Portrait-robot. Après la série de 14 braquages qu'a connu la région lyonnaise en moins d'un an, nous avons enquêté sur le mode opératoire des braqueurs. La nouvelle génération opèrent sur le modèle des commandos paramilitaires.
Suite à la série de “casses” qui a touché l’agglomération lyonnaise ces derniers mois, nous avons enquêté sur le profil et les méthodes des braqueurs. Lourdement armés, gonflés à bloc, sûrs de leur force ils sont prêts à en découdre avec le moindre quidam qui se mettrait en travers de leur route. “On fait quoi quand, en face, on a des mecs sapés comme le GIGN, armés de kalachnikov et prêts à tirer ?” La question vient d’un membre de l’antigang lyonnais, autrement dit le genre de type qui en connaît un rayon question grand banditisme. À la différence de leurs “frangins” braqueurs parisiens ou marseillais qui n’ont pas hésité, les 20 et 31 mai derniers, à mitrailler la police avec leurs fusils d’assaut, faisant au passage un mort, les truands lyonnais n’ont pas encore franchi le pas. À l’arme lourde et en mode commando en tout cas. Car le 9 mars, deux hommes, vraisemblablement en repérage aux abords d’un atelier de bijouterie, dans le 7e arrondissement, n’ont pas hésité à faire feu pour couvrir leur fuite. Bilan : un passant d’une trentaine d’années grièvement blessé au thorax.
La trentaine justement, trois des cinq supposés braqueurs de la bijouterie Jaeger-LeCoultre, “tapée” le 1er juin en pleine heure de pointe, ne l’ont même pas. Ils sont âgés de 22, 23 et 25 ans. “Les mecs reproduisent le film Heat : ils sont totalement déterminés, à la limite de l’inconscience, hyper agressifs et jouissent d’un sentiment d’impunité tout puissant", confirme Michel Neyret, directeur adjoint de la police judiciaire.
“On en a rien à foutre des flics, on leur tire dessus !”
Heat, est le film référence du banditisme actuel. Si les “grands frères” ne juraient que par Scarface, la génération montante, elle, shootée à l’adrénaline - et parfois galvanisée par la coke - prend pour modèle les braqueurs de Heat, emmenés par Robert de Niro. En particulier une fusillade d’anthologie, 15 minutes montre en main, après un braquage raté dans une banque, en plein centre de Los Angeles. Un véritable carnage. “Aujourd’hui, les gonzes ne montent plus seulement sur des braquages, ils vont à la guerre”, confirme Jérôme Pierrat, journaliste spécialiste des pratiques du milieu. “Les mecs n’en ont rien à foutre ! Ils partent du principe qu’ils seront plus forts que les gens qui vont intervenir. Un braqueur me disait comme ça : “pourquoi tu veux qu’on lève les bras parce qu’il y a un mec en bleu qui crie “police !” alors qu’il a un pauvre 9 mm dans la main ! Nous, on a des "kalach". On leur tire dessus, c’est tout” (lire entretien ci-contre).
Pour ces nouveaux braqueurs, ces “cagoulés” comme on les surnomme, dont une bonne escouade est issue des banlieues, vivier du grand banditisme actuel, les forces de l’ordre ne sont ni plus ni moins que des adversaires. Alors qu’avant, les “beaux mecs” faisaient tout pour les éviter : “on étudiait le casse avant tout pour voir le temps d’arrivée des flics, explique un ancien braqueur lyonnais. On repérait le commissariat le plus proche, on faisait le chemin en voiture et on savait s’il leur fallait 2, 3 ou 5 minutes. Le but c’était d’esquiver le contact car ils avaient ordre de tirer, nous on se serait défendu, et tirer sur un condé, c’était perpet’ ”. Aujourd’hui, arroser police et passants à l’arme lourde n’est plus du tout un signe d’amateurisme.
