Procureur général lors du procès Barbie en 1987, le juge lyonnais Pierre Truche, l’une des plus grandes figures de la magistrature française est décédé samedi 21 mars à l'âge de 90 ans. Nous l'avions rencontré en 2009.
L'Anarchiste et son juge est une retranscription du procès de Caserio, le jeune anarchiste italien qui assassinat le président Sadi Carnot à Lyon en 1894. Écrit par Pierre Truche en 1991, le magistrat lyonnais mettait en avant l’exemplarité du juge Benoist dans une instruction très minutieuse, préfigurant la justice moderne. Il y soulignait "l’indépendance du magistrat face à la vindicte populaire", ce qui n’empêcha pas Caserio d’être exécuté.
Car "juger, c’est se distancier", nous rappelait Pierre Truche que nous avions rencontré en 2009. À l’inverse d’une prise de position, aussi juste fût-elle. Il faut ainsi appliquer strictement les règles de la procédure, même pour les pires actes de barbarie. « Le procès Barbie n’a jamais été un procès extraordinaire. Il s’agissait de juger un homme à l’ordinaire » nous confiait-il. Il réfutait ainsi l’idée que l’on puisse appliquer des règles d’exception malgré la douleur des familles des victimes de la Shoah. «Le but était de condamner Klaus Barbie par les faits. La seule façon pour que le procès ne puisse pas être contesté, c’est de prouver les faits. Si l’on n’arrive pas à les prouver, alors il faut acquitter. C’est la seule condition pour mener un procès à son terme ». Et de rappeler les paroles d’Hannah Arendt à propos du procès Eichmann à Jérusalem : « Nous ne sommes pas là pour juger le régime nazi, mais pour juger un homme. »
Peut-on d’ailleurs absoudre les crimes en dehors de la justice ? Pierre Truche s'inquiétait : « En Afrique du sud, au nom de la réconciliation nationale, on a pardonné les crimes de l’Apartheid sans procès, en dehors de toute justice. C’est une vision politique des choses pour pouvoir vivre ensemble…. On vous dit : vous reconnaissez, vous êtes amnistié et vous ne passez pas en justice. Qu’est-ce que ça donnera dans quelques années ? ».
L’engagement
Une vision supérieure de la justice qui ne l’a pas empêché de vouloir la faire évoluer. Fils d'employé d'une soierie de Lyon, Pierre Truche est au début de sa carrière proche du Syndicat de la magistrature, réputé très à gauche. « À l’époque, nous voulions que le juge puisse appliquer toutes les lois, y compris celles qui touchaient les personnes qui avaient pignon sur rue et qui détournaient les fonds » se souvenait-il. Dès lors, les affaires financières - fraudes fiscales, abus de bien sociaux, corruption - seront considérées comme de la délinquance ordinaire. Une vision de la justice, à laquelle nul puissant ne pourrait se soustraire.
Dans les années soixante-dix, ces magistrats réformistes militent pour des alternatives à l’emprisonnement. « Il y avait des petits délits pour lesquels il n’y avait pas de raison d’envoyer les auteurs en correctionnelle », nous rappellait Pierre Truche. Émergeront ainsi face au tout répressif, les peines de substitution ainsi que le principe de la médiation « pour aboutir à une réparation et une prise de conscience de l’auteur envers sa victime ».
Cette approche universelle de la justice, ce pragmatisme humaniste, - doté d’un sens aigu de la pédagogie - viendront conforter sa stature de figure morale : il sera nommé premier président de la Cour de cassation en 1996, la plus haute fonction judiciaire en France.