio sous le règne de la peur. C’est en effet le troisième notable à être assassiné en six mois dans la cité impériale. Ici, personne ne semble en mesure de dire quand ni comment s’arrêtera la spirale mortifère qui entraîne l’île dans une incroyable dérive mafieuse. C’est le dixième assassinat depuis le début de l’année.

Le passage prévu aujourd’hui de la garde des Sceaux Christiane Taubira dans les locaux de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille vise à l’évidence à trouver une solution face à l’impuissance des pouvoirs publics à pouvoir régler la délicate question corse. Ces magistrats chargés de la plupart des dossiers touchant au grand banditisme insulaire et au crime organisé sont une nouvelle fois sous pression. Comment en effet mettre un terme à une violence qui, au-delà des habituels règlements de comptes entre membres de clans rivaux, touche désormais des acteurs importants de la vie insulaire ?

Un crime très organisé

Jean-Luc Chiappini, 65 ans, a été exécuté comme un vulgaire truand sur la route qui relie l’aéroport au centre de la cité impériale. Le président du parc naturel régional, par ailleurs élu et maire du village de Letia, venait tout juste de débarquer d’un vol en provenance de Paris. Il circulait à bord d’une Citroën C5 quand il a été pris pour cible par des tueurs juchés sur un scooter de grosse cylindrée. La victime a été atteinte par trois balles de gros calibre tirées en pleine tête.

Après l’assassinat de l’avocat Antoine Sollacaro en octobre dernier et celui, un mois plus tard, du président de la chambre de commerce de Corse du Sud, Jacques Nacer, l’exécution de Jean-Luc Chiappini vient alourdir le climat dans cette zone ajaccienne devenue au fil des mois l’épicentre d’une guerre de mafias. Laquelle guerre a choisi cette fois pour cible un élu de la République, ce que n’a pas manqué de relever Manuel Valls. Rien ne semble aujourd’hui pouvoir arrêter la main des tueurs, dans un contexte de recomposition du milieu insulaire (voir les précédents volets de La Corse sous enquête) et de sourdes convoitises autour d’enjeux financiers considérables touchant au réaménagement du territoire corse.

Les observateurs attentifs de l’histoire criminelle locale n’ont pas manqué de faire un rapprochement avec le mode opératoire d’un assassinat survenu en mars 2006, celui du maire de Pila Canale, Robert Feliciaggi. L’homme des réseaux Corse-Afrique, celui que l’on avait surnommé l’Empereur des Jeux, venait en effet lui aussi de débarquer d’un vol en provenance de Paris. Dans les deux cas, il apparaît clairement qu’une “sonnette” (un informateur, en langage de policiers) a donné le top départ aux tueurs, ce qui réclame une véritable organisation. Une organisation criminelle.

La piste du parc régional

Si la personnalité un brin sulfureuse de Robert Feliciaggi, notamment ses relations avec le parrain de Corse du Sud, feu Jean-Jé Colonna, a pu expliquer ce passage à l’acte, rien dans le passé de Jean-Luc Chiappini ne saurait donner une véritable grille de lecture. Seul indice, il avait été entendu récemment en qualité de simple témoin par la PJ d’Ajaccio. Sa position stratégique de président du parc naturel régional ouvre en revanche des pistes sérieuses. La Corse est en effet l’objet d’une spéculation foncière frénétique, fruit d’une politique de développement orientée depuis des décennies vers le tout-tourisme, d’où les convoitises de clans mafieux qui se disputent un territoire à prendre. Et il n’y a pas que le littoral…

Chargé d’élaborer une charte de développement, notamment dans les zones de montagne, Jean-Luc Chiappini se trouvait en effet en conflit ouvert avec d’autres acteurs politiques au sein de la collectivité territoriale de Corse, comme en témoigne son passage plutôt tendu en mars dernier dans l’émission Cuntrastu sur la chaîne locale Via Stella. Ce soir-là, il fut confronté à certaines critiques sur la gestion du parc et contraint de s’expliquer sur les luttes de pouvoir quant à l’aménagement futur des zones montagneuses.

“Les gens qui veulent nous enlever la montagne, on les laissera pas faire”

En déshérence depuis des décennies en raison de l’exode rural et du déclin des activités économiques traditionnelles, ces territoires génèrent aujourd’hui une manne financière issue du tourisme vert, qui voit fleurir les structures d’accueil et les activités de plein air. Jean-Luc Chiappini, apprécié des écologistes comme un vrai défenseur de l’environnement attaché à la préservation des espaces naturels, n’avait pas hésité à fustiger au cours de l’émission “les gens qui veulent nous enlever la montagne”. Et de déclarer : “À mon avis, ils se trompent. On les laissera pas faire.” Qui visait-il dans ses propos ?

L’enjeu est en effet colossal, la fameuse charte étant connectée au futur plan de développement durable (Padduc) élaboré par l’assemblée de Corse. Ce document d’urbanisme doit déterminer les futurs périmètres de développement et dégager des espaces de constructibilité qui suscitent bien des convoitises.

Déjà, par le passé, Jean-Luc Chiappini s’était opposé à des dérives touchant des gîtes ruraux soumis à une totale anarchie et générant d’incroyables profits. “Un seul gîte peut rapporter sur une saison plusieurs centaines de milliers d’euros”, souligne un enquêteur spécialisé, qui n’exclut pas un geste de vengeance dans un contexte particulièrement explosif.

Il est certain que les enquêteurs tiennent là une piste solide. Mais parviendront-ils à cibler les commanditaires ? L’enjeu semble crucial pour l’avenir de l’Ile de Beauté.

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