Voilà, en substance, les conclusions de la toute récente étude de l'Institut de veille sanitaire (Invs), un établissement public chargé de surveiller l'état de santé des Français. L'Invs a "mis en évidence des relations statistiquement significatives entre l'exposition des populations aux rejets de l'incinération et le risque de cancer "*.
L'étude en question a porté sur 135 123 cancers apparus entre 1990 et 1999 dans quatre départements français, dont celui de l'Isère, à proximité de 16 incinérateurs en fonctionnement de 1972 à 1985. En Isère, 41 809 cancers (sein, poumon, foie, vessie...) ont été observés aux abords des incinérateurs locaux, notamment ceux de Bourgoin-Jallieu et de Grenoble, parmi les plus polluants encore en fonctionnement. Les chiffres sont éloquents : le fait d'avoir vécu près d'un incinérateur pendant 10 à 25 ans aurait entraîné un risque accru de cancer de +4%. Pour les cancers du sein, le taux passe à 9%, pour les cancers du foie, on atteint les 16%, et même 22% pour les sarcomes des tissus mous.
Les ordures de Naples remontent à Lyon
Depuis la publication du rapport, le Grand Lyon, qui a en charge la propreté de 57 villes, dont Lyon et son agglomération, est en ébullition. Il faut dire que les deux usines d'incinération existantes sont saturées et commencent à être vétustes, que Rhône-Alpes est la 2e région la plus incinératrice de France (lire Repères) et que la crise des déchets que connaît actuellement Naples, en Italie, (lire Le chaos napolitain) remonte de plein fouet au nez des édiles lyonnais. Dans ce contexte, l'arrivée de Thierry Philip (PS), directeur du centre anti-cancéreux Léon Bérard et l'un des plus éminents cancérologues régionaux, au poste de vice-président de la communauté urbaine en charge de la propreté, n'est certainement pas le fruit du hasard. L'intéressé le confesse volontiers : "cette question des déchets est une question extrêmement importante, sur laquelle reposent des enjeux de santé et environnementaux fondamentaux. A vrai dire, je ne suis pas là par accident, puisqu'il s'agit clairement de faire le lien entre déchets et santé". Le boss du Grand Lyon, Gérard Collomb (PS), a donc entendu les apostilles du corps médical en nommant un médecin pour gérer les déchets.
La levée de boucliers des médecins
C'est d'ailleurs à Lyon que s'est créée, il y a tout juste un an, la Coordination nationale médicale santé et environnement. Collectif qui regroupe aujourd'hui plus de 3 000 médecins, toutes spécialités confondues, et qui a récemment réclamé la suspension de la construction de tout nouvel incinérateur d'ordures ménagères. Le problème de la dioxine ayant été réglé, ce sont désormais les métaux lourds et toutes les nouvelles molécules fabriquées par la combustion de tout ce qui peut y être brûlé qui inquiètent. Aujourd'hui, une tonne d'ordures se transforme en 300 kilos de cendres (qu'il faut stocker en décharge) et 700 kilos de fumées composées d'un cocktail de molécules toxiques. Or, sur les 2 000 composants identifiés, seulement une cinquantaine fait l'objet de mesures. Déjà, lors du Grenelle de l'environnement, les médecins avaient averti des risques des incinérateurs admettant que "l'incinération ne (devait) rester qu'une solution de dernier recours" (Les 7 propositions du corps médical en matière de santé-environnementale).
Les politiques revoient leur copie
Du coup, rue du Lac, au Grand Lyon, l'on est forcé de revoir un peu la copie du Plan d'actions stratégique de la gestion des déchets, voté fin 2007 pour les dix prochaines années. Concrètement, ce plan a pour objectif de réfléchir à la politique de collecte et de traitement des déchets à moyen-terme. Aujourd'hui, les 1 million 300 mille habitants du Grand Lyon produisent chaque jour 1,2 kilo d'ordures, soit, à l'année, un volume de poubelles équivalent à 10 tours de la Part-Dieu. Mais demain, avec l'augmentation du nombre d'habitants, comment ces ordures seront-elles détruites ? "Je travaille sur la question des incinérateurs" souffle Thierry Philip, nouvel homme fort du balai brosse qui travaille avec le Pr Dominique Belpomme, cancérologue réputé au plan international. Car la stratégie est limpide comme de l'eau de Lyon : il faut limiter l'enfouissement des déchets, cette solution ne pouvant être conçue que comme un stockage temporaire, et surtout réduire l'incinération. Or, à l'heure actuelle, dans le Grand Lyon, plus de 60% des 540 000 tonnes de poubelles annuelles sont incinérés (lire Repères). Pire, les deux usines d'incinération arrivant à saturation, des dizaines de milliers de tonnes sont envoyées hors Grand Lyon pour être brûlées. Une situation des plus embarrassantes qui rappelle un peu celle de Naples qui, pendant de nombreuses années, a expédié des déchets à l'étranger, faute de place et de moyens suffisants chez elle.