Bien au contraire. Comme le pensent certains, ça pourrait même faire partie de la stratégie. Le braquage de la bijouterie de luxe Jaeger-LeCoultre, le 1er juin, en est le parfait exemple : les truands attaquent en heure de pointe, en plein centre-ville, débarquent avec cagoules, gilets pare-balles, kalachnikov, pistolet automatique, au vu et au su de tout le monde et n’hésitent pas à se montrer, fusil d’assaut bien exhibé. Et pas pour faire semblant : les armes sont chargées pour faire face au moindre accroc car dans ce genre de raids, chaque obstacle se franchit en force. Selon un magistrat de la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée), “ils vivent dans le virtuel et n’acceptent pas de perdre. Les conséquences peuvent être sanglantes”.
Équipes à tiroirs et “invités”
Alors têtes brûlées ces nouveaux braqueurs ? Au lendemain de l’attaque du fourgon blindé de Marseille, sur une voie rapide qui longe le grand port, Roland Gauze, le directeur interrégional de la police judiciaire de Marseille jurait qu’il s’agissait de “fous dangereux” et non de professionnels. Reste qu’aujourd’hui (16 juin, date du bouclage), mis à part les deux puissantes Audi ayant servi au casse, ni les 2,1 millions d’euros ni les truands n’ont été retrouvés... La PJ locale s’en remet maintenant à ceux qui commettront une imprudence en parlant. Mais dans le milieu du casse de “tirelires” ou de “bijoutes”, les fuites sont rares. À Lyon, les trois braqueurs mis en examen dans l’affaire Jaeger-LeCoultre ne sont en effet pas très loquaces...
La réputation de tenir sa langue, justement, peut être l’une des conditions pour intégrer une équipe “à tiroirs”, qui, selon les enquêteurs, sont le modèle de fonctionnement standard des braquages lyonnais. Ces équipes se forment et se reforment différemment, se constituent au coup par coup, comme dans un jeu de Meccano ou de Lego. Certains bandits sont même “invités” dans une équipe pour leur savoir-faire et leurs compétences. Ce qui fait dire qu’il s’agit plus de relations opportunistes que de coups entre potes.
Mais ce qui reste ambigu pour tout le monde, c’est le degré d’organisation de ces équipes à tiroirs. Si les magistrats de la JIRS attestent d’une véritable discipline dans les préparatifs des casses, d’un modus operandi plus ou moins éprouvé, ils parlent uniquement de “frémissement d’organisation”. “Ils ne réfléchissent pas trop. Autrement dit, pas de logistique encore très structurée. “Par contre, ce qui est sûr, rétorque un policier, c’est que par mimétisme, on a des équipes qui commencent à s’aguerrir et à se professionnaliser”. Le pire est à venir...
*Spécialisée dans la criminalité organisée notamment.
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Des armes en libre-service
Dans les affaires de braquages confiées à la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée), certaines font apparaître des planques disséminées un peu partout dans l’agglomération. Farcis de bolides, de gros 4x4 et d’armes en quantité de tous calibres, les box sont à disposition des équipes de braqueurs et de go-fasteurs locaux. Une sorte de drugstore du parfait truand en libre-service.
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Les 14 braquages depuis un an
22 octobre : tentative dans la société de métaux précieux SAAMP, à Limonest.
26 novembre : bijouterie Cartier, rue de la République (2e). 800 000 euros.
2 décembre : tentative dans un atelier de bijoux à la Croix-Rousse.
2 décembre : atelier de bijoux à Caluire, avec séquestration. 150 000 euros.
11 décembre : atelier d’affinage de métaux précieux rue Édouard-Herriot (2e). 20 kilos d’or.
19 janvier : fonderie de Rillieux-la-Pape, avec séquestration. + de 100 kilos d’or.
17 février : société de métaux précieux Métalor, à Oullins, avec séquestration. 1,5 million d’euros.
9 mars : société J.D., spécialisée dans la taille de pierres précieuses, à Ternay, avec séquestration.
9 mars : repérage d’un atelier de bijouterie, rue Tourville (7e). Un passant est grièvement blessé par balles.
10 mars : tentative chez un grossiste en pierres précieuses (1er).
12 mars : bijouterie Marc Gérard, rue de Brest (2e).
4 avril : casino le Pharaon (Cité internationale). 30 000 euros.
11 mai : bijouterie rue de la République (2e). Plusieurs centaines de milliers d’euros de bijoux et montres de marques.
1er juin : tentative à la bijouterie Jaeger-LeCoultre, rue Gasparin (2e).