Les assassinats de Francis Mariani et Richard Casanova ont ouvert une nouvelle page de l’histoire du banditisme insulaire. En vedette, les redoutés “bergers de Venzolasca” qui étendent leur emprise sur le continent. 5e volet de “La Corse sous enquête”.
L’assassinat de Richard Casanova ne pouvait demeurer impuni. En portant le cercueil de son beau-frère en ce mois d’avril 2008, Jean-Luc Germani en fait le serment : ceux qui sont à l’origine de la mort de Richard devront payer. Et ils vont payer. L’hégémonie des deux gloires de la célèbre Brise de Mer, Richard Casanova et Francis Mariani, s’est réglée dans la vengeance et dans le sang pour le contrôle d’intérêts, en Corse mais pas seulement (voir La Corse sous enquête II, III et IV), tout comme plus récemment les exécutions de l’avocat Antoine Sollacaro et du président de la chambre de commerce d’Ajaccio, Jacques Nacer.
En cavale, Germani fait office de cible numéro un pour les enquêteurs de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) lancés à ses trousses. Le fugitif est introuvable mais s’appuierait d’après les tuyaux des policiers sur une redoutable équipe. Des noms apparaissent sans que l’on ait pour l’heure établi leur implication : Stéphane Lucciani, Antoine Quiliccini dit Antoine le Boucher, Jean-Luc Codaccioni ou Frédéric Federici. “Germani ne reste jamais sur l’île et il est clair qu’il revient pour faire le ménage et repart aussitôt”, explique un enquêteur spécialisé. L’insaisissable Germani serait au cœur de la liquidation systématique des anciennes figures de La Brise de Mer. Les deux Francis, Guazelli et Mariani, Pierre-Marie Santucci… Pour les policiers, le doute n’est guère permis : ces assassinats portent la marque Germani. Un repenti, Claude Chossat, ancien compagnon de route de Mariani, a aidé au décryptage.
Le rôle clef du repenti Chossat
Mais le beau-frère revanchard ne serait jamais parvenu à ses fins s’il ne s’était appuyé sur un clan montant, celui des Federici. Plus connus sous le surnom de “bergers de Venzolasca” en raison du métier d’origine du père, ces redoutables voyous ont fait une entrée spectaculaire dans le who’s who du grand banditisme à l’occasion de la célèbre tuerie des Marronniers, à Marseille, le 4 avril 2006.
Ce soir-là, un certain Farid Berrahma est criblé de balles dans un bar des quartiers nord, en compagnie de deux lieutenants. Berrahma – plus connu sous le surnom de Farid le Rôtisseur, pour sa faculté à faire griller ses victimes dans leur voiture après les avoir criblées de balles – est impliqué dans l’élimination quelques mois plus tôt d’un insulaire qui s’opposait au caïd maghrébin sur le contrôle de machines à sous dans la zone de l’étang de Berre.
Farid le Rôtisseur
La guerre que se livrent les clans sur l’Ile de Beauté renvoie aussi à des enjeux sur le continent. La justice a établi que figurait parmi les membres du commando un certain Ange-Toussaint Federici (photo). “ATF”, comme on le surnomme, sera condamné à 28 ans de réclusion pour sa participation à la tuerie des Marronniers.
Les Federici sont également soupçonnés de racketter plusieurs établissements de nuit sur la zone d’Aix-en-Provence, au détriment du clan Mariani, dirigé depuis la mort de Francis par son fils Jacques.
La juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) se focalise en 2012 sur l’homme qui remet les enveloppes du racket aux Bergers et permet de cibler au passage un nouveau domaine d’activité. Des écoutes révèlent en effet l’intérêt des Bergers pour plusieurs transferts de joueurs de l’OM, dont le Toulousain André-Pierre Gignac. Les conversations révèlent que le collecteur de fonds, par ailleurs en relation avec l’agent de Gignac, est mis sous pression par une équipe concurrente qui souhaite entrer dans les pourparlers de transfert. Une instruction distincte est aujourd’hui en cours.
Le clan des Bergers demeure très actif, puisqu’on le soupçonne d’être en relation avec la tentative d’assassinat fin 2012 d’Aurélie Merlini, la gérante du Gloss, une discothèque d’Oraison (04). Ce qui prouve bien qu’ils ont poussé leurs ambitions jusqu’aux Alpes.
Des ambitions qui remontent vers les Alpes
En Corse, l’ami Germani continue son nettoyage. Bien que mis en examen et soupçonnés d’avoir participé à l’élimination le 16 juin 2008 de Jean-Claude Colonna (le fondé de pouvoir de feu le parrain Jean-Gé Colonna, voir La Corse sous enquête I, II, III, IV), les Codaccioni, Quilicchini, Luciani et autres Germani demeurent en liberté car, judiciairement parlant, les charges sont minces.
Cela laisse le champ libre à quelques actions d’éclat, comme la reprise en main en janvier 2011 du cercle Wagram. Une guerre ouverte oppose en effet Jean-Luc Germani au clan Guazelli pour le contrôle du cercle de jeu parisien. Mais le conflit est tellement bruyant que la justice s’invite à la partie. Des écoutes permettent de mettre en scène judiciairement cette guerre de succession.
Avec ses 167 employés répartis sur 1 000 m2, le Wagram est une véritable institution des nuits parisiennes. Une dizaine d’associés se partagent entre 30 000 et 40 000 euros d’argent blanchi sur les tapis vert et aux tables de poker. Le 19 janvier 2011, les Bergers passent à l’action et menacent de “décapitation” le trésorier du cercle, Jean-François Rossi, qui disparaît à toutes jambes…
Très prochainement, la justice jugera un dossier tout aussi parlant, celui du cercle Concorde. Encore une fois, les Bergers de Venzolasca sont en première ligne, avec cette fois-ci un contentieux avec Paul Lantieri, une figure du secteur de Bonifacio, officiellement en fuite. Officieusement, il se dit que le fugitif a allongé la longue liste des “disparitions inquiétantes”. Car, encore une fois, en Corse, on ne badine ni avec l’argent ni avec les “bergers”.