Changer nos comportements
Ceci étant dit, le problème étant désormais scientifiquement posé, quelles sont les solutions alternatives à l'incinération ? Pour l'heure, "une veille technologique est menée pour analyser les avantages et les inconvénients de chaque traitement (tri mécano-biologique, méthanisation...), et pour étudier les impacts techniques et financiers d'une éventuelle transpositionau contexte local" et "des projets de recherche et développement vont également être développés avec des universités et des entreprises afin d'étudier de nouveaux traitements adaptés aux problématiques de la Communuaté urbaine". D'aucuns semblent néanmoins défendre l'hypothèse d'une réduction significative des déchets à la source. Hypothèse qui repose sur une prise de conscience générale de la nécessité de modifier nos achats et nos comportements dans la vie de tous les jours : aujourd'hui, près des 2/3 de nos poubelles pourraient être recyclés, nous n'en recyclons, dans le Grand Lyon, que 15%.
*Mars 2008. Synthèse disponible sur : www.invs.sante.fr/publications/2008/rapport_uiom/synthese_uiom.pdf
Repères
Volume de déchets annuels produit par le Grand Lyon (2006)
540 589 tonnes, soit le volume de 10 tours de la Part-Dieu.
Collecte = 511 106 tonnes
100 199 tonnes en déchèteries
21 034 tonnes en silos à verre
57 067 tonnes en collecte sélective
332 791 tonnes en ordures ménagères
Nettoyage= 29 483 tonnes
10 984 tonnes en ébouage
8 414 tonnes en déchets issus des balayeuses
739 tonnes de feuilles mortes
2 152 tonnes de corbeilles de propreté
7 194 tonnes des marchés et des Halles
Que deviennent nos déchets ?
63% sont incinérés (transformation du déchet en énergie : chauffage urbain, alimentation de turbines qui produisent de l'électricité)
15% sont enfouis
15% sont recyclés (production de nouveaux produits finis, à leur tour commercialisables)
7% sont transformés en matière fertilisante
Rhône-Alpes, nème2 de l'incinération
Sur les 135 usines d'incinération françaises (plus grand parc européen), Rhône-Alpes est la région qui compte le plus d'usines d'incinération (16), après la Seine-et-Marne (19).
Le chaos napolitain
5 000 tonnes d'ordures dans les rues de Naples, dont le centre historique est classé au Patrimoine mondial de l'humanité, 45 000 autres qui jonchent les routes de la belle province de Campanie. Depuis plusieurs semaines, la "capitale du Sud" de l'Italie est noyée sous les déchets. Les habitants, exaspérés, barrent les rues avec des immondices en signe de protestation, caillassent les pompiers et brûlent les poubelles. Selon Marino Niola, anthropologue napolitain, interrogé par Le Nouvel Obs, "la Camorra (ndlr, la mafia napolitaine) intervient depuis toujours sur toutes les sources de profit dans tous les interstices de la société. Et son omniprésence dans l'affaire des déchets explique entre autres choses ce paradoxe qui fait que la population descend dans la rue non pas pour demander qu'on la délivre des ordures, mais pour empêcher la construction d'une décharge publique ou d'un incinérateur. Parce que l'incinérateur va contre les intérêts de la Camorra, lui ôtant la possibilité de gagner de l'argent sur ses propres décharges". Selon Roberto Saviano, auteur de Gomorra, un livre sur la Camorra, le trafic des déchets génèrerait un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros annuels et augmente de 30 % par an, un marché aussi fructueux que celui de la cocaïne. Résultat, les déchets ne sont pas recyclés mais enterrés dans la campagne, avec tous les problèmes sanitaires et environnementaux que cela entraîne.
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