L’association 60 000 rebonds fête ses dix ans d’existence. Elle ambitionne de déployer à plus grande échelle l’accompagnement des femmes et hommes qui ont subi un revers dans leur aventure entrepreneuriale.
Au départ, c’est l’histoire d’une traversée du désert. Celle de Philippe Rambaud, qui, après avoir passé 25 ans chez Danone, crée une entreprise qui fait faillite en 2008 en pleine crise financière.
De cette expérience douloureuse, il prend conscience de l’immense traumatisme que représente une liquidation : honte, isolement social, perte de revenu…
En 2012, il crée l’association 60 000 rebonds (chiffre du nombre d’entreprises liquidées alors chaque année en France). Son objectif est de remettre en selle ces entrepreneurs pour développer un nouveau projet, retrouver un emploi salarié ou simplement se reconstruire personnellement.
Dix ans après, l’association, reconnue d’intérêt général et à caractère social, compte 1200 bénévoles et 23 permanents qui accompagnent plus de 600 personnes chaque année grâce à un maillage dans 40 antennes régionales.
Changer notre regard sur l’échec
"Quand on ne prend pas d’initiative, il n’y a pas de risque, donc pas d’échec, aime à formuler Marc Rousse, président régional de l’association 60 000 rebonds. Mais l’échec est très mal perçu en France. Celui qui fait faillite est vite identifié comme un loser, contrairement à certains pays anglo-saxons qui valorisent la prise de risque”.
Pour lui, échouer dans un projet n’est pas rédhibitoire. Au contraire, cela peut même représenter une étape constructive dans une vie professionnelle. “Je prends souvent l’exemple d’un enfant qui apprend à marcher. Doit-on le dissuader de le faire à chaque fois qu’il tombe ? C’est la même chose pour un entrepreneur, l’échec ne doit pas le condamner à renoncer, mais l’encourager à essayer à nouveau” ajoute-t-il.
Parrainage, expertise, bienveillance…
“Bienveillance et solidarité entrepreneuriale”. À l’occasion de sa venue à Lyon, Guillaume Mulliez, a tenu à rappeler les valeurs de 60 000 rebonds qu’il préside au niveau national depuis 2016. Cet engagement se traduit par un accompagnement qui s’appuie sur un dispositif unique en France pour “redonner de la valeur à l’audace”.
Un coaching individuel approfondi, du business mentoring et des ateliers de formations animés par des experts dans leur domaine (RH, juridique, comptabilité, marketing, commercial, informatique…), mais aussi des groupes de paroles. Une approche collective qui permet à chaque entrepreneur d’être une véritable “ressource pour l’autre”, en partageant son expérience.
Un coach référent puis un parrain sont attribués à chaque personne qui peut bénéficier de ce soutien pendant deux ans. In fine, la moitié d’entre eux se lancent dans un nouveau projet d’entreprise tandis que les autres s’orientent vers le salariat.
“Le droit d’essayer plus d’une fois”
Au delà de ses actions quotidiennes, l’association veut influer sur les pouvoirs publics et les acteurs économiques et financiers pour mettre en place des mesures encadrant mieux le risque entrepreneurial : assurance de ressources en cas de liquidation, abrogation de certains indicateurs de la Banque de France qui fragilisent les créateurs d’entreprises, alternatives aux cautions personnelles…
Avec une projection de près de 4 000 défaillances de TPE et PME en 2022 rien qu’en région Rhône-Alpes Auvergne, le nombre de femmes et hommes qui vont subir de plein fouet une faillite risque d’augmenter. Un contexte de crise, accentué par l’effet à retardement du remboursement des Prêts Garantis par l’État (PGE) attribués aux entreprises pour soutenir l’économie française pendant la crise du Covid.
“Un entrepreneur qui rebondit, c’est plus de trois emplois créés”
Autant de chefs d’entreprise qui resteront sur le carreau, mais qu’il n’est pas toujours facile d’identifier. La honte de l’échec souvent ressenti ne pousse pas toujours à demander du soutien.
“Il ne s’agit pas pour autant d’aller prospecter ces entrepreneurs tempère Marc Rousse. Tous n’ont pas le désir de se faire aider et ce serait d’ailleurs contreproductif. Ce doit être absolument une démarche volontaire et un engagement” poursuit t-il.
Se pose alors la nécessité de faire connaître ce dispositif auprès de potentiels bénéficiaires.
