Dix morts depuis le début de l’année en Corse. Une explication parmi d’autres à cette désintégration du milieu insulaire est la terrible rivalité qui a opposé ces dernières années deux figures de la célèbre Brise de Mer : Francis Mariani et Richard Casanova. Récit.
L’immense tache de sang qui s’étale chaque jour un peu plus sur la Corse (voir l’assassinat la semaine dernière du notable Jean-Luc Chiappini à Ajaccio) pourrait en fait prendre sa source sur une route tortueuse qui relie, dans le nord de l’île, Cervione à Sant’Andrea Di Cotone. Nous sommes à l’hiver 2007 et ce jour-là un certain Francis Mariani conduit à tombeau ouvert sa Porsche de compétition. Il échappe par miracle aux balles de fusil d’assaut qui traversent son pare-brise. La scène est décrite en détail dans le récent ouvrage du journaliste Jacques Follorou, La Guerre des parrains corses*.
Francis Mariani est une figure de la Brise de Mer, célèbre équipe de malfaiteurs jusqu’alors unie comme les doigts d’une même main qui a étendu son emprise bien au-delà de l’île, jusqu’en Afrique et en Amérique du Sud. Ce que l’on a baptisé le “premier cercle” de la Brise vient d’exploser par le conflit de deux hommes, Richard Casanova et Francis Mariani.
Casse record à l’UBS de Genève
Jusque-là, l’organisation criminelle, qui s’était illustrée par quelques coups spectaculaires comme le casse de l’UBS de Genève en 1990 (124 millions de francs/18,9 millions d’euros), avait prospéré sans connaître de déboires judiciaires. Habiles, ses membres avaient su s’attacher quelques soutiens politiques et policiers en livrant de précieuses informations sur les clans nationalistes.
L’organisation aurait pu tranquillement aller son train de sénateur s’il n’avait existé cette rivalité de toujours entre Mariani et Casanova. “Ces deux-là n’ont jamais pu se sentir”, témoigne un avocat qui connaît sur le bout des doigts l’histoire de ceux qui se réunissaient à l’origine à la terrasse de La Brise de Mer, sur le port de Bastia. L’établissement a depuis disparu, mais le patronyme de l’équipe demeure. Pour Francis Mariani, qui s’en est tiré avec une légère blessure au bras, le doute n’est guère permis : derrière les tireurs de Sant’Andrea Di Cotone se dissimule la main de son rival.
Personnage puissant, celui que l’on surnomme Richard le Menteur a su échapper durant des années à la surveillance policière et aux mandats d’arrêt grâce à des appuis haut placés. Soupçonné d’être le cerveau du casse de l’UBS, Casanova a pourtant échappé aux foudres de la justice. Certains estiment que cette bienveillance policière prend sa source dans les renseignements que l’intéressé, ancien du FLNC, a fournis sur la cavale d’Yvan Colonna. Mais pas seulement. Casanova est partout en Corse et en Afrique où il gère certaines affaires qui voient se croiser services secrets, rois nègres et grand maîtres de la pègre corse.
L’ambition de Casanova
Mais les “protecteurs” ne pourront empêcher que le torchon ne brûle entre les anciens associés et ne provoque une véritable hécatombe. Celle-ci, nous l’avons déjà écrit, prend son origine dans la volonté de Richard Casanova de s’émanciper du pacte et de se lancer dans une véritable OPA destinée à casser l’historique partage de territoire entre la Brise de Mer au nord de l’île et le clan de Jean-Jé Colonna au sud (voir nos épisodes précédents). Des informations parviennent aux policiers selon lesquelles Casanova pourrait être l’homme qui a tiré le 10 mars 2006 sur Robert Feliciaggi. Le tueur serait parti à moto de la région de Sartène pour frapper ce soir-là à l’aéroport d’Ajaccio avant de disparaître. Casanova aurait ainsi déblayé le terrain pour étendre ses propres intérêts dans l’extrême sud (la région de Porto-Vecchio) et plus haut à l’ouest (celle de Propriano). Un bon tuyau qui n’a pas été étayé judiciairement par la suite. Et ce n’est pas une surprise.
Ce qui est acquis en revanche, c’est que Casanova lorgnait sur les projets d’extension des ports de plaisance. Ainsi, ses relations avec un certain Jean-Simon Alfonsi ne seraient pas étrangères à l’assassinat de ce dernier devant la mairie de Propriano, le 2 février 2008. Un avertissement, en somme.
La grande ambition de Casanova demeure ce projet de Porto-Vecchio qui prévoit l’extension du port de plaisance pour un investissement évalué à l’époque à 200 millions d’euros. Depuis, face à l’opposition des écologistes et des nationalistes, le projet a été réduit. Mais la crainte est toujours là, celle de voir la région livrée clef en main aux spéculateurs. Porto-Vecchio excite Casanova mais aussi Mariani, qui aimerait tirer sa part du gâteau.
L’hécatombe
C’est finalement dans le sang que se règle le contentieux, le 26 avril 2008, à “Porti-Vecchiu”. L’ambitieux Casanova descend de son 4X4 stationné devant la concession Volkswagen quand des tirs de kalachnikov l’atteignent en pleine poitrine. L’enquête déterminera que deux tireurs étaient dissimulés derrière un muret : il s’agirait de Francis Mariani et de Claude Chossat. Ce récent compagnon de route de Mariani livre aux enquêteurs de précieuses informations sur le fonctionnement du milieu insulaire.
L’assassinat de Casanova exige une réplique. Le 12 janvier 2009, Francis Mariani est tué dans un hangar par l’explosion de l’engin explosif qu’il manipule. Accident ou crime ? Après des expertises contradictoires, la justice estime aujourd’hui que la bombe remise à Mariani avait vraisemblablement été piégée sur ordre de Jean-Luc Germani, le beau-frère de Richard Casanova aujourd’hui en fuite. Mariani liquidé, ses plus proches amis de la Brise soupçonnés par le clan Casanova d’avoir validé l’exécution de Richard sont liquidés : Pierre-Marie Santucci le 10 février 2009 et Francis Guazelli le 15 novembre suivant. C’en est fini du premier cercle. C’en est fini de la Brise de Mer. Et la vendetta continue.
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* Editions Flammarion, janvier 2013.