Qui a dit que la broderie était un art qui se perdait ? Les réseaux sociaux ont donné un coup de jeune à cette pratique qui séduit de plus en plus de jeunes artistes. C’est le cas de Charlotte Perez, Croix-Roussienne passionnée qui a su imposer son univers anatomique singulier dans la communauté des brodeuses lyonnaises.
Parfois perçue comme une pratique vieillotte et démodée, la broderie fait son grand retour en pleine modernité, notamment grâce aux réseaux sociaux. De plus en plus de jeunes artistes ouvrent leur boutique en ligne, sur Instagram notamment, et proposent des créations aux motifs intemporels revisités façon XXIe siècle. En surfant sur le fil de leurs pages, on découvre un univers fleuri et coloré, où la tendance semble être une représentation contemporaine de la faune et de la flore. Les styles changent mais les motifs sont souvent issus de la même inspiration : bouquets de fleurs et feuillages, paysages bucoliques, petits animaux…
Crânes, poumons et utérus ?
Dans la boutique en ligne de Charlotte Perez, il y a bien les jolies fleurs, mais pas où on les attendrait. Dans l’univers charlottesque, la beauté végétale côtoie celle de l’anatomie humaine dans un mélange à la fois inattendu, fascinant et quelque peu dérangeant : le liseron, le lys et les violettes poussent sur les os et la chair de gravures anatomiques hyperréalistes. “Je suis passionnée par les organes, leur complexité et leur beauté. J’aime cette idée de représenter le plus fidèlement possible le réel et j’adore jouer avec le côté un peu glauque que ça peut avoir”, s’amuse la jeune trentenaire, qui avoue puiser une grande partie de son inspiration dans l’univers fascinant des cabinets de curiosités.
Lieux emblématiques d’une science qui découvre le monde, les cabinets de curiosités apparaissent au XVe siècle dans les manoirs de grandes et riches familles occidentales qui exposent sous verre toutes sortes de curiosités importées de contrées lointaines et sauvages. Ossements, organes, grigris, minéraux rares et végétaux difformes, ils sont des espaces d’éducation et de fantasme dont le concept est rapidement repris par les grands musées d’histoire naturelle. “Il peut parfois y avoir un côté fascination malsaine qui me plaît beaucoup. On m’a déjà dit : ton boulot me dérange !” reconnaît Charlotte, dont le travail se démarque aussi par sa technique impressionnante. “Les motifs sont tirés de gravures anatomiques médicales, que je reprends directement en broderie, je ne fais pas de dessins”, révèle l’artiste. Car, derrière un air timide, Charlotte Perez cache une formation aboutie et une expérience professionnelle impressionnante.
Cette jeune Parisienne arrivée à Lyon en 2018 a suivi des études d’arts plastiques et d’histoire de l’art ainsi que des formations poussées en broderie. Pourtant, à la sortie de l’université, difficile de trouver du travail. “Le milieu de l’art est bouché. Du coup, pendant un an j’ai loué un atelier et j’ai testé toutes les techniques de broderie que je pouvais trouver. Un jour, en faisant les boutiques, je me suis rendu compte que je pouvais facilement faire mes propres vêtements, alors je me suis inscrite dans un CAP broderie pour acquérir encore plus de technique. Au premier cours, devant mon métier à tisser, j’étais sûre que c’était là que j’avais envie d’être”, se souvient-elle. À la sortie de cette formation, Charlotte enchaîne les stages dans de grandes maisons parisiennes : Lesage, Chanel, Koché, Bizet. Enfin, elle se sent prête et se lance à son compte, dans la personnalisation de T-shirts. Pendant un an, elle crée des petits patchs rétro à coller, inspirés de la pop culture. Les débuts sont difficiles mais elle se donne à fond. “J’avais accepté – et j’accepte toujours – que ça soit un peu la galère au début. Mais le bonheur que ça m’apporte de faire ce que j’aime est tellement plus important que l’aspect financier”, dit la brodeuse.
Partie d’un univers pop, Charlotte opère un virage artistique vers l’anatomie suite à une maladie qui frappe son grand-père, dont elle est très proche. Début 2019, l’artiste entame sa collection anatomique et rompt avec l’idée que ses créations doivent être portées. “Aujourd’hui, je fais plus de l’art-déco que du vêtement”, dit-elle. Un changement créatif qui s’est accompagné d’un déménagement à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse, où elle a installé son atelier. “J’adore Lyon, je suis tombée amoureuse de cette ville. Il y a une forme d’entraide et de réseau que j’ai trouvée ici et que je n’avais pas à Paris. Les gens semblent plus ouverts.” Elle a rejoint le collectif Arts Pentes à son arrivée sur le Plateau.
Car, avec la popularité en ligne de la broderie, est née une véritable communauté autour de la discipline. Les brodeuses échangent entre elles et les amateurs se partagent leurs créations. “Il y a une vraie solidarité chez les brodeuses, on a toutes notre patte, personne ne se fait concurrence. La communauté est hyper présente sur Instagram. On se suit toutes et on s’écrit, il y a une ambiance hyper bienveillante”, se réjouit l’artiste. Aujourd’hui, Charlotte continue de construire son projet et s’approche d’une stabilité financière bienvenue. Elle vend ses créations pièce par pièce sur Internet, refusant d’aller frapper aux portes des grands magasins, dont les marges sont trop grandes. En attendant, elle complète son activité avec des cours de broderie que des grandes marques lui commandent ponctuellement. Bientôt, la jeune Croix-Roussienne espère réaliser son rêve d’artiste : être exposée dans une galerie lyonnaise.
CARTE D’IDENTITÉ DE LA MARQUE