“Nous cherchons à organiser des événement avec une grande visibilité qui peut alimenter le bouche-à-oreille» dévoile Lisa Bron, responsable de la communication, qui voudrait prendre exemple sur le succès des pyramides de chaussures de Handicap International. Notre tour de France à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de 60 000 rebonds doit impulser une stratégie pour déployer notre action auprès de ces entrepreneurs.”
Une initiative indispensable pour rappeler aux créateurs d’entreprises que, même avec un accident de parcours, ils restent les forces vives de notre économie.
Témoignages
Ils ont bénéficié de l’accompagnement de 60 000 rebonds
• Joachim : “Me remobiliser et me réinsérer dans un projet professionnel”.
Joachim a bénéficié de cet accompagnement en 2018 suite à liquidation de sa start-up, qui proposait des billets de dernière minute pour des spectacles à Lyon. Un échec qui, reconnaît-il, l’a “fragilisé psychologiquement” en raison de la perte de son investissement, fruit de longues économies, et de l’absence de perspectives professionnelles.
"On a enfin le sentiment de ne pas être jugé à travers son échec”
Mais c’est surtout le sentiment d’être marginalisé et d’avoir “perdu ses repères et des journées structurées” qui l’a poussé à franchir la porte de 60 000 rebonds. “Le premier soutien que j’ai reçu, c’est de l’écoute et de la disponibilité” se rappelle-t-il. “Que ce soit des ateliers de co-développement – une méthode qui permet d’organiser l’expression de l’intelligence collective du groupe et de faire éclore les solutions – ou les séances de coaching, on a enfin le sentiment de ne pas être jugé à travers son échec” reconnaît-il. “Il y a une vraie qualité dans la relation aux personnes qui viennent donner de leur temps”.
Ce qui l’a le plus marqué c’est le lien qu’il a noué avec son parrain, cadre dirigeant dans un grand groupe d’assurances. “Je voyais Christophe près de trois fois par mois, il était très disponible et ne comptait pas son temps. Son rôle consistait à analyser mon échec, mais surtout à me permettre de me remobiliser et me réinsérer dans un projet professionnel”.
Joachim retrouve confiance en lui et, après avoir bénéficié d’un an d’accompagnement, le travail porte ses fruits. “Mon parrain m’a même aidé à construire ma candidature et j’ai été retenu pour un poste que proposait la CPME ». Aujourd’hui, Joachim aide les start-ups à se développer à l’international. "À la CPME, c’est à mon tour d‘accompagner les petites entreprises. La boucle est bouclée" sourit-il.
• Laurence Glorieux : "On m’a aidée sur le savoir-faire, mais aussi sur le savoir-être”
Laurence Glorieux était “perdue et fatiguée" lorsqu’elle a franchi les portes de 60 000 rebonds sur le conseil d’une de ses connaissances. Après avoir rejoint sa sœur, comme associée, créatrice d’une entreprise agroalimentaire produisant des yaourts aux fleurs et aromates, elle connaît une “situation personnelle et familiale très chaotique” avec la liquidation de leur entreprise en 2016.
En arrivant chez 60 000 rebonds, c’est la première fois qu’elle “se sentait accueillie” dit-elle. “Je suis issue d’une famille où l’on ne parle pas de ses difficultés, où l’on ne demande pas d’aide. Il faut avancer en serrant les dents”. Là-bas, en plus d’une aide concrète sur les questions administratives, comptables et financières – son "maillon faible” concède-telle -, elle apprend à “prendre du recul”.
"J’ai retrouvé confiance en moi, et on m’a encouragé à oser, à ne pas avoir peur”.
Mon parrain, Jean-François, qui est expert-comptable m’a aidée sur le savoir-faire, mais aussi sur le savoir-être”, explique Laurence, qui a plutôt une fibre créative, “comme tout l’environnement de l’association 60 000 rebonds qui respire l’attention et la bienveillance” se souvient-elle. "J’ai retrouvé confiance en moi, et on m’a encouragé à oser, à ne pas avoir peur”.
Forte de ce long processus de reconstruction professionnelle et mentale, elle décide de renouer avec sa formation d’origine, dans la création textile. Cette ancienne diplômée de l’École Supérieur des Industries du Vêtement (ESIV), lance en 2021 un projet de création d’entreprise suivi par un incubateur lyonnais : une marque de vêtements personnalisables qui s’ajustent à la morphologie des clients.
Cet été, Laurence Glorieux a ouvert des locaux dans le quartier de Monplaisir à Lyon, et enregistre les premières commandes. Elle bénéficie d’ailleurs de l’aide régulière de Jean-François, son ancien parrain à 60 000 rebonds, qui continue à la soutenir - en dehors de l'association - avec une bienveillance sans faille.